Bien manger en prison n’est pas une priorité. Il faut surtout nourrir les prisonniers, trois fois par jour, toute l’année, parfois presque toute une vie. A tel point que de nombreux détenus boudent la restauration pénitentiaire, entraînant un phénoménal gaspillage.
L’an dernier, dans le cadre du festival Cuisines en Friche, l’ancien chef étoilé Michel Portos est allé passer une semaine à la maison d’arrêt des Baumettes. A cette occasion deux sessions d’ateliers cuisines ont été organisées dans les locaux des ateliers, et ont été ensuite diffusées sous forme d’émissions culinaires sur le canal vidéo interne. Un projet de dialogue entre l’art, la prison et la société mené par Lieux Fictifs et La Friche Belle de mai dans le cadre de Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture.
Un atelier d’écriture autour de « la cuisine du souvenir », mené par l’auteure Ingrid Thobois, a également eu lieu. Michel Portos témoigne aujourd’hui des pratiques alimentaires des détenus et des trésors d’ingéniosité qu’ils déploient autour de la nourriture.
En quoi consistait votre mission au centre pénitentiaire des Baumettes ?
L’idée, c’était de cuisiner un repas complet pour 1800 détenus, et de leur donner des cours de cuisine pendant une semaine. Car ils sont très nombreux à cuisiner dans leur cellule avec ce qu’ils achètent à la cantine (le « cantinage », dans la langue pénitentiaire, est une pratique qui consiste à acheter des produits pour améliorer l’ordinaire, comme des cigarettes, mais aussi des aliments, dans le magasin de la prison, NDLR). J’ai, à la fin, proposé 18 recettes, réalisables avec le peu de matériel dont les prisonniers disposent. Leur réalisation a été filmée et ces images sont diffusées sur la télé interne des Baumettes.
Qu’avez vous retiré de cette expérience hors du commun pour un chef ?
C’était bien sûr très émouvant, car les détenus attendaient énormément de cette rencontre. Moi, je ne savais pas pourquoi ils étaient là. Mais, comme à chaque fois qu’il s’agit de cuisine, il y a eu des échanges simples et directs. Beaucoup de nationalités différentes sont représentées aux Baumettes, et chacun a participé aux ateliers avec sa culture, ses habitudes alimentaires… Du coup on a échangé pas mal de choses, des recettes, des idées, des tours de main.
Qu’ont-ils comme matériel pour cuisinier en cellule ?
Une plaque électrique de 20 cm de diamètre qui ne chauffe pas plus de 250 watts. Une poêle, une casserole, un petit couteau à bout carré, pour éviter les incidents….. Autant vous dire que c’est compliqué. Et bien, avec ça, ils font des trucs incroyables : des pizzas, des tajines, des makrouts ! Un brésilien fait même des pâtisseries, de la brioche, à l’aide d’un four qu’il a bricolé avec des boîtes de conserve… Les détenus m’ont bluffé, ce sont de vrais Mac Gyver de la cuisine.
La nourriture, c’est important pour eux ?
Certains passent quatre heures par jour à cuisiner ! Ça fait déjà une demi-journée où tu ne penses pas à autre chose… La nourriture, c’est hyper important, surtout quand on est enfermé. Et beaucoup de détenus ne mangent que ce qu’ils cuisinent.
Il faut dire que la nourriture proposée en prison n’a pas bonne presse. A tel point que le ministère de l’Agriculture a mis à son agenda un programme dédié à l’amélioration de « l’offre alimentaire en milieu carcéral ». Vous avez goûté, c’est comment ?
Il faut le dire, c’est pathétique. Il semblerait d’ailleurs que 60 à 70 % des plateaux repas partent à la poubelle ! C’est aussi un geste pour défier l’administration mais c’est vrai que ce n’est pas bon. Pas immangeable non plus. Après, c’est comme à l’hôpital, quand on a que ça à penser, ça devient insupportable. Mais la mission de l’administration pénitentiaire, c’est de nourrir les détenus, point. La diététique, c’est pareil, ce n’est pas le premier des soucis. 95 % des produits, c’est de la boîte ou des surgelés, des produits très bas de gamme.
Votre venue dit quelque chose de la volonté de l’administration marseillaise d’améliorer un peu les choses. C’est possible selon vous ?
