Voici quelques semaines, un célèbre magazine de décoration titrait : « Dandelion : la nouvelle adresse la plus courue de Paris ». Comme si les chiffres de fréquentation rejoignaient le nombre de vues des réseaux sociaux pour faire du quantitatif un gage de qualitatif. Mais fort heureusement, Antoine Villard, le jeune chef qui incarne cette élégante maison avec sa compagne Morgane Souris, ne se résume pas à un fichier de réservations. Leur projet est le fruit d’un long parcours murement réfléchi, au sein d’une famille professionnelle où l’on pense plus loin que le bout de son assiette.
Voilà, donc un quart de siècle qu’Antoine Villard veut être cuisinier. Vu qu’il n’a que 33 ans, on rentre donc dans le domaine rare de la vocation. À 8 ans on veut généralement être pompier ou architecte, rarement cuisinier. Mais quand on parle avec lui des plats qui illuminent son enfance, la daube provençale de sa grand-mère, puis de sa mère, lui met du brillant dans l’œil… « je la cuisine encore aujourd’hui« . Les choses se compliquent aussi généralement quand arrivent les séances d’orientation en classe de troisième à l’ONISEP où les ambitions sociales parentales ne rencontrent pas forcément les désirs professionnels, fussent-ils fermes et définitifs, des adolescents. « Moi je voulais tout de suite passer en C.A.P. de cuisine » mais, selon la formule consacrée, la réponse se fut un classique « passe ton bac d’abord ». La différence entre la vocation et la perméabilité adolescente à toutes les séductions de métiers plus mirifiques les uns que les autres, c’est qu’on s’obsède. Par chance, les parents « plutôt intellectuels de gauche » ne voient pas la cuisine comme le dernier des métiers, mais comme un artisanat d’art avec différentes facettes offrant mille évolutions possibles. À l’époque, un concours pour rentrer à Ferrandi-Paris, « c’était à peu près 15 pris sur 300 candidats » précise Antoine. Mais quand on bosse son sujet depuis la petite enfance, il n’y a rien d’étonnant à figurer dans le peloton gagnant.
À l’école, comme chacun le sait, il y a toujours un ou deux enseignants, rarement plus, qui vous marquent à vie. « Moi je me souviens surtout de Benoît Nicolas qui m’a beaucoup appris et aussi beaucoup aidé à trouver l’endroit où je serais dans mon élément« . Lequel Chef Nicolas était ainsi décrit en 2015 dans Le Parisien sous la plume de Maïram Guissé : « Dans les cuisines de l’école parisienne Ferrandi, Benoît Nicolas est comme habité. À ses élèves, cet enseignant transmet son expertise et son amour de la cuisine. Les grands maîtres de sa profession adhèrent. Preuve en est, il a été distingué Meilleur ouvrier de France (MOF) dans la catégorie « cuisine gastronomique ». Une «fierté », réagit cet habitant d’Eaubonne de 45 ans. « Je suis heureux, On ne passe pas ce concours 150 fois. C’est une quête qui démarre depuis le début de son apprentissage. »
On imagine aisément à quel point le courant a dû passer entre ces deux passionnés vocationnels.
Antoine Villard aurait pu en rester là, poursuivre sa fréquentation des prestigieuses cuisines du George V sous la houlette d’Éric Briffard et du Chambard d’Olivier Nasti, et puis monter les grades à grande vitesse. « Mais j’ai vite compris que ce n’était pas pour moi. » Alors à l’époque, et encore aujourd’hui, le must, c’était de poser sur son CV le nom le plus magique du Danemark : René Redzepi, Chef de Noma. « J’en rêvais, comme tout le monde !Mais je mes suis dit à quoi bon se retrouver à trier des herbes toutes la journée avec des dizaines de cuisiniers ? » En effet. Mais voyager reste néanmoins au programme d’Antoine qui se retrouve commis au restaurant Matsalen à Stockholm, puis Chef de partie à La Buvette de Nicolas Scheidt à Bruxelles. « Comme me l’avait suggéré Benoît Nicolas, j’ai beaucoup plus appris dans ces petites unités où on touche un peu tout et où on a une place pour faire des propositions. »
Avec Antoine Villard, on peut aisément parler d’une formation et d’un façonnage par une famille culinaire. Laquelle famille a un chef de tribu qui affiche exactement 10 ans de plus qu’Antoine : Bertrand Grébaut. On trouve d’ailleurs ces deux noms parmi les 99 qui ont fait l’histoire de ces vingt dernières années de la gastronomie de bistrot, dans l’exceptionnel livre que nous avons chroniqué ici. Bertrant fait d’Antoine son Second en 2014 dans son désormais célébrissime bistrot gastronomique Septime qu’il a fondé avec son associé Théo Pourriat. Quatre ans plus tard, Antoine rejoint une autre membre éminente de sa famille professionnelle : Tatiana Levha. Tatiana est elle-même Chef d’une autre adresse fameuse, le Servant, mais elle mijote avec sa soeur Katia l’ouverture d’un « Double Dragon » qui va devoir tout réinventer de l’idée d’une cuisine asiatique populaire. Les soeurs Levha confient la gestion de la double flamme du dragon à Antoine. « J’ai adoré passer du repas gastronomique avec menu imposé à un menu à la carte où il fallait parfois enchainer 100 couverts« .
