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Transition alimentaire, filières et territoires : une synergie indispensable dans un contexte de crise polymorphe

21.11.19

L’AcadĂ©mie d’agriculture de France (AAF) vient de publier un rapport intitulĂ© « Transition alimentaire : pour une politique nationale et europĂ©enne de l’alimentation durable orientĂ©e vers les consommateurs, les filières et les territoires ». Ce document, après avoir montrĂ© l’impasse dans laquelle se trouve le modèle agroindustriel, analyse la nature de la transition en cours tant du cĂ´tĂ© de la consommation que de celui de la production au sein des systèmes alimentaires en France et en Europe. 9 propositions d’action sont faites pour mettre le cap sur une alimentation durable pour tous, avec pour fondement la construction de systèmes alimentaires territorialisĂ©s (SAT).

Le diagnostic de nos systèmes alimentaires contemporains est prĂ©occupant, car il pointe une double menace sur la santĂ© humaine et sur celle des Ă©cosystèmes comme en attestent de nombreuses publications scientifiques. La prospective qui en dĂ©coule conduit Ă  privilĂ©gier un scĂ©nario alternatif vers une alimentation durable, responsable et Ă©quitable. Un tel scĂ©nario suppose une intervention soutenue des pouvoirs publics Ă  tous les niveaux : local (territoires), national (État) et europĂ©en (UE). En France, le chantier ouvert par la loi Egalim d’octobre 2018 — dont le bilan est dĂ©cevant, un an après sa promulgation — doit ĂŞtre relancĂ© par une loi « Alimentation durable » authentique et ambitieuse. En effet, dans le champ de l’alimentation les dĂ©faillances de marchĂ© sont nombreuses et peuvent prendre une grande ampleur compromettant la sĂ©curitĂ© alimentaire. Ces dĂ©faillances seront exacerbĂ©es par le changement climatique, l’instabilitĂ© gĂ©opolitique et la montĂ©e des inĂ©galitĂ©s socio-Ă©conomiques. Il y a donc urgence Ă  mieux rĂ©guler les systèmes alimentaires pour anticiper le choc des crises et amĂ©liorer ce bien commun qu’est l’alimentation. 

Pour construire une telle politique de l’alimentation durable, le groupe de travail de l’AAF recommande neuf actions que l’on peut rĂ©sumer comme suit.

Trois prĂ©alables fondateurs : un cadre stratĂ©gique, une prioritĂ© Ă  la dĂ©mocratie alimentaire, une gouvernance territoriale.

Premièrement, l’élaboration d’une stratĂ©gie agricole et alimentaire Ă  l’horizon 2030 (SAA 2030) en consultant les reprĂ©sentants de l’ensemble des acteurs des systèmes alimentaires. Cette stratĂ©gie traitera Ă  la fois des questions de consommation, de production et de distribution dans un objectif de santĂ© humaine et environnementale. Elle devra ĂŞtre mise en cohĂ©rence et articulĂ©e avec les autres dispositifs lĂ©gislatifs et rĂ©glementaires concernĂ©s aux plans des collectivitĂ©s territoriales, de l’État et des traitĂ©s internationaux, ce qui implique une rĂ©elle coordination interministĂ©rielle.

Deuxièmement, une réduction de la précarité alimentaire, en rénovant le dispositif de l’aide alimentaire afin de faciliter un accès de tous à une alimentation de bonne qualité nutritionnelle. À cet effet, le dispositif français et européen d’aide alimentaire doit évoluer vers une « lutte contre la précarité alimentaire » en étant mieux doté financièrement, en diversifiant la liste des produits agréés, en améliorant la logistique de collecte et d’acheminement et en augmentant le nombre de points de distribution.

Troisièmement, la mise en place d’un dispositif spécifique transversal de gouvernance alimentaire au sein des collectivités locales (avec un rôle accru des Régions), coordonné par l’État dans un cadre interministériel. Ce dispositif réunira des représentants des institutions publiques, des organisations professionnelles et des associations intervenant dans le système alimentaire. Il aura une mission de coordination des différents services compétents en matière d’alimentation dont l’organisation actuelle en silo se révèle contre-performante. Il doit être articulé avec une transformation de la politique agricole commune (PAC) en politique alimentaire et agricole commune (PAAC) durable.

Trois instruments d’une dynamique : une plateforme collaborative multi-acteurs, des ressources humaines et financières redĂ©ployĂ©es, des formations adaptĂ©es.

Quatrièmement, la création d’une plate-forme collaborative numérique recensant et décrivant des initiatives pour une alimentation responsable et durable et gérant un forum de discussion et de mise en relation. Cette plate-forme facilitera la mutualisation de savoirs et de moyens et l’émergence de projets collectifs entre professionnels des filières et société civile. Afin de garantir son indépendance, elle serait intégrée à un observatoire des acteurs innovants des systèmes alimentaires hébergé par FranceAgriMer, à l’instar de l’Observatoire de la formation des prix et des marges alimentaires.

