Chronique La chronique de Joe Gillis
Le premier film pornographique français se passait au restaurant
Attention, parents éloignez vos enfants de cet article!
Dans Comprendre ma cuisine intérieure : décoder ce que manger veut dire (InterÉditions, 2010), Michel Gillain cite, parmi les signes du lien existant entre l’instinct de faim et l’instinct de reproduction, le proverbe populaire « Qui chipote à table, chipote au lit ». Car l’alimentation comme le sexe contiennent la même promesse, celle du plaisir. C’est ce vieux fond qui a sans doute inspiré le premier film français pornographique intitulé Mousquetaire au restaurant, un court-métrage de 7 minutes 48 et muet qui daterait de 1908.
L’histoire est assez simple : un mousquetaire demande à un aubergiste : « Je voudrais manger, boire et baiser ». Une serveuse puis deux viennent alors se livrer à la débauche avec ce client. Chaque mini-scène pornographique est annoncée par un carton -muet oblige- jusqu’à l’explosion de plaisir dudit mousquetaire célébrée par un carton titré « Sirop Cordom ». Il suffit aussi de préciser que l’auberge où s’est arrêté le mousquetaire s’appelle « À les culs d’or, on loge à pieds et à cheval » ou encore qu’une fellation était annoncée par le carton titré « La pompe Moildar », pour comprendre combien les auteurs de ce film pionnier n’hésitaient pas à jouer sur le registre du jeu de mots. Dans ce court-métrage, le vieux fond réunissant plaisir de l’alimentation et plaisir du sexe s’enrichissait donc d’une troisième variété : le plaisir de l’humour gras.
Et si l’on passe en revue chaque carton de ce Mousquetaire au restaurant faisant un parallèle entre l’alimentation et le sexe (pour celles et ceux qui souhaitent voir ce qu’il y a entre les cartons, le film figure en deux parties -si j’ose dire- sur Wikimedia Commons, là puis là), il est possible d’établir des liens avec toute la tradition humoristique grivoise française quasiment jusqu’à nos jours…
Les premiers échanges entre le mousquetaire et la serveuse sont des baisers titrés « Fricassée de museaux ». Mais cette « Fricassée de museaux » est également le titre d’une carte postale de l’illustrateur et peintre Xavier Sager. Né en 1870 et mort en 1930, Sager est l’auteur de milliers de cartes postales sous son propre nom ou sous des pseudonymes. Il est d’ailleurs l’un des premiers à éditer des cartes postales humoristiques, parfois émoustillantes sur la mode féminine.
Le carton « Langouste » qui suit, peut paraître, au premier abord, plus énigmatique puisqu’il précède une scène de roulage de pelle entre le mousquetaire et la serveuse. En fait, il faut aller consulter Le Dictionnaire pratique du créole de Guadeloupe (éditions Karthala, 2009) de Henry Tourneux et Maurice Barbotin, pour découvrir que « langouster » signifie « s’embrasser profondément sur la bouche en créole ».
Ensuite le mousquetaire introduit un doigt dans le vagin de la serveuse et en savoure le liquide, avec le carton « Oh la crevette ». Le spectateur entre ainsi dans la métaphore marine qui accompagne souvent les blagues graveleuses sur le sexe féminin. En 1981 encore, Marcel Gotlib faisait paraître une bande-dessinée intitulée Pervers Pépère (édition Les albums Fluide Glacial) qui retrace les aventures d’un homme véritable obsédé sexuel, parfois sadique et toujours exhibitionniste. C’est ainsi que, dans un strip où Pervers Pépère est aveugle, il s’exhibe devant une marchande de crevettes criant « Elle est belle ! », croyant sûrement avoir à faire avec une homologue tout aussi exhibitionniste.
Le carton d’après peut être trompeur puisqu’il annonce des « Asperges en branches », au pluriel donc, alors que les images n’en montre qu’une : le sexe du mousquetaire en érection. L’assimilation du phallus à l’asperge est un classique du sous-entendus grivois (ce n’est pas le seul, on le verra plus loin). L’illustrateur Alexandre (1930-2002) en a fait une sorte de spécialité. Il a en effet consacré son œuvre aux cartes postales « olé-olé » avec des séries comme « On a l’âge de son zizi », « Le nouvel art d’aimer », « Les positions de l’amour » ou encore « Péchés capitaux ». Il a même connu des tirages pouvant dépasser les centaines de milliers d’exemplaires. Ses thèmes de prédilection furent la chasse, la pêche, la pétanque, le camping, les bidasses ou les cocus avec, pour point commun, de toujours, soit montrer de la fesse, soit y faire allusion dans des rapprochements ou des jeux de mots scabreux. Les asperges relèvent d’un autre thème très prisé par Alexandre : les naturistes.
Le carton suivant titré « Saucisse en nichons » introduit une « branlette espagnole » ou, pour les amis du droit, une « cravate de notaire ». Et c’est encore Alexandre avec ses naturistes qui poursuivent la tradition avec des versions imagées et alimentaires du sexe, la saucisse succède donc à l’asperge pour désigner le phallus et l’illustrateur joue une fois de plus sur la confusion qui pourrait s’en suivre.
