Chronique Radiographies du Coronavirus

On veut des frites !

10.05.20

Alimentation | La semaine dernière, notre petite série sur l’alimentation au temps du coronavirus parlait de quantité et du risque pour une immense partie de la planète de ne pas avoir assez à manger. Autrement dit d’avoir faim. Cette semaine, gros plan sur la qualité du contenu de nos assiettes et ses liens avec notre santé. Par Caroline Broué

Le guide culinaire Le Fooding ne manque pas de toupet. Encore moins d’idées saugrenues. Pour se divertir avec des choses sérieuses, il s’est demandé « Quels sont les plats qui manquent le plus aux Français? », et s’est adjoint pour répondre les services de l’institut de sondage Ifop.

Alors à votre avis, quels plats manquent le plus aux Français ? Et vous, qu’auriez-vous répondu ?…

Résultats : 49% des interrogés ont répondu « la pizza ». Suivent de près les moules-frites (44%) et le steak-frites (43%)…

Bizarrement, ce résultat m’a fait penser aux premières données d’un registre national selon lesquelles 83 % des patients atteints du Covid-19 en réanimation sont en surpoids. Les individus en situation d’obésité risquent plus de présenter une forme grave de la maladie, une information confirmée par le directeur général de la Santé Jérôme Salomon lors de son point presse du 7 avril dernier.

Comme de façon générale il existe un lien entre le surpoids et la survenue de maladies graves, je suis allée regarder de près les chiffres de l’obésité, et ils sont assez inquiétants : chaque année, trois millions de personnes en meurent, en France 17 % des adultes sont touchés, en Europe, près de 20% des élèves de 3e sont en surcharge pondérale, enfin d’après l’OCDE, 30% des Français pourraient bien être obèses d’ici dix ans…

Comment devient-on obèse et que sait-on de l’obésité ?

Sur l’obésité

D’abord, contrairement à une idée reçue, l’obésité n’est pas seulement due à la malbouffe, même si celle-ci est un facteur aggravant. Elle ne se résume pas à l’alimentation et à l’activité physique, mais est liée à des facteurs individuels, génétiques, sociétaux et environnementaux.

Nous avons contacté Karine Clément, professeure de nutrition et directrice de l’unité nutrition et obésité à Sorbonne universités. Elle nous a expliqué que les définitions de l’obésité variaient de l’indice de masse corporel supérieur à 30 à la dimension proprement médicale du phénomène. Elle nous a parlé d’une hormone clé dans le cerveau appelée « leptine », qui fonctionne comme une alerte pour réguler la consommation alimentaire.

Dans certains cas, la leptine ne fonctionne plus, par résistance ou à cause de maladies génétiques. Les personnes ont alors une envie irrépressible de manger tout le temps, et n’ont aucun moyen de contrôler leur alimentation.

En ce qui concerne le lien entre malbouffe et obésité, Karine Clément pense que

« L’enjeu n’est pas tant les fast food que le comportement alimentaire global, la façon et le rythme auquel on s’alimente. Des études montrent par exemple qu’une personne qui arrête de manger tôt le soir aura un meilleur métabolisme qu’une autre qui va manger très tard. D’autres facteurs jouent, comme le stress, les rythmes de vie, les aliments transformés, certains polluants. »

Cela dit, la nocivité de la junk food et des aliments ultratransformés n’est plus à démontrer. Mathilde Touvier est directrice de recherche en épidémiologie nutritionnelle à l’Inserm. Elle étudie les conséquences d’une alimentation grasse ou sucrée sur la santé, et nous l’avons interrogée sur le lien entre aliments ultra transformés et maladies.

Lien surpoids/maladies

Depuis plusieurs années, nous a-t-elle dit, « la recherche en nutrition et santé a permis d’établir des liens entre certains aliments et le risque de maladies chroniques comme les maladies cardio-vasculaires, les diabètes, etc. Ces recherches ont permis d’établir des recommandations qui ont été publiées et réactualisées par Santé Publique France ».

Ce sont les fameux cinq fruits et légumes par jour, les légumes secs (lentilles, haricots rouges, pois chiches), les aliments complets pour avoir des fibres, du poisson dont un gras deux fois par semaine, les matières grasses végétales. Des aliments à privilégier qui impliquent de limiter les produits laitiers, la consommation d’alcool, les aliments trop sucrés ou trop salés, la charcuterie à 150 grammes et la viande rouge à 50 grammes par semaine.

Ces recommandations sont à la fois quantitatives et qualitatives : il s’agit d’éviter les produits ultra transformés, de privilégier les produits bruts ou faits-maison, de saison, si possible bio, et d’y associer une activité physique.

