Chronique Chronique
Transition alimentaire, filières et territoires : une synergie indispensable dans un contexte de crise polymorphe
L’Académie d’agriculture de France (AAF) vient de publier un rapport intitulé « Transition alimentaire : pour une politique nationale et européenne de l’alimentation durable orientée vers les consommateurs, les filières et les territoires ». Ce document, après avoir montré l’impasse dans laquelle se trouve le modèle agroindustriel, analyse la nature de la transition en cours tant du côté de la consommation que de celui de la production au sein des systèmes alimentaires en France et en Europe. 9 propositions d’action sont faites pour mettre le cap sur une alimentation durable pour tous, avec pour fondement la construction de systèmes alimentaires territorialisés (SAT).
Le diagnostic de nos systèmes alimentaires contemporains est préoccupant, car il pointe une double menace sur la santé humaine et sur celle des écosystèmes comme en attestent de nombreuses publications scientifiques. La prospective qui en découle conduit à privilégier un scénario alternatif vers une alimentation durable, responsable et équitable. Un tel scénario suppose une intervention soutenue des pouvoirs publics à tous les niveaux : local (territoires), national (État) et européen (UE). En France, le chantier ouvert par la loi Egalim d’octobre 2018 — dont le bilan est décevant, un an après sa promulgation — doit être relancé par une loi « Alimentation durable » authentique et ambitieuse. En effet, dans le champ de l’alimentation les défaillances de marché sont nombreuses et peuvent prendre une grande ampleur compromettant la sécurité alimentaire. Ces défaillances seront exacerbées par le changement climatique, l’instabilité géopolitique et la montée des inégalités socio-économiques. Il y a donc urgence à mieux réguler les systèmes alimentaires pour anticiper le choc des crises et améliorer ce bien commun qu’est l’alimentation.
Pour construire une telle politique de l’alimentation durable, le groupe de travail de l’AAF recommande neuf actions que l’on peut résumer comme suit.
Trois préalables fondateurs : un cadre stratégique, une priorité à la démocratie alimentaire, une gouvernance territoriale.
Premièrement, l’élaboration d’une stratégie agricole et alimentaire à l’horizon 2030 (SAA 2030) en consultant les représentants de l’ensemble des acteurs des systèmes alimentaires. Cette stratégie traitera à la fois des questions de consommation, de production et de distribution dans un objectif de santé humaine et environnementale. Elle devra être mise en cohérence et articulée avec les autres dispositifs législatifs et réglementaires concernés aux plans des collectivités territoriales, de l’État et des traités internationaux, ce qui implique une réelle coordination interministérielle.
Deuxièmement, une réduction de la précarité alimentaire, en rénovant le dispositif de l’aide alimentaire afin de faciliter un accès de tous à une alimentation de bonne qualité nutritionnelle. À cet effet, le dispositif français et européen d’aide alimentaire doit évoluer vers une « lutte contre la précarité alimentaire » en étant mieux doté financièrement, en diversifiant la liste des produits agréés, en améliorant la logistique de collecte et d’acheminement et en augmentant le nombre de points de distribution.
Troisièmement, la mise en place d’un dispositif spécifique transversal de gouvernance alimentaire au sein des collectivités locales (avec un rôle accru des Régions), coordonné par l’État dans un cadre interministériel. Ce dispositif réunira des représentants des institutions publiques, des organisations professionnelles et des associations intervenant dans le système alimentaire. Il aura une mission de coordination des différents services compétents en matière d’alimentation dont l’organisation actuelle en silo se révèle contre-performante. Il doit être articulé avec une transformation de la politique agricole commune (PAC) en politique alimentaire et agricole commune (PAAC) durable.
Trois instruments d’une dynamique : une plateforme collaborative multi-acteurs, des ressources humaines et financières redéployées, des formations adaptées.
Quatrièmement, la création d’une plate-forme collaborative numérique recensant et décrivant des initiatives pour une alimentation responsable et durable et gérant un forum de discussion et de mise en relation. Cette plate-forme facilitera la mutualisation de savoirs et de moyens et l’émergence de projets collectifs entre professionnels des filières et société civile. Afin de garantir son indépendance, elle serait intégrée à un observatoire des acteurs innovants des systèmes alimentaires hébergé par FranceAgriMer, à l’instar de l’Observatoire de la formation des prix et des marges alimentaires.
