Chronique

Redonner du moral par un moment à table solidaire

13.05.20

Dans une époque de confinement, la table fait effet placebo du bien-être. Alors qu’elle pourrait simplement ouvrir à la consommation, elle définit finalement des repères. Elle nous amène à nous regarder bien vivre, voire à transfigurer ce paraître pour le diffuser sur les réseaux sociaux comme une identité individuelle : « Moi, je vis bien malgré le confinement ».

Tous unis, pour aider le plus grand nombre
Le besoin de bien manger est réel pour tous, mais pas nécessairement envisageable par tous. Il existe bon nombre de personnes, à l’instar des étudiants qui travaillent habituellement à côté de leurs études pour se nourrir et se loger, qui sont les laissés pour compte. Des personnes non prises en charge, non soutenues, sinon par des actions associatives nationales ou locales. Alors existe-t-il un « plan philanthropique » mis en place ? L’adjectif « philanthropique » n’est plus beaucoup employé de nos jours, on préfère parler d’humanitaire voire de charity-business outre-Atlantique. Mais le sens est pour ainsi dire le même, mise à part une notion d’aire géographique et d’époque d’utilisation. Pour les acteurs bénévoles qui poursuivent des objectifs de solidarité et d’entraide alimentaire, ce terme a d’autant plus sa raison d’être dans les jours que nous vivons. Paradoxe des sociétés industrialisées, leur richesse croît globalement, elles produisent des biens en abondance, tandis que certains de leurs membres ont toutes les peines du monde à satisfaire un besoin pourtant de base, à savoir : se nourrir.

Ce paradoxe se comprend habituellement par le creusement des inégalités, le développement de la misère et des situations de pauvreté extrêmes. Manque de ressources, chômage et exclusion sont à l’origine de la malnutrition et de carences, car aujourd’hui les familles en situation de précarité sont à l’affut d’un bien-manger en promotions commerciales.

Partout en France, des collectifs et des réseaux solidaires se tissent pour soutenir une citoyenneté alimentaire autour du « bien manger pour tous » (https://agriculture.gouv.fr/egalim-tout-savoir-sur-la-loi-agriculture-et-alimentation). Les précaires de l’assiette dessinent aussi la vision sociale d’un pays.

Solidarité alimentaire, d’hier à aujourd’hui

Comme dans la tourmente de L’hiver 1954, des actions sont menées autour du bien-manger, des groupes de bénévoles s’organisèrent pour établir l’utilité philanthropique de la nécessité alimentaire.
Restos du cœur, Groupe SOS, épiceries solidaires, EpiSol – Secours Islamique, Croix rouge, Secours populaire, Banque alimentaire de France, LionsClub, RotaryClub, toutes les structures caritatives tentent d’être sur le pont, malgré les interdictions qui sont de mise pour ne pas contaminer. Au-delà des structures solidaires classiques, certains individus aident dans le pur anonymat, ou pas. Pour exemple les équipes du chef cuisinier Norbert Tarayre, des « Bistrots pas Parisiens » ont créé leur association « Les Bistrots pas Parisiens Solidaires » pour nourrir quotidiennement 250 policiers, militaires, hôpitaux militaires et pompiers.

Les ministères de la Cohésion des Territoires et de la Ville et des Logements ont commandé auprès du groupe UP (ex-Chèque Déjeuner) des chèques services grâce aux 15 millions d’euros débloqués par l’Etat pour venir en aide aux sans-abri, qui ne peuvent pas « rester chez eux ». La plateforme de livraison Just Eat finance également 3 000 repas pour les personnes dans le besoin (handicapés, SDF, jeunes sans ressources). L’Ecole Ducasse lance une opération « Daily-Cious Challenge », elle postera hebdomadairement sur Facebook une de ses recettes à réinterpréter permettant in fine de verser 600 euros au fonds d’urgence Covid-19 créé par la Fondation des Hôpitaux de Paris – Hôpitaux de France. Des fils d’actualités nous informent au jour le jour de ces prises de consciences et des organisations mises en place pour soutenir les nécessiteux.

La volonté d’aider alimentairement ceux qui en ont besoin est un sujet d’actualité depuis l’Antiquité jusqu’à encore aujourd’hui. Partant du constat du dysfonctionnement cyclique de la nutrition au sein de notre société, l’intervention humanitaire s’inscrit sur l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme[1] : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ». La mobilisation des aides alimentaires s’appuie sur ce droit fondamental.

L’engagement bénévole : un don de soi

L’engagement de bénévoles est une condition importante. En France de nos jours, parmi tous les réseaux associatifs existant, les plus connus consacrent justement une part essentielle de leur activité à la collecte et à la redistribution de denrées alimentaires. Bien entendu, la vocation de ces réseaux reste également, au-delà des dons de nourriture, l’accompagnement et l’insertion sociale. Alors que Didier Guillaume, ministre de l’agriculture appelle au bénévolat à la pelle, par leur aspect logistique de collecte, ces associations ont de fait une compétence de « banque alimentaire ».
La vision fondamentale, que nous pourrions dégager sur cette époque et ces actes, est celle du sens, sous trois conceptions :

1) La conception idéaliste de l’aide alimentaire, à travers le jeu de la nature sociale passionnée pour certains et de l’intérêt de pratiquer l’acte social pour d’autres. Tandis que les premiers voient une idéalisation de leur activité, d’autres trouvent un idéal personnel dans cette pratique.

2) La conception du matérialisme dialectique, à propension de création de nouveaux termes au vu des nombreux #covidsolidarité qui fleurissent. « Publics éloignés », « étudiants précaires », « épicerie solidaire » et « redistribution », viennent prendre les suites des « désœuvrés », « démunis », de la « philanthropie » et de la « charité ».

3) La conception dualiste, selon laquelle, pour dessiner cette nouvelle époque, les divers facteurs politiques, moraux, religieux, économiques, écologiques ou philosophiques, influencent les uns à ne pas être en accord avec les solutions des autres, dans un enchevêtrement toujours différent et toujours très complexe.

Réalité du bien-manger

Dans une telle conception, la simplicité de l’acte de l’aide alimentaire peut avoir une réalité propre, variant avec chaque événement et chaque période historique.
De nos jours, beaucoup de personnes, mais toujours trop peu, donnent de leur temps ou participent par une action à l’aide alimentaire, alors que tous s’entendent dire avoir la conviction profonde qu’un autre monde est possible, plus digne et plus humain. Compte tenu de notre habitude à nous considérer comme un pays riche, « au regard du droit fondamental à une alimentation adéquate, l’accroissement du recours à l’aide alimentaire dans un pays développé ne peut que nous heurter » (Nieuwenhuys, Hubert, 2010). Bien malin est celui qui saura de quoi demain sera fait. L’évocation des exemples dans l’histoire d’une telle situation, comme la déclinaison des associations humanitaires ou philanthropiques régionales, serait ici une litanie. Mais partout nous faisons le même constat de cette réalité sociale du manque alimentaire. Même si nous avons tous conscience de cette situation, il est plus facile de prendre la température d’un pays que de jauger les besoins de chacun.

On devrait toujours avoir à l’esprit que bien manger confère un sens à la vie autant que l’homme confère un sens à l’alimentation en la transformant et l’apprêtant.
Cette situation place les gens face à l’acceptation ou la dénonciation de ce mal-être, mais elle fait malgré tout apparaître l’argumentation de leur réalité du bien-manger : une réalité qui crée de réels arguments des attentes pour bien manger, et une argumentation qui grandit positivement pour tenter d’éradiquer de telles situations sociales.

[1] La Déclaration universelle des droits de l’Homme est une déclaration adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 à Paris

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