Autrement dit, confinement ou pas, pas un médecin ne conseillera de manger des burgers frites tous les jours !

Récapitulons : manger des produits gras, salés, sucrés et/ou ultratransformés peut augmenter l’obésité qui aggrave les risques pour la santé. Dans le cas du coronavirus, qui nous intéresse ici, le lien semble établi entre surpoids et forme grave de la maladie. Ce sont en général les pauvres qui mangent le plus mal, et qui souffrent donc le plus de surpoids et de ses conséquences sur la santé. Ils ne consomment pas assez de fruits et légumes, de produits bruts, sains, de qualité, et la pandémie a conduit à une augmentation des prix. Résultat : beaucoup de gens mangent encore plus mal, et des Français interrogés dans un sondage ne rêvent que de pizzas et de frites !

Le droit de bien manger

Reste la question du budget, essentielle. L’alimentation saine n’est-elle pas réservée à un petit nombre d’individus qui en ont les moyens ? Il y a « quatre fois plus d’enfants d’ouvriers que d’enfants de cadres obèses, nous a dit Mathilde Touvier. 28% des adultes en France consomment au moins cinq fruits et légumes par jour, mais quand on regarde les bénéficiaires de l’aide alimentaire, ils ne sont que 6%. »

Un problème accentué par le confinement, puisque selon une étude de l’UFC-Que choisir, le prix des fruits et légumes a bondi de 9 % entre le 2 mars et le 6 avril, si bien que beaucoup de familles éprouvent de grandes difficultés à bien se nourrir. Pas étonnant dans ces conditions que beaucoup se ruent sur les Mc Do, prêts à faire des queues pendant des heures pour récupérer leurs commandes. Est-ce à dire que les Français, lassés de cuisiner tous les jours, vont commencer à moins bien se nourrir ? Il faudra suivre les études scientifiques à ce sujet.

Mais pour Mathilde Touvier,

Les recommandations sont compatibles avec les petits budgets. C’est bien plus cher d’acheter des plats déjà prêts, des pasta box par exemple, que d’acheter des pâtes complètes en faisant une sauce tomate maison.

Encore faut-il que cela se sache, qu’à l’école les enfants apprennent à bien manger, que les parents réapprennent à cuisiner, et que tout cela soit relayé au niveau politique.

Pour rendre plus accessible financièrement les produits de meilleure qualité, plusieurs leviers sont imaginables, notamment le fait de jouer sur des politiques nutritionnelles de santé publique. C’est l’avis de Mathilde Touvier : « On pourrait taxer certains produits mauvais pour la santé et baisser le prix des bons. C’est ce qu’avait proposé le Haut conseil pour la santé publique dans un rapport en 2017 ».

Alors revenons-en au sondage du Fooding, qui nous a inspiré cette chronique du jour, et passons sur les commentaires des responsables du sondage qui pensent que la pizza et les moules-frites sont « des plats dont la charge calorique inspire particulièrement le réconfort », et que « Les Français marquent ainsi leur volonté de retour à la simplicité culinaire » (sic).

Parce qu’au fond, quand même, la dimension plaisir de la nourriture est aussi fondamentale. Comme le dit Mathilde Touvier,

Il n’y a aucun aliment interdit. Il faut juste que ça reste épisodique. Ce qui est sûr, c’est que cuisiner des produits bruts a des effets bénéfiques : éviter les aliments ultra-transformés, bien doser les quantités de sucre, de sel. Et prendre conscience de l’importance de l’alimentation dans nos vies, dans nos foyers, et de la convivialité qui va avec.

Quand on sait qu’en plus des stocks de pommes de terre sont en ce moment bloqués dans des hangars et n’arrivent pas à être écoulés, faisons-nous plaisir : mangeons des frites maison !

Caroline Broué, avec Roxanne Poulain
Réalisation de la version audio : David Jacubowiez

Pour aller plus loin :

L’étude de Mathilde Touvier Nutrinet Santé 

Articles :

La recette de Jacky Durand, avec Libération : la fricadelle, reine de la baraque à frites

Qui n’a jamais croisé une baraque à frites – du Nord s’entend – ne peut comprendre la force de son apparition. C’est la promesse d’un bonheur en barquette qu’annoncent l’odeur de la graisse chaude, le chatouillis du vinaigre et la belle forme oblongue des pommes de terre fraîchement épluchées et reposant dans un seau. Comme l’a dit en 2010 le comédien cht’i Jacques Bonnafé dans « La petite musique de la baraque », documentaire de Juliette Boutillier et Maria-Grazia Noce : « Mi dans la frite, ch’est pas tant les frites que j’aime. Ch’est l’baraque ! (…) Ch’est pus eune baraque, ch’est eune roulotte, ch’est un cirque entier, un bal public, ch’est eune avenue, faut s’y montrer, d’viser, causer… du temps qu’il fait, des misères… Exister, s’estimer, rigoler, crier grâce, graisse et plaisir, s’récauffer ! ».