C’est clairement un sujet polémique. Quand les gens à l’extérieur ont su que j’étais allé cuisiner en prison, beaucoup n’ont pas compris. Après tout, ce sont des détenus, on va pas en plus leur faire du gastronomique… Et je peux comprendre cette réaction. Mais ce sont des hommes malgré tout. Et entre un tas de cochonneries et le grand luxe, il y a peut-être un équilibre à trouver.
Vous vous êtes vous même frotté à l’exercice, qu’avez-vous préparé ?
Notre but n’était pas de mettre une fois dans l’année du caviar au menu, mais de montrer que par petites touches, on peut améliorer l’ordinaire. Mais ça demande une sacrée énergie. Moi, je n’ai utilisé que des produits frais. Des légumes à la grecque, une cuisse de volaille aux épices avec une purée de patates douces, et un flan aux œufs avec des poires et un caramel au beurre salé. Le tout pour guère plus cher que le coût d’un plateau repas. Mais il m’a fallu deux jours. C’est la grosse différence. Le chef des Baumettes, avec les détenus qui travaillent en cuisine, il doit sortir trois repas quotidiennement. Donc il ne va pas faire des miracles.
Vous venez aussi d’effectuer une mission auprès de l’APHM (Assistance publique-Hôpitaux de Marseille). Comme les détenus, les usagers des hôpitaux sont ciblés par le prochain plan national sur l’alimentation. Y-a-t-il des similitudes entre les deux univers ?
Oui, clairement. Dans les deux cas, le nombre de repas à servir est tellement énorme, avec de telles contraintes budgétaires, que c’est difficile de faire de la qualité. Mais l’hôpital est particulier car c’est extrêmement complexe de gérer les régimes, les recommandations médicales, l’état post-opératoire, les malades du diabète, les intolérants à ceci ou cela… D’ailleurs, c’est un robot muni de fiches perforées et d’un bras articulé qui garnit les plateaux-repas en fonction des régimes de chacun. C’est proprement hallucinant à voir fonctionner.
Les patients se plaignent-ils de ce qu’ils mangent ?
Oui, bien sûr mais je prends cette information avec distance, car le contexte n’est pas favorable. Il faut sortir 11 000 repas par jour, ce n’est pas un restaurant pour 40 personnes… Il y a quand même moins de « boîtage » qu’en prison. L’idée de ma venue n’était pas de faire une révolution mais de tenter de rectifier certains plats. Sur un sauté d’agneau au curry, renforcer les épices, lier davantage une soupe, améliorer la qualité de la salade pour que les gens la mangent davantage.
L’un des problèmes des grosses cuisines centrales, c’est que le personnel est souvent démotivé car éloigné du public. C’est peu gratifiant pour un cuisinier…
Ils sont motivés, mais le vrai problème c’est la formation. Si tu n’es pas formé en cuisine classique, tu ne vas pas avoir un vrai geste de cuisinier. La formation en cuisine collective, je la connais, c’est le CAP que j’ai fait quand j’étais jeune. C’est pas l’idéal. Et il y a le budget : avec 3 euros par plateau, pour entrée, plat, fromage, dessert, pain, c’est effrayant! Je ne suis pas sûr qu’un Marc Veyrat ou un Troisgros pourrait faire mieux ! Et puis honnêtement, j’ai mangé cette semaine dans un restaurant sur le vieux port à Marseille, et c’était infâme… Haricots verts en boîte, volaille avec une farce noire, une vraie catastrophe. Pas pire que ce que j’ai mangé en prison ou à l’hôpital. Mais vous êtes en plein air, avec des amis, et pas cloué au lit ou coincé dans 10 mètres carrés, donc ça passe mieux.
Télécharger l’ensemble des textes issus de l’atelier d’écriture mené par Ingrid Thobois.
Après Michel Portos en 2013, la deuxième saison de l’émission « Prison Breakfast » se poursuit en 2014, avec le Chef de l’Intercontinental Marseille – Hôtel Dieu, M. Lionel Lévy.
Partagez moi !
Vous pourriez aussi être intéressé par
Analyse
La révolution Ozempic provoque panique et réinvention dans l’industrie agroalimentaire
Analyse Agriculture
Haut débit et débit de haies
Analyse Un œil sur le monde