Comment le combat contre la grippe aviaire va-t-il servir de fantastique excuse industrielle pour signer la fin programmée de l’élevage en « plein air » des volailles?
Sommes-nous encore capables de réaliser une nouvelle alliance entre les paysans et les mangeurs pour éviter que le Meilleur des mondes productivistes ne triomphe dans les assiettes ? La question est légitime si on considère le peu de réactions qu’à suscité l’interdiction très récente de l’élevage « plein air » des volailles ! Le mot est même faible si on prend en considération les non-déclarations des divers candidats aux prochaines élections présidentielles, comme si chacun à gauche comme à droite, préférait ignorer la gravité de la mesure, sauf à penser qu’ils considèrent la défense de l’élevage en plein air comme une patate électoralement trop chaude.
Ils auraient tort car la population française est à même de comprendre que le danger n’est pas celui que les technocrates désignent pour mieux masquer la responsabilité du modèle industriel. Ces deux arrêtés qui viennent d’être publiés signent la fin programmée de l’élevage « plein air », sous prétexte de combattre la grippe aviaire. Non seulement ils confirment que le principe reste celui du confinement des volailles (c’est-à-dire de leur enfermement) mais ils remettent en cause les dérogations accordées jusqu’alors pour l’élevage paysan.
La propagation du virus n’est pas liée à l’élevage « plein air » ?
Loin de moi l’idée de sous-estimer la gravité de l’épidémie puisqu’on a dû abattre ces derniers mois plus de 3,5 millions de volailles, même s’il y aurait beaucoup à dire sur le caractère (trop) systématique de ces abattages préventifs… La Justice a d’ailleurs remis les pendules à l’heure en imposant dans une décision du Tribunal administratif en date du 16 février 2021 que les préfectures dressent la liste des exploitations concernées plutôt qu’un zonage trop large et fluctuant. Soyons clairs : le virus est bien passé probablement (même si son origine fait débat) des animaux sauvages aux animaux d’élevage, mais l’idée qu’il faudrait enfermer les animaux d’élevage (on parle de claustration) pour éviter qu’ils ne soient en contact avec des animaux sauvages est une fausse bonne solution !
La propagation du virus n’est pas liée à l’élevage « plein air » mais aux mouvements d’animaux vivants imposés par la segmentation des étapes de l’élevage conformément à la division capitaliste du travail qui caractérise l’élevage en batterie. C’est pourquoi le secteur des canards gras est beaucoup plus touché que celui des poules : les pauvres bêtes voyageant beaucoup plus depuis l’accouvoir jusqu’au gavage en passant par le prégavage, l’engraissement et l’abattoir ! Sans compter que ces canards ont été modifiés génétiquement pour engraisser plus vite, ce qui a fragilisé leur système immunitaire et les rend ainsi plus réceptifs au virus et meilleurs propagateurs.
L’idée d’enfermer systématiquement les volailles pour les protéger de la grippe aviaire est au mieux une mauvaise gestion de l’influenza aviaire (du nom du virus) mais plus propablement un lapsus des technocrates qui ne peuvent admettre que le modèle qu’ils promeuvent depuis des décennies serait le responsable de l’épidémie actuelle… La solution consiste donc à contraindre les petits éleveurs à confiner leurs volailles au moins six mois par an comme dans les élevages industriels. En cela le gouvernement ne tient pas compte ni des capacités réelles d’accueil des petites exploitations, avec des poulaillers non conçus pour un tel grand enfermement, et encore moins du fait que les variétés animales les plus nobles sont totalement inadaptées à toute claustration. Pour la vitrine, on incite les paysans à élever des races anciennes, en les subventionnant, mais on condamne en réalité ces animaux à mourir…
Un vivant trop vivant
Dommage que les associations animalistes d’habitude si promptes à réagir et bénéficiant de l’écoute des grands médias ne soient pas montées au créneau aux côtés des (bonnes) organisations syndicales paysannes, comme la Confédération paysanne et le Modef, et n’aient pas repris la pétition lancée par ces dernières pour défendre et promouvoir un véritable élevage en plein air. Les remèdes efficaces sont en effet bien connus : plafonner le nombre d’animaux par élevage, relocaliser les diverses phases de production, diversifier les races pour rendre les animaux beaucoup plus résistants aux maladies, etc.
Cette stratégie a un nom, c’est l’agro-écologie ! Mais ce choix n’est pas celui fait par le système industriel. Je n’ignore pas la puissance du lobby de la sale viande face à la faiblesse de l’élevage paysan. Mais je crains que d’autres facteurs expliquent ce choix. Nos experts baignent en effet dans une idéologie molle qui fait de la nature « hors contrôle » la source potentielle de tous les dangers, donc tout ce qui permet à leurs yeux d’aseptiser les systèmes de production, tout ce qui permet d’enfermer les animaux est immédiatement perçu comme bénéfique, quitte à confondre l’hygiène et l’hygiénisme, le contrôle des épizooties et la méfiance envers un vivant trop vivant.
Prendre les mangeurs pour des imbéciles
Cette philosophie spontanée de nos experts aboutit pourtant à des situations grotesques. Non seulement on prend les mangeurs pour des imbéciles en commercialisant sous le label d’oeufs « plein air » des produits issus d’animaux obligatoirement enfermés neuf mois sur douze, mais on dupe les citoyens en présentant, conformément à la promesse du Président Macron et de l’Union Européenne, l’élevage de « poules au sol » comme une alternative à l’élevage en cage, alors que, dans certaines mégafermes, ce sont toujours des dizaines de milliers de volailles qui sont enfermées dans des bâtiments géants, « vivant » sur de simples étagères tenant lieu de sol, sans accès à l’extérieur, privées de lumière naturelle, victimes de stress, d’agressions multiples (picage, cannibalisme), etc.
La France parce qu’elle est le premier producteur d’oeufs en Europe avec plus de 14 milliards d’oeufs par an se devrait d’être exemplaire. Mais la seule bonne et vraie alternative qui consisterait à défendre le véritable élevage en plein air est rayée d’un coup de crayon… technocratique. Alors qu’il faudrait au contraire réserver les appellations « plein air » ou « fermier » aux seuls élevages qui sont effectivement « plein air » durant toute l’année ! C’est pourtant le seul choix possible en matière de bientraitance animale, de qualité des produits, de défense du pouvoir d’achat des petits éleveurs, de protection des paysages ruraux, alors que le « plan bâtiment », financé par des subventions, va générer un enlaidissement et une puanteur accrus. Que des éleveurs désobéissent à ces normes stupides est donc une excellente chose !
Paul Ariès est politologue. Après sa « Lettre ouverte aux mangeurs de viandes qui souhaitent le rester sans culpabiliser » (Éditions Larousse), dont nous vous avions parlé sur France Culture, il publie cette année deux romans : l’un adulte, « Le Meilleur des mondes végans » (Éditions A plus d’un titre) et l’autre jeunesse, « J’veux plus manger de viande » (Éditions Golias).
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