Analyse Modes alimentaires

Les ados : junk food ou pâtes yum yum?

15.07.14

Louis Mathiot est chercheur en sociologie au Laboratoire « Cultures et Sociétés en Europe ». Sa thèse de doctorat portait sur les pratiques alimentaires des enfants. Ses travaux s’intéressent principalement à ce que l’alimentation nous apprend des cultures enfantines ou adolescentes. Surtout, il bat en brèche l’idée de jeunes soumis à leurs désirs, grignoteurs et forcément en rupture avec le modèle traditionnel du repas partagé.

De nombreux mythes entourent l’adolescence, des fantasmes sur la manière dont les jeunes peuvent s’alimenter. Quels sont-ils et d’où viennent-ils ?
Il y a surtout beaucoup d’interprétations, médiatiques notamment, des pratiques alimentaires des adolescents. Le fait qu’ils soient nombreux à aller manger un kebab à la pause de midi n’est pas faux, surtout en milieu urbain. Mais le regard que nous posons sur cette pratique est celui d’un adulte, ce qui nous fait parler trop vite de dérégulation alimentaire, de déstructuration du repas, de la fin du plaisir partagé etc… Or, ce que montre mon travail mais également les résultats de l’enquête Alimado c’est que la particularité des adolescents est bien leur capacité à naviguer dans plusieurs univers différents. Donc ils vont apprécier le kebab sur un banc, mais aussi le repas familial, même très normé. Ce n’est pas une pratique qui exclut l’autre. D’ailleurs, les études montrent que le repas familial reste la première des références.

Et même lorsque l’on mange un kebab, on ne fait pas n’importe quoi…
Le poids des normes reste très fort. On se regarde, on se jauge, il faut manger proprement, même si c’est avec les doigts. On constate aussi, surtout chez les filles, une surveillance forte quant aux règles de diététique. Celui qui va toujours prendre un sandwich en plus de son menu au fast-food sera pointé par le groupe, subira des remarques désobligeantes. Bien sûr, le rappel de ces règles ne répond pas aux références nutritionnelles des adultes, mais plutôt à la peur du surpoids, de ne pas correspondre aux canons physiques exigés. D’ailleurs les filles vont privilégier les produits light ou sans sucre, même si elles vont quand même consommer des sodas.

Qu’en est-il du partage, propre au repas pris à table ?
On remarque que c’est plutôt autour des boissons que cela va se jouer. Chacun achètera un sandwich, une salade, un burger, mais les adolescents vont souvent mettre de l’argent en commun pour l’achat d’une bouteille, ou d’une canette de soda. Donc ce n’est pas une pratique solitaire, où règne le chacun pour soi.

Notre regard sur l’adolescence se double aussi d’une critique de la junk food, dont ils sont friands.
Sauf que la junk food  est un terme très souvent employé, mais qui n’est pas véritablement balisé. Qu’est-ce c’est ? Des produits à fort apport calorique ? Est-ce que la pizza, les bonbons en font partie ? Que dire des produits de fast-food qui rentrent dans le répertoire gastronomique ? En réalité, la junk food n’est pas une liste d’aliments que l’on mettrait à l’index, mais bien une critique de comportements. C’est une pratique pensée comme solitaire, relevant de la gloutonnerie et de l’avidité, désocialisée, que l’on associe à la période adolescente. Cette approche se retrouve aussi chez les enfants plus jeunes, que l’on va considérer comme incapables de refréner leurs désirs.

Justement, vous avez travaillé sur la « collation de 10 h » dans les écoles, elle aussi décriée par les diététiciens et les instituteurs comme une période de grignotage à bannir (Lire ici).
Le discours des adultes sur cette fameuse collation de 10 h est assez critique : ce serait une consommation égoïste. On imagine des enfants gloutons qui s’empiffrent dans la cour. D’ailleurs cette collation commence à être interdite dans plusieurs académies en France. Or, ce que j’ai observé et qui a été confirmé par plusieurs collègues un peu partout en France, c’est que c’est davantage un « goûter pique-nique », comme les enfants le disent eux-mêmes, qu’un plaisir solitaire. L’échange est au cœur de cette pratique alimentaire. Les enfants partagent, divisent, même lorsque c’est une portion individuelle type brioche au chocolat ou un petit sachet avec trois barquettes dedans. Je goûte, tu goûtes… Je ne dis pas que c’est bien ou pas, d’un point de vue diététique, ce n’est pas mon métier. Mais on peut quand même noter que cette collation est l’occasion d’un plaisir partagé, et ce dès la petite enfance.

Est-ce que les enfants imitent les adultes ou s’agit-il d’une culture du « manger ensemble » qui leur est propre ?
C’est difficile à dire. Derrière ce micro pique-nique, il y a bien sûr une mise en scène, où l’on rejoue ce que l’on a vu faire chez les parents. Mais il y a aussi les effets réels d’une « culture alimentaire enfantine » autonome. On peut prendre pour l’illustrer l’exemple des pâtes Yum Yum, appelées ainsi par les enfants. Il s’agit de nouilles instantanées déshydratées, accompagnées d’un petit sachet de piment. C’était, au moment de mon enquête, le goûter tendance dans la cour de récré. Sauf que les enfants les mangent sans eau bouillante, dans une logique de déconstruction et de défiance vis-à-vis de la norme des adultes. Ils ouvrent le paquet, cassent les pâtes, et y versent le piment ou le mangent à part en se léchant les doigts. Souvent, on se fait passer le paquet, comme un sac de chips. Aucun adulte, ou fabricant, n’a jamais communiqué là-dessus. Il n’y a pas de discours marketing qui accompagne cette façon de faire. Et c’est en totale contradiction avec tout ce que l’on attend d’un goûter d’enfant typique, d’ordinaire mou et sucré : c’est salé, cassant, et pimenté ! Encore une fois, les pâtes Yum Yum sont censées constituer un repas, pris seul et rapidement. Cela devient un objet de partage, au moment d’un goûter. L’appropriation de cette nouille en collation est donc passionnante dans ce qu’elle révèle sur l’autonomisation des cultures enfantines…

Si ce n’est pas par imitation des adultes ou en réagissant à un discours commercial, d’où sortent les pâtes Yum Yum ?
Le goûter des enfants s’articule souvent autour de produits qui sont ancrés dans un âge : par exemple le goûter Spiderman, Dora ou Titeuf, que l’on va délaisser au bout d’un moment. Ici aussi, la question du genre est centrale : un garçon qui va manger un gâteau Dora, dès la maternelle, c’est louche aux yeux des enfants. Et puis il y a des produits qui ne rappellent rien, et qui émergent, comme les pâtes Yum Yum… Cela a commencé chez les 12, 13 ans, et puis c’est passé au sein des CM1, CM2. Ce faisant, le produit rentre dans le monde de l’enfance et en conséquence, les adolescents l’ont donc peu à peu abandonné. C’est un phénomène classique, qui montre que l’on passe d’un âge à un autre.

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