Cinquièmement, un renforcement et un redéploiement des ressources humaines et financières dans le dispositif public (Cirad, Inra, Ird, enseignement supérieur), et privé (instituts techniques, CRT, Pôles de compétitivité et entreprises) de R&D vers le thème de l’alimentation durable. Cet objectif implique une refonte des programmes de recherche et un soutien à la dissémination des innovations en ciblant les producteurs agricoles et les PME/TPE agroalimentaires et commerciales. Il se traduira par une priorité donnée aux projets de durabilité alimentaire ainsi qu’à la mise en place d’appels à projets spécifiques accessibles à tous les acteurs des filières. Afin d’être en phase avec la construction de systèmes alimentaires territorialisés, le dispositif de recherche sera régionalisé, en connexion avec les systèmes alimentaires territorialisés.
Sixièmement, une intégration de la problématique et des contenus de l’alimentation durable dans les programmes de l’enseignement primaire, secondaire et universitaire et de formation professionnelle continue. Ce cursus visera à mieux appréhender la notion de « double santé » (homme et nature) et le lien entre consommateurs, filières et territoires. Il insistera sur la montée des maladies chroniques alimentaires et leur prophylaxie par un régime varié et équilibré. À cet effet, un renforcement significatif des dotations budgétaires du PNNS et du PNA est indispensable.
Trois dispositifs incitatifs : une information objective par des labels publics, des instruments financiers stimulants, une coopération internationale revisitée.
Septièmement, une information objective, transparente et efficace des consommateurs par une communication générique multimédia et des labels. Elle sera financée par une taxe sur la publicité commerciale. L’encadrement de cette publicité doit être renforcé et inclure une protection des catégories vulnérables de la population, notamment les enfants. Le label nutritionnel NutriScore devra être généralisé. Un label ou un indice « Alimentation durable » intégrant les différents critères du développement durable sera créé. Ce label complétera la palette des signes de qualité officiels de l’INAO. L’efficacité de l’information est conditionnée par celle, préalable, de la formation (point 6).
Huitièmement, un ensemble cohérent d’incitations financières (aides aux investissements matériels et immatériels et fiscalité) proportionnées aux enjeux et un dispositif public de contrôle efficace. Les appuis à l’investissement doivent être conditionnés à l’objectif de durabilité et cibler principalement les entreprises agricoles, les TPE et PME artisanales, industrielles et commerciales afin de prévenir une déstructuration du tissu économique agricole et agroalimentaire par segmentation et concentration. Les distorsions de concurrence par effet de taille sont à corriger. Les contrôles de qualité doivent être renforcés pour tous les types d’entreprises, en aidant les TPE/PME à se mettre aux normes. Une double fiscalité est suggérée : incitative (taux préférentiel de TVA pour les produits locaux de bonne qualité nutritionnelle) et dissuasive (taux élevé de TVA ou taxes spécifiques pour les produits à impact négatif avéré sur la santé humaine et environnementale et l’emploi).
Neuvièmement, une révision de la coopération internationale nord-sud-nord et sud-sud au sein d’une « Verticale géostratégique » Afrique-Méditerranée-Europe (AME), avec trois priorités : un rapprochement entre systèmes alimentaires territorialisés (coopération décentralisée) ; des échanges commerciaux contractualisés pour garantir une sécurité alimentaire macro-régionale, dans le respect de la souveraineté alimentaire de chaque pays ; et enfin, une action politique concertée vigoureuse pour réduire les distorsions de concurrence engendrées par des effets de taille des entreprises et la non-prise en compte du dumping social et environnemental dans les règles actuelles de l’OMC.
Vers une transition socio-écologique intégrant les valeurs humanistes de l’alimentation.
La réussite d’une telle politique alimentaire passe par une prise de conscience des enjeux par l’ensemble des acteurs : pouvoirs publics, entreprises, consommateurs. Elle implique des modifications de comportement guidées par les valeurs du développement durable. Dans cette politique, les concepts clés s’intitulent : soutenabilité, qualité, proximité, solidarité, innovation, transparence et gouvernance participative.
Toute transition vient confirmer la prophétie de Victor Hugo : « Il n’est rien de plus puissant qu’une idée dont le temps est venu ». Encore faut-il que l’idée se mue en réalité. Il est désormais urgent d’agir en faveur d’une transition alimentaire durable. Finalement, la transition alimentaire apparaît comme une composante vitale et humaniste de la transition socio-écologique en cours impulsée par un nombre croissant de citoyens dans le monde.
Partagez moi !
Vous pourriez aussi être intéressé par
Chronique
Lettre d’info n°12 – Du vin !
Chronique
De l’influence du CAC 40 sur la nourriture des athlètes des J.O.
Chronique