La frite se doit d’être à la fois croustillante à l’attaque sous la dent et fondante sur les papilles. Et surtout, surtout, il faut l’accompagner de l’autre pilier des nourritures de baraques à frites : la fricadelle.

Cette curiosité ch’ti est au Nord ce que la merguez est au Sud, la galette saucisse à l’Ouest et la knack à l’Est : le point cardinal de la gourmandise de rue qui nous régale à point d’heure, de midi à minuit, de Brest à Strasbourg, de Lille à Marseille. Un jour, elles sont Cendrillons, maltraitées par un gâte-sauce qui les décongèle au chalumeau et les martyrisent dans l’huile rance. Le lendemain, elles sont princesses, pomponnées par un Vatel de snack. Mais toujours, elles sont les héroïnes de nos romans gastronomiques de gare, de nos feuilletons urbains et nocturnes où les fringales sont des embuscades salvatrices. La messe est dite quand on génuflexionne devant une baraque à frites, invoquant le pain, la frite et la sainte moutarde pour une liturgie pointilleuse. La fricadelle, comme la merguez ou la knack, se mange debout, le nez au vent. Les gloutons la dévorent par paire mais nous, on la croque en solo pour savourer au mieux ses arômes de cuisine de peu.

Pour nous, le plus bel hommage à la fricadelle a été rendu par Hélène Demaretz dans

« Eul cuisine ch’ti » (1), véritable bible du boire et du manger septentrionaux. On y apprend que

«la fricadelle (ou fricandelle ou même fricôdelle, selon l’accent du vendeur de frites) tient son nom d’un mash-up du néerlandais «frikandelle» et du français courant «fric», symbolisant par là même un certain art ch’ti de faire de l’or avec pas grand-chose».

C’est que, pour Hélène Demaretz,

«la fricadelle est à la viande ce que le nugget est au poulet ou le surimi au filet de sole : un hachis recomposé dans un savant mélange épicé, qui élève l’art d’accommoder les restes au panthéon culinaire de la baraque à frites».

Voici la recette traditionnelle de la fricadelle inspirée par Hélène Demaretz (1). Pour quatre à six personnes, il vous faut : 2 pommes de terre cuites à l’eau ; 500 g de viandes mélangées ; 2 oignons ; 3 œufs ; 1 cuillère à soupe bombée de saindoux ; 2 cuillères à soupe de moutarde ; sel, poivre, piment de Cayenne ; de la chapelure très fine ; du beurre et un peu de farine.

En préambule de la recette, l’auteure indique que « l’on peut mettre pêle-mêle des morceaux de chair de poulet grattés sur la carcasse ; du steak un peu trop nerveux pour être consommé tel quel ; des restes de découpe de veau… Le tout lié avec des œufs et des restes de pommes de terre cuites à l’eau ou du pain rassis retrempé et largement épicé. Donc, si vous décidez de réaliser cette recette, rien ne vous empêche de choisir de bons morceaux de viande pour faire une fricadelle encore meilleure que la fricadelle ».

Epluchez les oignons, hachez-en un finement, détaillez l’autre en rondelles. Ecrasez vos pommes de terre cuites à l’eau (ou faites tremper rapidement quatre tranches de pain rassis dans un fond de lait, écrasez-les et essorez-les). Hachez finement les restes de viande. Faites rissoler les oignons à la poêle dans du beurre très chaud, ils doivent être bien colorés. Dans un saladier, mélangez tout ensemble, les pommes de terre écrasées (ou le pain), les oignons, deux œufs, la viande, la moutarde. Salez, poivrez, ajoutez une pointe de piment de Cayenne. Vous pouvez également ajouter des herbes ou des baies roses si vous souhaitez faire preuve d’un certain raffinement. Confectionnez vos fricadelles : prenez une bonne cuillère de mélange que vous roulerez en long boudin régulier. Faites rouler ce boudin d’abord dans la farine, puis dans le troisième œuf battu, et enfin dans la chapelure fine. Recommencez jusqu’à épuisement des ingrédients. Laissez reposer vos fricadelles quelques heures au frais avant de les faire frire au saindoux ou au gras de bœuf, à la poêle ou dans une friteuse.

(1) Eul cuisine ch’ti, d’Hélène Demaretz. IP éditions, 2008, 7€.

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