Chronique #SMFSI - Stéphane Méjanès fait son intéressant / Tout et son contraire, et réciproquement

Y’a plus de saison !

07.06.18

J’apprends avec effroi que « 65% des Français ne préparent pas leurs repas avec des produits de saison » (*). Comment ? Mais qu’on les envoie en centre de rééducation ! Qu’on enlève 5 € de plus à leur APL ! Qu’on jette leurs noms, adresses, numéro de sécu et photos de vacances en pâture sur les réseaux sociaux, à grands coups de hashtag #balancetonplouc !

C’est en tout cas à peu près le sort que voudraient leur réserver les extrémistes du tableau périodique des aliments. Que l’on s’avise de poster sur Instagram la photo d’une tarte aux abricots en décembre, d’une pointe d’asperge dans une salade en août, et c’est la curée. À côté, les chasses du comte Zaroff, c’est Fort Boyard. On nous casse les noix de Saint-Jacques en juillet, on se dispute pour des queues de cerise en octobre. Et quand on a fauté, on se voit sommé de faire son auto-critique, façon Yves Montand dans « L’Aveu » (sans les lunettes de soudeur, quand même).

– « Ben oui mais y en avait sur le marché de mon quartier. »
– « Mais, c’est qu’il insiste, le malheureux ! Et tu sais d’où qu’elles viennent donc tes framboises en mars ? »
– « Heu, de France, j’ai vérifié sur l’étiquette. »
– « Ah ah ah ! De France, de France ! Mais elles ont poussé dans quoi ? Du substrat qu’on sait pas ce qui y a dedans. »
– « Ah bon, y avait écrit « plein champ » pourtant, j’ai bien lu. »
– « Tu me cherches, hein ? Ton champ, là, l’était sous une serre chauffée, pour sûr, il a pas plus vu le soleil que Dita von Teese ! »
– « C’est bizarre, elles sont bios. »
– « Non, mais là, c’est l’pompon ! Saison et bio, ça n’a rien à voir, sale mécréant ! Esssscuse-toi, tu m’énerves et j’ai 12 kg de panais à éplucher. »

La saison, selon le Larousse, est une « époque de l’année caractérisée par un climat relativement constant et par un certain état de la végétation ». « Relativement constant » et « certain état », on est déjà dans l’à-peu-près. Réchauffement planétaire aidant, on est carrément dans l’approximation. « Il y a dix ans, lorsqu’on disait qu’il faudrait planter des vignes en Angleterre car les vins deviendraient trop alcoolisés avec la chaleur, les gens nous prenaient pour des fous. Aujourd’hui, les maisons champenoises investissent toutes dans le sud de l’Angleterre. » C’est Jean Jouzel qui parle. Climatologue et glaciologue, ancien vice-président du groupe scientifique du GIEC, de 2002 à 2015, ce n’est pas la moitié d’un imbécile. Moi-même, qui suis parfois l’autre moitié, j’ai le souvenir d’un reportage au début de l’hiver en Belgique, chez Dries Delanote, « wild farmer » décomplexé du calendrier agronomique. J’ai vu des tomates. J’étais prêt à le prendre la main dans le sac de glyphosate, les doigts dans la prise du ventilateur aéraulique, bref, à le flageller, en zélé vigile de l’orthodoxie climatique. Le bon sens paysan m’a coupé la tige sous le pied : « tant que ça pousse, je laisse, et ce n’est pas mauvais, en plus. »

Ce n’est pas que l’on doive se réjouir des dérèglements météorologiques, mais vous, la police du temps qu’il fait, lâchez nous la grappe de raisin du Sussex avec vos saisons qui débutent et se terminent tel jour à telle heure, à la seconde près. Rangez vos smartphones obsolescents, éteignez la lumière nucléaire, remisez votre voiture diesel au garage, et laissez nous manger en paix cette petite garriguette de février, cultivée avec soin par un maraîcher pas plus irresponsable qu’un autre. Elle a vaillamment brisé les codes du bien pousser pour sortir sa petite tête juvénile pleine de points jaunes et s’offrir, certes pas bien sucrée et fort peu goûteuse, mais digne d’être dégustée sans honte, sans qu’un commissaire politique de la saisonnalité la ramène. Sa fraise.

(*) Enquête Quitoque.fr réalisée du 4 au 10 mai 2018 
sur 8 657 personnes représentatives 
de la population nationale française âgées de 18 ans et plus

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