Analyse Société
« Monsanto porte atteinte aux droits fondamentaux de l’Homme »
Pendant plus d’une heure, les cinq juges ont rendu leur avis juridique concernant le comportement de la firme étasunienne vis-à-vis du droit international. Leur conclusion est sans appel : « La société s’est engagée dans des pratiques qui ont un impact négatif sur un droit sain à l’alimentation et à la santé. La conduite de Monsanto affecte tout aussi négativement le droit à la liberté indispensable à la recherche scientifique. » Enfin, concernant le crime d’écocide, le Tribunal conclut que s’il était reconnu dans le droit pénal international, « les activités de Monsanto pourraient constituer un crime d’écocide ». Un avis, certes consultatif, qui affirme pourtant la primauté des droits de l’Homme et de l’environnement en droit international.
Il en a vu d’autres et pourtant il est fébrile. Coordinateur de ce procès à la fois « symbolique » et « hors-norme », Arnaud Apoteker attend comme les autres l’avis juridique de celui qu’on appelle aujourd’hui le « Tribunal Monsanto ». Dès le départ, « nous avons voulu que les juges travaillent en toute indépendance », précise cet ancien responsable des campagnes OGM chez Greenpeace. « Comme tout le monde, je suis dans l’attente. En espérant que la décision nous soit favorable. » L’enjeu de cette mobilisation internationale est telle (lire ici et là), qu’Arnaud Apoteker en oublierait presque que cette instance n’a pas vocation à condamner Monsanto, mais doit répondre à des questions concernant la conformité ou non de son comportement vis-à-vis des règles du droit international en matière de santé, de droit à l’alimentation, de liberté de la recherche académique et de liberté d’expression.
Paul François, aussi, attend cet avis avec intérêt. « Certes, c’est un symbole, explique celui qui a déjà remporté deux manches dans son procès face à la firme étasunienne. Mais il faudra prendre les conclusions des juges au sérieux. Dans un sens comme dans l’autre. » Le céréalier charentais sait ce qu’il en coûte de défier une multinationale. « Maintenant, il faudrait que la société civile prenne conscience qu’un groupe comme Monsanto se sent au-dessus des lois, fonctionnant selon sa propre éthique. » Et l’agriculteur de lancer du haut de son tracteur : « N’oublions jamais qu’au nom du profit, Monsanto n’a pas hésité à empoisonner la planète en fournissant l’agent orange à l’armée américaine ou en inondant le marché mondial de son Roundup. »
Une complicité de crime de guerre et d’écocide à laquelle les cinq juges du « Tribunal Monsanto » devront également se prononcer ce mardi 18 avril. « Ce qui n’a rien d’anodin », affirme Arnaud Apoteker. A l’heure où cette multinationale, comme d’autres, peut bénéficier, grâce à des traités de libre-échange, de tribunaux arbitraux habilités à contester des décisions prises par des Etats concernant leurs souverainetés alimentaire ou énergétique, on comprend que l’idée de voir s’immiscer la société civile dans ses affaires irrite fortement Monsanto. « D’autant qu’avec mon équipe de conseillers, nous avons déjà ouvert une brèche, complète Paul François. Sur ces enjeux, on peut même dire qu’en France, la justice a eu du courage. » Et « même si cet avis ne sera pas juridiquement contraignant, confie Arnaud Apoteker avant de s’envoler pour les Pays-Bas, ce long travail juridique, effectué selon les procédures internationales, aura forcément une incidence sur les questions liées aux droits de l’homme et permettra des ouvertures judiciaires pour les victimes. »
Transformer le partage des souffrances en combat collectif
Quelques soient les termes de cet avis, « notre première victoire réside dans ces témoignages de personnes ne se connaissant pas, vivant dans des conditions diamétralement opposées, affirme l’activiste. Et cela, devant cinq professionnels confirmés ». Une situation qu’a vécue dans sa chair Sandrine Grataloup. Les 15 et 16 octobre derniers, cette Iséroise a ouvert « la longue marche des victimes de Monsanto » en montrant aux magistrats une série photos de son fils Théo. Une bouille toute ronde, des yeux bleus et un énorme trou dans le cou. Né avec une malformation grave de l’œsophage, ce petit bonhomme, aujourd’hui âgé de neuf ans, a déjà subi 51 opérations. A l’origine du mal, l’utilisation répétée de désherbant à base de glyphosate pour nettoyer les 7000 m2 d’une carrière d’équitation. Alors même que Sabine Grataloup ignorait qu’elle était enceinte. « Quand nous avons demandé aux chirurgiens d’où pouvaient venir les malformations de Théo, ils nous ont répondu que les seules études disponibles de l’époque pointaient vers les pesticides mais qu’aucun lien direct n’avait pu être établi. » Une prudence de diagnostic légérement corrigé par l’OMS qui, en 2015, a classé le glyphosate comme « probable cancérogène pour l’homme ».
Interrogée, alors qu’elle était en voyage professionnel en Mongolie, Sabine Grataloup attend du « Tribunal Monsanto », « un point d’appui pour une évolution concrète du droit international, de façon à ce que des personnes comme nous, qui sont confrontées à un risque dont elles subissent les conséquences, qui l’identifient et veulent donner l’alerte, sachent dans quel cadre agir ». Cette dernière espère aussi que les magistrats iront jusqu’à demander la reconnaissance du crime d’écocide. Une « notion puissante » qui, « face à l’inertie des autorités nationales et internationales », devrait pouvoir donner « une forme générale à une somme de souffrances personnelles » « Si l’on pouvait transformer ce partage des souffrances en un combat collectif », ce serait gagné, appui de son côté Arnaud Apoteker.
Contacté par SMS, à l’issue de l’audience, le coordinateur de ce procès historique déclare à propos de la reconnaissance de l’atteinte de Monsanto de quatre droits humains (dont la santé et l’alimentation) sur six : « A nous maintenant d’utiliser cet avis juridique dans des poursuites légales réelles. » Concernant la notion d’écocide, Arnaud Apoteker veut désormais que cette dernière soit « reconnue par la Cour pénale internationale ». A quelques jours du premier tour de la Présidentielle française et avant les élections allemandes de septembre, l’ancien salarié de Greenpeace voit en ce rendu juridique un autre signe fort. Porteur d’espoir. Malgré son caractère consultatif, « les Etats devront dorénavant répondre de leurs actes face à leurs concitoyens. En tout cas ceux qui, aujourd’hui, décideront de laisser se perpétuer ce genre d’activités sur leur territoire alors même que la protection des droits humains et de la nature est de leur responsabilité. »
L’avis des cinq juges du « Tribunal Monsanto » sera retransmis en direct. Cliquez ici pour suivre les conclusions et recommandations des magistrats, le mardi 18 avril, à 15h (UTC +2 heure d'été d'Europe centrale).
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