Alors qu’une fellation intervient, le carton titré « Bouchées à la reine » indique, par un subtil jeu de mots, de petits jeux de langues sur le sexe du mousquetaire. Là aussi, cette veine perdure puisque le numéro 12 de la série de DVD pornographiques intitulée Fellations (Leisure associated corporation-LCA, 2003) s’appelle « Bouchées à la reine ». À ne pas confondre avec la même spécialité culinaire attribuée à la reine Marie Leszczynska pour détourner Louis XV de ses maîtresses qui est aussi le titre d’une vieille chanson paillarde. Mais, dans cette chanson, lesdites bouchées sont les excréments de la reine que le roi avale et qu’il régurgite : « Crénom de Dieu les bouchées à la Reine/ Ça ne vaut rien ! » ?
Sans transition, le mousquetaire entreprend la serveuse en levrette avec un carton qui laisse deviner la voie choisie : « Dans le pot de moutarde ». Le site de vente par correspondance « Le Génie arverne » en propose aujourd’hui une version « farces et attrapes » avec un pot à moutarde zizi. Ce « gadget pouvant servir indéfiniment » (sic) est ainsi décrit : « D’un aspect tout à fait innocent, il s’agit en fait d’un faux moutardier parfaitement imité, qui dissimule un drôle de diable à l’intérieur… Lorsque l’on dévisse le récipient pour l’ouvrir, c’est non pas un serpent à musique qui en sort, mais un pénis en érection qui vous saute subitement après ! » (re-sic). Le site précise que c’est là « une joyeuse blague à jouer à la future mariée, lors de son enterrement de vie de jeune fille, ou bien à une copine croqueuse d’hommes, voire carrément nymphomane, pour son anniversaire, une fête, etc. Un gag également très efficace à la cantine ou au self-service pour vacciner une collègue un peu trop portée sur les goûts relevés » (encore sic). Et si vous n’êtes pas complètement convaincus, sachez que « les copines vont faire la queue pour venir voir l’objet de cette franche rigolade ! » (toujours sic).
Les deux scènes suivantes développent le parallèle sexuel et marin commencé avec la crevette. C’est d’abord le « Lavage de la moule » où la serveuse se lave l’intimité au dessus d’une bassine. Pas étonnant donc là de retrouver une carte postale d’Alexandre tirée de la série « La Pêche à la moule », série qui atteindra un tirage de 915 000 exemplaires tout de même ! C’était ce que l’on apprenait, entre autre, au Musée de l’érotisme de Paris qui avait consacré une exposition à Alexandre de novembre 2011 à mai 2012 sous-titrée : « Le Charme discret de la gauloiserie ».
Pour « La moule ouverte », la série d’Alexandre « La Pèche à la moule » aurait certes encore pu être mobilisée, mais la fin du XXe siècle a autorisé le remplacement des dessins par des photographies. Lorsque le mousquetaire voit arriver la seconde serveuse offerte et portée sur un plateau par le patron de l’auberge, on retrouve exactement la mise en scène de la femme nue de la carte postale « Plateau de fruits de mer bien garni » datant de 1980.
Le mousquetaire revient ensuite au « Sauté de levrette » qui n’est qu’un homonyme du sauté de veau à la Levrette cherry. Cette recette proposée pour la Saint-Valentin par les magasins « Vins et Bières » se prépare avec de la Levrette cherry qui est une « bière blanche filtrée avec du vrai jus de cerises », médaillée d’or de l’édition 2009 du Mondial de la bière de Strasbourg. Remarquons que « Vins et Bières » entretiennent volontiers la gauloiserie en titrant la présentation de la recette, avec ambiguïté et point d’exclamation : « Une Levrette pour la Saint-Valentin ! ». Et on ne commentera pas le choix d’une lapine comme visuel sur l’étiquette de la bière.
Ensuite, un carton annonce « Sandwitch à la gousse » alors que la seconde serveuse fait un cunnilingus à la première. L’expression vient du verbe d’argot « gousser » qui signifie « manger ». La « gousse » a donc désigné, également en argot, la lesbienne, c’est-à-dire celle qui gamahuche sa partenaire. Blaise Cendrars, dans La Main coupée (Denoël, 1946), écrit ainsi : « Ces deux grandes dames (un ménage de gousses) avaient été recueillir des fonds pour la Croix-Rouge Française ». Précédemment, en 1926, Pierre Louÿs avait été encore plus explicite dans son roman érotique Trois filles de leur mère, (René Bonnel éditeur) avec ce dialogue extrait du chapitre II :
« -Veux-tu ma bouche ou mon cul ?
-Je veux tout toi.
-Tu n’auras pas mon foutre. Je n’en ai plus une goutte dans le ventre. Elles m’ont trop goussée depuis ce matin.
-Qui ?
-Mes filles ».
Juste avant de jouir, le mousquetaire relève la serveuse allongée de dos sur la table et la porte pour aller l’allonger sur le sol. Le carton annonce une « Pièce montée à la Jeanfille ». L’époque contemporaine poursuit cette veine puisqu’il existe une figurine de gâteau (ou « cake-topper ») à placer au sommet d’une pièce montée nuptiale où les jeunes mariés sont dans la position de l’« union suspendue » du Kamasutra -Monsieur portant Madame qui l’enlace de ses jambes- comme le mousquetaire le fait avec la serveuse.
Le mousquetaire, après tous ces « plats », libère son « Sirop Cordom »… on remarquera cependant qu’en arrivant dans cet auberge, le mousquetaire voulait « manger, boire et baiser ». À la fin, il a certes trinqué avec la serveuse, il a aussi forniqué, mais il n’aura pas mangé. Peut-être parce que « Qui chipote au lit, chipote à table ».
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