Le repas de Noël étant en ligne de mire, c’est un menu de Noël que nous avons choisi pour ce second épisode de notre rendez-vous la BnF gourmande. Mais autant prévenir tout de suite les âmes sensible : il est assez choquant pour les convives de 2023. Ce menu est celui d’un restaurant de Paris pendant le Siège, le 25 décembre 1870, issu du Livre des menus d’Auguste Escoffier (1912). Son contenu très particulier est décrypté par Luc Menapace, chargé de collections en sciences biologiques et paléontologie à la Bibliothèque nationale de France.
Un célèbre menu de Noël d’un grand restaurant parisien propose, lors du siège de Paris par le Prussiens en 1870, un surprenant choix de viandes : la pièce maîtresse en est le consommé d’éléphant, précédé d’une tête d’âne farcie et suivi d’un chameau rôti à l’anglaise, d’un civet de kangourou, d’un cuissot de loup sauce Chevreuil ou d’un chat flanqué de rats. Dans ces deux derniers plats, le prédateur est associé à sa proie traditionnelle, symboliquement dans le cas de la sauce Chevreuil, et concrètement dans celui du chat.
La consommation de viande d’éléphant, si elle reste anecdotique, a néanmoins marqué les esprits. La scène de l’abattage de ces animaux a été reprise par des gravures étrangères ou des images d’Épinal. Il ne faut néanmoins pas croire que ce type de venaison était disponible pour tous les Parisiens. Replaçons l’épisode dans son contexte. Pour la dernière fois de son histoire, Paris subit un siège. Cela signifie que la population alentour vient se réfugier derrière les murs de la ville, entraînant ses troupeaux derrière elle. Les berges de la Seine se muent en abreuvoirs pour tout ce bétail mais aussi les montures de la cavalerie. Paris compte cent mille chevaux en septembre 1870. Le chiffre va très vite décroître car le fourrage fait défaut, et il faut alimenter les boucheries. À cette époque, l’hippophagie est encore marginale dans la capitale. Des initiatives comme le grand banquet hippophagique de 1866 sont lancées à la fin du Second Empire pour proposer aux classes populaires cette viande moins onéreuse.
Les chevaux ne peuvent suffire à nourrir les Parisiens. Il faut se reporter sur des animaux dont la consommation aurait paru scandaleuse aux habitants en temps de paix. Il s’agit des chiens, des chats et des rats. Les caricaturistes comme Cham ont trouvé là matière à croquer les Parisiens en quête de viandes non conventionnelles. Des boucheries canines, félines et même murines proposent aux habitants des morceaux en proportion des bêtes abattues.
Revenons à nos animaux exotiques. Il a longtemps été dit que les animaux de la ménagerie du Jardin des Plantes, et à commencer ses éléphants, avaient été sacrifiés pour nourrir les Parisiens. En réalité, Paris abrite alors une autre ménagerie, au Jardin d’Acclimatation. Cette institution privée est destinée aux essais d’introduction de nouvelles espèces, et aux loisirs des petits et des grands. L’entretien de ces animaux se révèle onéreux en temps de guerre, quand les Parisiens sont accaparés par leur défense et leur survie. Certaines bêtes, comme les éléphants Castor et Pollux, sont finalement abattues et vendues à M. Deboos, de la Boucherie anglaise, pour être ensuite consommées dans les restaurants des beaux quartiers, à des prix très élevés, bien que d’aucuns qualifièrent d’infâme cette viande d’éléphant.
Quant aux animaux du Jardin des Plantes, ils n’ont pas fini leur existence en civet mais ont réussi, pour la plupart, à traverser l’épreuve du conflit grâce aux soins prodigués par le personnel chargé de leur entretien.
* Luc Menapace est chargé de collections en sciences biologiques et paléontologie à la Bibliothèque nationale de France.
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