Ville campagne Un oeil sur le monde

Peshawar au Pakistan, capitale de la gastronomie du quotidien

03.01.19

Autrefois l’une des plus dangereuses du Pakistan, la sulfureuse ville frontalière de Peshawar a su tirer parti d’une récente embellie sécuritaire dans le pays, regagnant au passage ses galons de capitale locale du barbecue.

Le fumet du mouton grillé se répand dans un dédale de ruelles délabrées. Namak Mandi (le « marché au sel »), situé dans la vieille ville, est depuis des décennies le coeur gastronomique de Peshawar. Mohammad Fahad, un étudiant de Lahore (Est), a pour la première fois parcouru les 500 km séparant sa ville de Peshawar. « Avant, nous entendions dire que Peshawar était un endroit dangereux« , explique ce jeune homme à la courte barbe, assis à l’une des nombreuses tables basses dressées dans une cour. A l’instar du reste du Pakistan, où la situation sécuritaire s’est nettement améliorée, la capitale de la province du Khyber-Pakhtunkhwa n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était dans les années 2000, quand la guerre dans l’Afghanistan voisin déstabilisait son territoire et que fusillades et attaques étaient quasi-quotidiennes. L’an passé, Peshawar n’a connu qu’un seul attentat d’ampleur, en juillet. Mohammad Fahad s’y est donc rendu sans crainte pour y « découvrir les secrets du barbecue » local, sourit-il.

La cuisine pachtoune, l’ethnie dont sont issus la plupart des habitants du Khyber-Pakhtunkhwa, abonde en plats copieux élaborés selon des recettes ancestrales. Elle est célébrée pour sa simplicité, aux antipodes des currys complexes et aux autres plats épicés des plaines orientales et de la côte sud du Pakistan. « Sa popularité est due au fait qu’elle est principalement à base de viande, ce qui est apprécié dans tout le pays« , explique Sumayya Usmani, auteure de livres de cuisine. Au coeur de Namak Mandi, le célèbre Tikka Nisar Charsi – ou tikka « fumeur de haschich », en référence aux habitudes assumées du patron -, connaît un succès phénoménal, bien qu’utilisant très peu d’épices, une rareté au Pakistan.

Aliments au kilo

Les tikkas, ou morceaux de viande, y sont cuits lentement, au feu de bois. Généreusement salés et embrochés sur des pics, entre plusieurs bouts de graisse, ils gardent une tendreté et un goût exquis. L’autre plat réputé, le karahi – ou ragoût de curry – est composé de tranches de mouton cuites dans de gros morceaux de graisse blanche taillés dans la croupe du mouton et de petites quantités de piment vert et de tomates. Ces deux assiettes sont servies avec des naan (pains) tout juste sortis du four et des bols de yaourt frais. « C’est la meilleure nourriture du monde« , affirme le copropriétaire Nasir Khan, qui évalue à des centaines de kilos, ou deux douzaines de moutons, la quantité de viande engloutie chaque jour dans son restaurant.

La clientèle du « Marché au sel », composée essentiellement d’hommes, arrive généralement en larges groupes. Les plus expérimentés commandent les aliments au kilo. Ils guident les bouchers vers leurs morceaux préférés, qui sont cuits immédiatement. L’amélioration de la sécurité à Peshawar a donné un coup de pouce aux affaires, reconnaît Nasir Khan. « Nous avons connu beaucoup de problèmes et de souffrances« , se souvient-il, évoquant ses amis perdus dans des attentats. Mais Hammad Ali, 35 ans, affirme n’avoir jamais renoncé à la cuisine du cru, même pendant les années de violences. « Je viens ici depuis plus de 20 ans maintenant », assure cet homme, arrivé à Peshawar avec huit autres collègues depuis la capitale Islamabad, à deux heures de route, pour un déjeuner glouton. « Ce goût est unique, c’est pourquoi nous avons fait tout ce chemin« , assure-t-il.

Haschich avant le repas

Les commandes prennent généralement près d’une heure à arriver. En attendant, les clients boivent du thé. Ils fument parfois du haschich avant le repas. Une pratique « ouverte » à Nisar Charsi, selon son chef Mukam Pathan. Et à laquelle il trouve son intérêt. « Quand quelqu’un fume un joint, il mange environ deux kilos de viande« , commente-t-il. Pour ceux qui aiment moins l’agneau, le chapli kebab, du boeuf haché mélangé à des épices et frit dans une poêle en fer, offre une alternative réjouissante. Le plat est particulièrement populaire quand il fait froid, en hiver, décrypte Rokhan Ullah, le propriétaire de Tory Kebab house, qui, face au succès de son produit, a ouvert trois autres restaurants dans la province.

« C’est la nourriture la plus goutue et la plus fameuse de Peshawar« , lance l’un de ses clients, Muhib Ullah, qui dit manger des chapli kebab trois à quatre fois par semaine depuis une décennie. Pour Omar Aamir Aziz, un adepte du barbecue peshawari, ce ne sont pas seulement les énormes portions de viande qui attirent les gourmands, mais surtout la culture qui s’est construite autour du repas. D’autres villes au Pakistan ou à l’étranger offrent davantage de possibilités de divertissement et de vie nocturne. Mais à Peshawar, profondément conservatrice, manger représente souvent le principal loisir. Les repas durent des heures. Une fois les plats dévorés, la conversation se poursuit autour d’un thé fumant. « C’est ce que nous avons et c’est notre spécialité« , se félicite Omar Aamir Aziz. « Nous le faisons depuis deux, trois, quatre cents ans« .
Par David Stout pour AFP

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