Si on ajoute qu’Antoine passe aussi plus tard par la production de repas événementiels pour les grandes Maisons dans le monde du luxe comme Vuitton, n’en jetez plus en termes de savoir-faire culinaires.
Mais la magie de la création de son propre restaurant n’opère pas toujours, quel que soit votre talent. Il faut le petit plus de l’entrepreneuriat, cette idée qu’il va falloir être Chef de cuisine et d’entreprise, DRH, gestionnaire, directeur financier, commercial et de la communication, avec si possible quelques notions de plomberie et d’électricité parce qu’avant tout ça, il faut aussi être Chef de chantier. Et vous allez exercer tous ces talents dans la même journée, sans poser le moindre jour de congés la première année et sans la moindre assurance que votre modèle économique va survivre au passage du tableau Excel à la réalité de l’inflation. Des candidats ?
Si Antoine, après moultes péripéties immobilières, fait l’acquisition dans le 20ᵉ arrondissement de Paris de Dandelion, ce n’est pas par souci de mettre définitivement en avant son ego. « Je ne suis pas un chef qui montre son talent » nous dit-il. Entendez par là que la question de son immense savoir-faire culinaire est derrière lui. Un restaurant, il l’a appris dans sa famille de cœur, c’est avant tout une maison. Un endroit où les gens viennent manger chez vous et où la chaleur du décors comme la chaleur humaine font partie de l’expérience. « J’ai beaucoup appris en étant en résidence à Fulgurances (entre novembre 2021 et février 2022). C’est un endroit où l’on est débarrassé des contingences techniques du quotidien et où l’on peut vraiment imaginer son futur espace à soi. »
Avec lui, aux commandes dudit esprit maison à Dandelion, sa compagne et cheffe de salle qui porte le nom de Morgane Souris. Oubliez l’évocation de l’animal et pensez plutôt à l’impératif du verbe. On vient ici avec le sourire ou, au pire, on le retrouve au dessert.
Dans les assiettes en céramique au style très sobre (signées Laurette Broll), on trouve des plats à la fois confortables et gonflés, à l’instar des désormais fameux ris de veau grillés et laqués à la braise. « On les a enlevé de la carte pendant quelques semaines, mais on s’est fait engueuler par les clients dont certains venaient visiblement spécifiquement pour ça ! » Oui, c’est ça l’esprit Maison familiale, ça se transmet rapidement aux clients.
En ces temps où le nombre de faillites de restaurants parisiens n’a jamais été aussi important, on s’inquiète évidemment de la fin prochaine de l’effet tendance / mode et de la possible baisse de régime économique qui en découle. « Notre expert comptable vient de nous autoriser à embaucher un second parce que les chiffres sont un peu au dessus de ce que nous avions prévu. On va peut-être même prendre une semaine de vacances ! Et puis en 2025, on va développer un autre projet…« . Comme tout les autres membres de sa grande famille professionnelle qui ont fait de la diversification la clef du succès et de la pérennisation de modèles où chaque client peut se régaler et les cuisiniers vivre joyeusement de leur art.
Dandelion, 46 rue des Vignoles à Paris 20ème / dîner du mardi au samedi soir /déjeuners vendredi et samedi seulement / réservations ICI
Partagez moi !
Vous pourriez aussi être intéressé par
Portrait Québec, la Saison des sucres
Pier-Alexis Soulière, le sommelier qui remet l’érablière de l’église au milieu du village
Portrait Chefs
Et Daniel Humm créa le premier trois étoiles entièrement végétarien. Et puis non, végétalien !
Portrait Initiatives +