Portrait La cuisine d’Hélène Omidi

Saveurs, épices et lettres persanes

17.03.15

Comme le roman épistolaire de Montesquieu, la cuisine d’Hélène Omidi, en apparence simple et familiale, est un réel moyen de comprendre ce qui se joue dans cet Iran, toujours au cœur des crispations géopolitiques. Un pays de raffinement et de culture trop souvent réduit au seul aveuglement de ses dirigeants.

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La patronne du Norouz est née deux fois. La première, dans cet Iran des années 60 où ses parents la baptisent Ashraf. La seconde, au cœur des années 90 où elle obtient la nationalité française et choisi pour prénom Hélène. Un bout de papier d’identité en forme de protection intime avec cet infime espoir de retourner au pays. Et puis, de la dictature du Shah téléguidée par la CIA au retour du fanatisme religieux des mollahs, il a bien fallu se faire une raison. « J’ai fini par quitter l’Iran en 1984. » Un déchirement au cœur qu’Hélène Omidi ne laisse en rien transparaître. Depuis des années maintenant, Le Norouz est sa maison. Ce bout d’Iran que les cuisiniers et les serveurs irradient de leur sourire, de leur bonne humeur.

Des feux et friteuses de ce restaurant, calé au 48 de la rue du Dessous-des-Berges du 13e arrondissement de Paris, crépitent des morceaux de viandes, finissent de cuire des gamelles entières de riz basmati, flottent des odeurs d’épices. Comme lors des préparatifs de ces cérémonies qui accompagnent la vie de chacun des membres de la famille. Une douce effervescence qui correspond bien aux yeux, à la fois beaux et perçants d’Hélène Omidi. « Vous savez, dit-elle dans un petit accent, la cuisine que je sers ici est une manière de dire que nous sommes des gens civilisés, pas aussi bêtes que les mollahs voudraient nous faire passer aux yeux du monde entier. »

« Mettre sa vie dans la main du peuple »

En arrière-plan, Ossin cuisine, sans jamais se départir d’un radieux sourire. Pourtant, lui aussi, est une victime du régime. C’était en 2004 quand, ostensiblement, un mollah de Téhéran a séduit sa femme avant de l’obliger à divorcer. « La tête de ce mollah devait avoir l’odeur du ghormeh sabzi », lâche Hélène. Du nom de cette sauce mijotée dont les Iraniens affublent celui ou celle qui ne leur revient pas. « Cette expression vise les menteurs et les voleurs. » Ceux qui, depuis tant d’années en Iran, ont confisqué les pouvoirs politique et religieux. « Chez nous, ce n’est pas comme en France où l’on peut être élu sur des mensonges sans que cela ne choque personne. En Iran, quand une femme ou un homme entrent en politique, ils doivent mettre leur vie dans la main du peuple. » Avec ce contrat-là, seule la conviction de penser en opposition peut sauver de la torture et de la prison. Et quand l’engagement frôle trop souvent la mort, reste l’exil. « Comme moi j’ai perdu toutes mes relations à l’âge de 18 ans, Ossin a du refaire sa vie en France, poursuit Hélène Omidi. Il faut bien comprendre que nous ne sommes pas des opposants à tout mais bien des combattants de la démocratie. »

Une lutte qui passe aujourd’hui par la cuisine et la convivialité, ces autres arts iraniens qui symbolisent l’importance de l’accueil et du partage. Cette cuisine traditionnellement confiée aux femmes secouée de plein fouet par la crise économique, mondialisée. « Dans le contexte actuel, c’est la double peine pour les femmes iraniennes, confirme la patronne du Norouz. En plus de tenir le foyer, elles doivent travailler. » Des journées sans soleil qui changeront peut-être, un jour, en profondeur la société iranienne. A l’image de la nièce d’Hélène Omidi, venue rejoindre il y a peu Le Norouz et la France. Sombre de dignité et d’honneur.

Le Norouz
48 de la rue du Dessous-des-Berges
75013 Paris
tél. 01 45 84 29 48

NB : Texte publié pour la 1re fois dans les colonnes du mensuel indépendant parisien Le 13 du Mois (n°33 – octobre 2013)

Dessin de Azita Houshiar
Carte gustative extraite du Tumblr Reorient

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