Cinquièmement, un renforcement et un redĂ©ploiement des ressources humaines et financières dans le dispositif public (Cirad, Inra, Ird, enseignement supĂ©rieur), et privĂ© (instituts techniques, CRT, PĂ´les de compĂ©titivitĂ© et entreprises) de R&D vers le thème de l’alimentation durable. Cet objectif implique une refonte des programmes de recherche et un soutien Ă  la dissĂ©mination des innovations en ciblant les producteurs agricoles et les PME/TPE agroalimentaires et commerciales. Il se traduira par une prioritĂ© donnĂ©e aux projets de durabilitĂ© alimentaire ainsi qu’à la mise en place d’appels Ă  projets spĂ©cifiques accessibles Ă  tous les acteurs des filières. Afin d’être en phase avec la construction de systèmes alimentaires territorialisĂ©s, le dispositif de recherche sera rĂ©gionalisĂ©, en connexion avec les systèmes alimentaires territorialisĂ©s. 

Sixièmement, une intégration de la problématique et des contenus de l’alimentation durable dans les programmes de l’enseignement primaire, secondaire et universitaire et de formation professionnelle continue. Ce cursus visera à mieux appréhender la notion de « double santé » (homme et nature) et le lien entre consommateurs, filières et territoires. Il insistera sur la montée des maladies chroniques alimentaires et leur prophylaxie par un régime varié et équilibré. À cet effet, un renforcement significatif des dotations budgétaires du PNNS et du PNA est indispensable.

Trois dispositifs incitatifs : une information objective par des labels publics, des instruments financiers stimulants, une coopĂ©ration internationale revisitĂ©e.

Septièmement, une information objective, transparente et efficace des consommateurs par une communication gĂ©nĂ©rique multimĂ©dia et des labels. Elle sera financĂ©e par une taxe sur la publicitĂ© commerciale. L’encadrement de cette publicitĂ© doit ĂŞtre renforcĂ© et inclure une protection des catĂ©gories vulnĂ©rables de la population, notamment les enfants. Le label nutritionnel NutriScore devra ĂŞtre gĂ©nĂ©ralisĂ©. Un label ou un indice « Alimentation durable » intĂ©grant les diffĂ©rents critères du dĂ©veloppement durable sera créé. Ce label complĂ©tera la palette des signes de qualitĂ© officiels de l’INAO. L’efficacitĂ© de l’information est conditionnĂ©e par celle, prĂ©alable, de la formation (point 6).

Huitièmement, un ensemble cohĂ©rent d’incitations financières (aides aux investissements matĂ©riels et immatĂ©riels et fiscalitĂ©) proportionnĂ©es aux enjeux et un dispositif public de contrĂ´le efficace. Les appuis Ă  l’investissement doivent ĂŞtre conditionnĂ©s Ă  l’objectif de durabilitĂ© et cibler principalement les entreprises agricoles, les TPE et PME artisanales, industrielles et commerciales afin de prĂ©venir une dĂ©structuration du tissu Ă©conomique agricole et agroalimentaire par segmentation et concentration. Les distorsions de concurrence par effet de taille sont Ă  corriger. Les contrĂ´les de qualitĂ© doivent ĂŞtre renforcĂ©s pour tous les types d’entreprises, en aidant les TPE/PME Ă  se mettre aux normes. Une double fiscalitĂ© est suggĂ©rĂ©e : incitative (taux prĂ©fĂ©rentiel de TVA pour les produits locaux de bonne qualitĂ© nutritionnelle) et dissuasive (taux Ă©levĂ© de TVA ou taxes spĂ©cifiques pour les produits Ă  impact nĂ©gatif avĂ©rĂ© sur la santĂ© humaine et environnementale et l’emploi).

Neuvièmement, une rĂ©vision de la coopĂ©ration internationale nord-sud-nord et sud-sud au sein d’une « Verticale gĂ©ostratĂ©gique » Afrique-MĂ©diterranĂ©e-Europe (AME), avec trois prioritĂ©s : un rapprochement entre systèmes alimentaires territorialisĂ©s (coopĂ©ration dĂ©centralisĂ©e)  ; des Ă©changes commerciaux contractualisĂ©s pour garantir une sĂ©curitĂ© alimentaire macro-rĂ©gionale, dans le respect de la souverainetĂ© alimentaire de chaque pays  ; et enfin, une action politique concertĂ©e vigoureuse pour rĂ©duire les distorsions de concurrence engendrĂ©es par des effets de taille des entreprises et la non-prise en compte du dumping social et environnemental dans les règles actuelles de l’OMC.

Vers une transition socio-écologique intégrant les valeurs humanistes de l’alimentation.

La rĂ©ussite d’une telle politique alimentaire passe par une prise de conscience des enjeux par l’ensemble des acteurs : pouvoirs publics, entreprises, consommateurs. Elle implique des modifications de comportement guidĂ©es par les valeurs du dĂ©veloppement durable. Dans cette politique, les concepts clĂ©s s’intitulent : soutenabilitĂ©, qualitĂ©, proximitĂ©, solidaritĂ©, innovation, transparence et gouvernance participative.

Toute transition vient confirmer la prophĂ©tie de Victor Hugo : « Il n’est rien de plus puissant qu’une idĂ©e dont le temps est venu ». Encore faut-il que l’idĂ©e se mue en rĂ©alitĂ©. Il est dĂ©sormais urgent d’agir en faveur d’une transition alimentaire durable. Finalement, la transition alimentaire apparaĂ®t comme une composante vitale et humaniste de la transition socio-Ă©cologique en cours impulsĂ©e par un nombre croissant de citoyens dans le monde.

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