Chronique La chronique de Joe Gillis
Représenter la gourmandise aujourd’hui …
Les photographies de chatons font fureur sur le net où, quel que soit le réseau et quelle que soit sa sociabilité, il est impossible d’échapper à ces pourtant résistibles boules de poils. Mais internet ne sert pas uniquement de déversoir aux mièvreries félines, il permet aussi aux créateurs et aux artistes de réaliser l’exposition virtuelle de leurs œuvres. En cherchant : « tableaux gourmandise », le surfeur numérique tombe sur plusieurs œuvres d’artistes mal connus, méconnus ou carrément inconnus. Petit tour d’horizon de la représentation de la gourmandise qui est pourtant un péché capital…
Des enfants pas si innocents que ça !
Quand les peintres du net mobilisent les enfants pour illustrer la gourmandise, ils font appel, visuellement, à la représentation de l’abondance et de la disproportion entre la taille des enfants et la nourriture convoitée. L’enfant, qu’il soit fille ou garçon, sera donc placé assez systématiquement devant une accumulation de nourriture, plutôt sucrée.
Et comme les personnages représentés sont des enfants très jeunes, leur petite taille nécessite des efforts pour attraper cette nourriture quasiment inaccessible.
Enfin, autre contraste, la blondeur des têtes qui renvoient à un univers d’enfants sages ne signifie aucunement qu’ils sont bien élevés puisqu’ils n’hésitent pas à manger avec leurs doigts, dernier trait de la représentation de la gourmandise infantile. Ils ont donc tendance à s’en foutre partout et à se salir, mais avec le regard plein d’indulgence des artistes. Pierre Lussier intitule son tableau : « La petite gourmande », la taille de la fautive semble réduire la gravité du péché. Quant à Francine Kellerstein, elle explique : « J’ai pu capturer cet instant , mon petit-fils qui dégustait un beignet, lors d’un voyage au Mexique ! »
L’image dominante est donc celle du « garnement » blond qui chipe de la nourriture et s’empiffre ou s’apprête à s’empiffrer. Il y a bien transgression, car ce qui est condamné dans la gourmandise chez les catholiques, c’est la gloutonnerie, c’est à dire le fait de manger sans limite. Or les plats abondants dans lesquels tapent ces enfants relèvent bien de cette gloutonnerie ! La punition devrait donc suivre ? Ils mangent jusqu’à s’en rendre malade ? Mais les peintres se limitent à représenter la gentille voire attendrissante transgression, pas ses possibles conséquences digestives.
Des hommes enfin raisonnables ?
Mais où sont-ils ? Patrick Juvet chantait Où sont les femmes ? en 1977, mais, en 2017, quand on cherche une représentation de la gourmandise avec un homme, il faut se rendre à l’évidence : où sont les hommes ?
Le seul tableau contemporain est celui de Jacqueline Baillargeat qui se décrit comme « une femme passionnée par le dessin depuis toujours, c est un don que j’ai de mon père ». Et le tableau rejoint une vision associant gourmandise et sensualité.
Sinon, la quasi absence d’images d’hommes laisserait penser qu’ils sont devenus raisonnables ? Qu’ils ne cèdent plus à la tentation ? Parce qu’une visite sur les sites de gravures anciennes des deux siècles derniers, du XIXe et du XXe et même bien avant avec Jérôme Bosch, montrent que la gourmandise masculine était très répandue : on ripaille beaucoup entre amis aussi gras que gourmands !
Alors pourquoi les hommes gourmands ont-ils disparus des représentations contemporaines de la gourmandise ? Tout simplement parce que ces hommes étaient toujours peints comme cédant au péché de la gourmandise version gloutonnerie et qu’à partir du moment où le fait religieux avec sa condamnation morale sont en recul dans nos sociétés, l’intérêt d’une peinture, comme satire morale ou caricature d’une époque, disparaît.
Seuls les enfants peuvent, de nos jours, encore céder à la gloutonnerie. Les derniers hommes qui se sont empiffrés, sont ceux de La grande bouffe de Marco Ferreri et c’était en 1973. Dans ce film, la gloutonnerie, certes suicidaire, était appelée « séminaire gastronomique » et se mêlait avec des jeux érotiques et sexuels… annonçant l’arrivée de la gourmandise version féminine.
Les femmes et la promesse de sensualité
Lorsque l’on cherche des représentations féminines de la gourmandise, on retombe vite sur la même abondance que celles avec des enfants. Et la première caractéristique de ces représentations est l’unanimité de l’utilisation du rouge : quand la nourriture n’est pas rouge (la cerise, la pomme), ce sont les lèvres et les ongles maquillés ou la robe portée par la figure peinte.
Ensuite, il est impossible de séparer toutes ces œuvres de l’idée de tentation. Seules des artistes féminines n’hésitent pas à peindre des femmes rondes, c’est à dire représenter une tentation d’abord pour le modèle.
Le site qui présente le tableau de Florence H à la vente résume l’état d’esprit de l’œuvre : « Clin d’œil à propos de la gourmandise, l’amour des bonnes choses, l’éloge des rondeurs… Au diable les complexes ! »
Car, sinon, toutes les autres œuvres choisissent de représenter une tentation qui joue directement avec une sensualité plus classique et normée. Dès lors, pas étonnant de voir une multitude de pommes dans une allusion directe à Eve et à un autre péché que celui de la gourmandise.
Pas étonnant non plus de voir des décolletés plongeant puisque l’érotisme est là où « le vêtements baîlle » (Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Seuil, 1973), voire, carrément, une femme nue.
Enfin les bouches de ces femmes à la sensualité bien calculée sont toujours ouvertes accentuant la représentation fantasmée de la disposition à l’engloutissement et l’allusion sexuelle explicite. À ce titre, le tableau de Sandro ajoute un regard tourné vers quelqu’un placé au-dessus de la femme, comme si la sensualité féminine, vue par un homme, ne pouvait passer que par la soumission.
Au terme de ce voyage, la gourmandise ne demeure que gloutonnerie dans les tableaux avec des modèles enfants. En revanche, elle quitte le registre des « sept péchés capitaux » pour s’ancrer dans le registre du « péché originel », en se connotant largement de sensualité et de fantasmes sexuels, dès que les modèles se féminisent et laissent croire en leur disponibilité. Quant aux hommes, leur quasi disparition des tableaux les place hors-cadre, dans la position du voyeur et du spectateur d’une gourmandise devenue bien peu alimentaire.
Image de Une : Sandro
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