Sans vouloir trop s’apitoyer sur la profession, il y a plusieurs cauchemars qui menacent le bien-être du journaliste interviewer, parmi lesquels on relève la personnalité taiseuse qui ne répond que par oui ou par non et puis son contraire, celle qui part dans tous les sens, sans hiérarchisation. Frédérick Ernestine Grasser Hermé, qui s’ « acronomme » elle-même en FeGH, est très clairement dans la deuxième catégorie. Il faut dire que son parcours de sur-active est long comme un jour sans pain (l’une de ses nombreuses passions).
Petite croix discrète autour du cou, ongles peints en blanc, tatouages asiatiques intrigants au poignet, chaussures léopard, toute en blondeur et en esprit, elle nous raconte des histoires, maniant avec élégance l’art de la phrase à la française.
A 25 ans, elle avait déjà un carnet d’adresses en deux tomes comme directrice de la publicité du Journal du show business et du magazine anglais Screen International, puis avec le producteur René Château, entrainant une connaissance pointue de chaque allée du Festival de Cannes. A coup de médailles d’Ordre national du mérite, de Chevalier des arts et des lettres et même du mérite agricole, FeGH est désormais abonnée au Who’s who et vous vous demandez bien ce qu’elle vient faire dans les colonnes d’Alimentation Générale. La première raison est simple : c’est un personnage terriblement attachant qui a la cuisine dans le sang et qui s’est fondue dans l’histoire des terroirs et de la gastronomie de ce pays. La deuxième est que l’image médiatique est souvent trompeuse, le vernis mondain cache parfois l’indigence du propos. Pas chez FeGH, qui affiche d’abord son humanité avant ses savoir-faire à multiples facettes. « Si je devais me définir aujourd’hui, je dirais que je suis une penseur en nourriture. » On confirme, ça lui va comme un gant.
Citant Escoffier en dragueur impénitent du XIXème siècle, inventant des recettes pour les femmes, comme la pêche Melba (pour la soprano Nellie Melba), FeGH connaît aussi l’histoire et insiste sur le fait que « la cuisine des hommes ne serait rien sans celle des femmes. » Elle, en tous cas, n’a pas lésiné pour faire valoir ses droits, en s’autoproclamant un jour « La cuisinière du cuisinier », projet obsessionnel qui va l’amener à faire le siège du futur pape français du business de la gastronomie : Alain Ducasse. A l’époque, nous sommes dans les années 80, le chef officie pas très loin de Cannes au restaurant de l’hôtel Juana à Juan-les-pins. FeGH se souvient du coup de foudre. « C’était un plat de spaghettis « retour du marché » dans lequel on trouvait onze ingrédients différents, extraordinaire de simplicité et d’amour du produit ! » Elle avoue volontiers une pratique de huit années de harcèlement pour arriver à ses fins et finit un jour par cuisiner pour lui, dans la cuisine du restaurant des « vraies tomates et un deuxième plat de femme, une recette bretonne de porc au court-bouillon. ». Le futur triple étoilé de Monaco est conquis, s’en suivra en 1994 la publication de « La cuisinière du cuisinier » et bien d’autres ouvrages pour Alain Ducasse.
FeGH aurait pu en rester là et surfer sur les noms de star (Joël Robuchon est aussi l’un de ses mentors) et fréquenter les palaces. Mais ce serait lui faire offense que de la réduire au seul monde des étoilés, parce que son amour des produits et du terroir l’enflamme jusqu’aux projets les plus fous. A l’instar de la création de l’Amicale du Gras, une association qui affiche comme objet « la promotion du goût, de la bonne chair, de la ripaille et des bonnes manières, sans gêne, sans peur et sans reproche. » La prochaine réunion du club a lieu ces jours-ci au Théâtre Edouard VII à Paris et elle n’en dort pas la nuit. On y attribuera un « gras d’honneur » et on parlera aussi du championnat du monde de pâté-croute !
A travers tous ses projets, FeGH est revenue aux basics français. Fascinée aussi par la cuisine du quotidien, elle part au quart de tour quand on évoque son ouvrage sur la Cocotte-Minute, « sans doute la plus grande invention d’ustensile de cuisine. » Elle travaille avec plusieurs boulangers, refait la carte des plus anciennes brasseries de Paris comme le Valois 1868 ou l’Escargot Montorgueil inscrit aux Monuments historiques, met en scène des produits encore méconnus du public (yuzu, stévia) ou se penche sur le berceau du sans-gluten. Elle est aussi sa propre challengeuse et se met en danger comme cuisinière dans un festival de couscous avec sa recette « Couscous c’est moi, un pain c’est tout » ou comme performeuse dans le Paris des chefs sur la chanson de Gilda, Put the Blame on Mame, habillée d’une robe longue en crépine de porc.
« J’adore les défis » précise-t-elle au cas où l’on n’est pas encore compris. Celui de suivre FeGH dans tous ces projets reste encore peu envisageable pour un journaliste, un biographe serait désormais plus à l’échelle.
Portrait de FeGH : Roberto Frankenberg
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