Portrait Artisan

Charcutière jusqu’aux tripes 

21.10.24

Marie Caffarel, fraîchement quarantenaire, est à la tête de la Maison Payany. Artisane charcutière à l’énergie communicative, elle a repris en 2019 cette institution marseillaise à la devanture rose fluo, un espace de 16 m2 implanté rue Breteuil depuis 1932, devant lequel on patiente (sagement) en salivant. Retour sur un parcours non prédestiné, mais grandement motivé.

 

© Emeline Bartoli

Sous influences 

Chez Marie, les parents cuisinent peu et les grands-mères sont des cordon-bleu de la simplicité. Dans les souvenirs alléchants à la Grande-Motte, on trouve plutôt les grandes tablées de Noël, les films de Pagnol et un restaurant initiatique à l’adolescence : « Une viande cuite à la perfection, tous mes sens étaient en éveil ». Puis c’est le grand départ, route vers l’Australie, seule, à 16 ans. Envoyée en éclaireur par ses parents, elle y passera 10 ans. Du pays, elle rapportera, entre autres, une licence en sciences humaines, un carnet de recettes noirci au fil des années, un franc-parler : « Si je mets un produit à la vente et qu’il ne me plait pas, je vais dire aux clients, ne prenez pas ça », et surtout un état d’esprit émancipé : « Là bas, le rapport hommes femmes n’est pas un sujet, alors j’ai considéré qu’il ne serait un problème nulle part ».
À son retour en France en 2011, rien dans son domaine, des jobs de bureau sans grand intérêt et puis le flash : « Ce que j’aime vraiment, c’est la cuisine, je veux faire quelque chose qui me ressemble ». Consciente des enjeux autour d’un savoir-faire artisanal en voie de disparition, le CAP boucherie s’impose comme une évidence. « La charcuterie, c’était le meilleur des deux mondes avec la partie boucherie et la dimension artisanale, et c’était plus riche, plus complexe que la cuisine » avoue celle qui voit la beauté dans « l’esprit de perpétuation » qui anime les fêtes de village dédiées au cochon.

SacerdOS

A Marseille, elle tombe sous le charme de la ville et de cette charcuterie de quartier. Là, débute le chemin de presque 3 ans qui fera d’elle, en janvier 2019, la nouvelle propriétaire des lieux. « Monsieur Payany ne s’imaginait pas que ce soit une femme qui reprenne » Formée par le cédant à la charcuterie à l’ancienne, elle se rappelle en détails des conditions de la transmission : « De très longues journées pendant lesquelles je ne pouvais prendre aucune note ». Le soir, en rentrant, elle retranscrit tout ce qu’elle a observé et se rappelle des gestes. Une détermination qui finira par payer. Elle a conservé 90 % de la clientèle historique et fait partie des rares à continuer, entre autres, à proposer le jambon ficelé à la main, les pieds de porc en gelée ou la salade de museau tranchée à la main : « C’est tellement meilleur, mais il faut réaliser que c’est trois heures de travail : chalumeau, saumure, cuisson, tranchage… ».
Elle a modernisé les techniques (cuisson sous vide à basse température notamment), dégraissé, développé et végétalisé l’activité traiteur et exotisé les recettes. Citron confit, pâte de curry avec (jusqu’à 25 ingrédients), basilic thaï sont autant de touches de fraîcheur et de créativité qui font sa patte. L’attention à la qualité des produits reste elle inchangée.

 

© Emeline Bartoli

Champ des possibles

La petite entreprise emploie aujourd’hui 3 employées et des apprentis (en reconversion !). Quant à Marie, elle vient de publier Le Grand manuel du charcutier et s’étonne encore d’avoir récemment reçu la médaille du mérite agricole : « Je pense à toutes les femmes éleveuses qui, selon moi, sont plus méritantes ». Le métier, elle en parle avec franc-parler : « C’est intense, il faut une bonne dose de témérité pour se laisser conquérir », elle rappelle en revanche « qu’on développe, les capacités dont on a besoin ».
Ce qui impressionne chez elle, c’est ce mental d’acier. En faisant le parallèle avec la pâtisserie, elle partage la magie intellectualisante de la chimie qui opère, notamment  lors de la fabrication des gelées.
Quand on lui demande ce qu’elle dirait à ceux qui voudraient se lancer, elle cite l’absence d’ennui « des choses différentes chaque jour : fumage, salage, etc. » mais aussi la satisfaction du challenge entrepreneurial réussi : « Je repeins les volets, je gère la communication, mais j’arrive quand même à partir en vacances ».

Et si la voie de disparition était une voie de reconversion ?  Entre sauvegarde et renouveau d’un savoir-faire artisanal, Marie incarne la voie des possibles.

Maison Payani / 72 Rue Breteuil 13006 Marseille (tel. 04 91 37 08 95)
Lundi au vendredi 10h – 19h30 / Samedi 9h – 13h

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