Analyse Innovation

Baromètre 2024 de l’innovation alimentaire mondiale, le décryptage de Xavier Terlet

25.04.24

Chaque année, le cabinet de conseil Protéines XTC publie son Baromètre de l’Innovation Alimentaire Mondiale. Toutes les catégories de produits sont passées au peigne fin dans le but d’apporter des éléments de réflexions et de mise en perspective des tendances. L’édition 2024 vient d’être publiée et l’ancien Directeur Général de l’entreprise, Xavier Terlet, nous en dit plus.

Xavier Terlet / ©P. Nicou

Alimentation Générale : Quelle est l’histoire du baromètre ? Comment est-il fabriqué ?

Xavier Terlet : J’ai créé XTC, devenue Protéines XTC , au début de ma carrière, c’était un cabinet de veille au départ. Aujourd’hui je fais du conseil pour cette structure, que j’ai dirigée jusqu’à 2022. Pour la petite histoire, avant tout ça, j’étais éditeur, je recensais tout ce qui apparaissait en France en termes de nouveaux produits. Avec l’arrivée d’internet, j’ai créé une base de données (Inspire NewFoodData) qui est aujourd’hui l’une des trois bases de données au monde qui recensent les produits alimentaires du monde entier. La nôtre est spécifique sur l’innovation. Elle décrit le caractère innovant du produit, et classe chaque produit selon notre matrice que l’on a appelée l’Arbre des tendances – composée de cinq grands axes et quinze tendances – qui caractérise chaque produit selon la promesse qu’il apporte aux consommateurs. Nos analystes repèrent comment les industries jouent ces tendances.

On a environ 30 000 nouveaux concepts qui sortent chaque année dans le monde, mais ces chiffres varient en fonction de chaque définition de l’innovation. Pour moi, un concept innovant c’est une unité. À partir de cette base de données, on a construit depuis 1995 notre baromètre qui mesure l’évolution de l’offre alimentaire dans le monde. C’est le seul qui existe en matière d’offre innovante. On le commercialise partout dans le monde (Chine, États-Unis, Canada…). La mondialisation ne crée pas une uniformisation alimentaire, l’alimentation est une catégorie particulière en ce sens, car on ne peut pas avoir des innovations planétaires. C’est pour ça que l’étude a intérêt à montrer comment on innove.

A.G. : Est-ce qu’on observe, sur ces dix dernières années, une innovation qui a marqué son temps, changé la donne ?

X.T. : Oui et non. Innover en alimentaire c’est un sport à risques. Il faut savoir que la moitié des produits ne passent pas la première année. Il y a beaucoup d’échecs. On pense que certains produits existent depuis longtemps et perdurent dans le temps, mais on ne voit pas nécessairement leur évolution. Un exemple très éloquent est celui d’Actimel, ce yaourt petite dose lancé en 1997, et considéré comme l’innovation alimentaire du siècle. Il est enseigné dans toutes les écoles de commerce comme “l’innovation rupture”. Mais non seulement la petite bouteille a évolué au niveau de son packaging, mais aussi dans sa composition et son discours, qui est passé de la “dose santé” à la “dose immunité”. Ce que peu de gens savent, c’est que cette innovation est plutôt une copie du yaourt japonais Yakult lancé soixante ans avant. Cherchant à s’implanter sur le territoire européen, le géant Yakult s’est vu couper l’herbe sous le pied par Danone, qui s’est empressé de lancer un yaourt plus conforme aux goûts des Européens, plus sucré et moins amer que son grand frère japonais. C’est ce qui a fait son succès.

Yakult à son lancement en 1935
Actimel à son lancement en 1997

A.G. : À l’occasion du SIAL Innovation 2018, vous déclariez à Alimentation Générale : “S’il fallait donner des mots pour des tendances, j’en citerais 3 : du goût, du vrai et du sens.” Presque six ans plus tard, quels seraient vos mots pour qualifier l’année 2023 ?

X.T. : C’est une question intéressante. Déjà il faut rappeler que la première des revendications est le plaisir avant tout. Partout dans le monde, manger est une affaire de plaisir, qui ne doit pas être gâché par d’autres facteurs externes (composition, santé, éthique, empreinte carbone…). Cette attente rejoint celle du vrai, de la vérité du produit, qu’il soit naturel et que l’on sache ce qu’il y a dedans. Et enfin du sens, parce qu’il n’y pas de plaisir à consommer sans.
Aujourd’hui, certaines choses ont évolué, notamment à cause du Covid et de la crise inflationniste sans précédent. Ce sont des phénomènes conjoncturels de ce type qui font évoluer les structures.
“Du goût, du vrai et du sens” font référence à une alimentation à deux vitesses, à une offre à prix élevé et accessible seulement à ceux qui en ont les moyens. Donc je rajouterai deux mots supplémentaires : du végétal et de l’accessibilité au plus grand nombre.
D’abord « accessible », car avec les +21% d’inflation constatés sur l’alimentation ces deux dernières années, les gens consomment moins et vont vers des marques distributeurs, voire des marques premiers prix. Ils mangent moins, renoncent à la viande et au poisson,  non pas par militantisme, mais parce qu’ils n’ont pas le choix. Aujourd’hui, la réalité, c’est qu’il y a malheureusement un nombre élevé de personnes qui ont des difficultés à se nourrir.
Ensuite
le mot « végétal » pour pleins de raisons. À commencer par une volonté de consommer davantage de légumes « bons pour la santé », souvent relégués au rang d’accompagnements de produits carnés ou de poisson. On a vu émerger sur le marché des produits végétaux cœur de repas, comme les boulettes, les saucisses végétales… etc. Ça a séduit, car les gens voulaient une part plus importante de végétaux dans leur assiette. L’innovation autour des légumineuses a notamment permis d’augmenter cette part. Celles-ci sont très nutritives car extrêmement riches en protéines. Mais ces produits, comme le bio, restent trop chers pour ce qu’ils sont. Il faut, encore une fois, trouver un levier pour les rendre plus accessibles.

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