Chronique La chronique de Camille

Stupid Food 2.0

27.01.17

Il y a quelques jours, j’ai mangé de la « smart food ». C’était à l’occasion d’un forum dédié aux start-ups, où l’on m’avait conviée pour animer des panels autour de l’alimentation de demain, de la Food 2.0! Les conversations, chronométrées, devaient être menées à un rythme d’enfer, façon brassage d’idées plutôt que problématiques de fond. J’en suis sortie admirative de tous ces jeunes entrepreneurs pêchus, mais le cœur au bord des lèvres. Cette histoire de « smart food », m’est restée sur l’estomac, au propre comme au figuré.

Car il semblerait que dans le monde des geeks, il faut impérativement trouver des solutions pour « manger sans manger ». C’est la nouvelle intelligence du ventre. Ou comment mettre du fuel dans son corps quand on ne sait pas faire cuire un œuf, qu’on n’a pas une seconde à consacrer à ses fonctions vitales, mais qu’on ne veut pas se bousiller la santé non plus en mangeant trop de fast food. Bref, imaginez des trucs comestibles sous formes semi-liquides ou barres solides, à ingurgiter en une fois pour avoir l’équivalent d’un « repas complet, nutritionnellement parfait, qui vous apporte tout ce dont vous avez besoin, dans les proportions idéales ».

Food 2.0 : l’alimentation sans sens

La « nourriture intelligente » que j’ai testée ce jour là s’appelle Feed. J’ai goûté le modèle « Légumes du jardin », un liquide terriblement épais, avec un arrière-goût de plâtre et de poireaux. Feed est le fruit des recherches d’un énergique jeune homme nommé Anthony, qui croit dur comme fer au potentiel génial de ses bouillies pour « gens productifs », d’autant qu’elles sont toutes « vegan, sans gluten, sans OGM, fabriquées entièrement en France, avec des ingrédients bruts de haute qualité ». On est là au carrefour de toutes les tendances, pas vrai ?

Anthony assure que ses produits sont sains et naturels, rien à voir avec le géant américain Soylent dont les ingrédients, dit-il, sont tous de synthèse. Mais le principe est le même : une nourriture qui a éradiqué les concepts de cuisine, d’élaboration, de cuissons, de plaisir à préparer et à déguster. La Food 2.0, ce serait l’efficacité, l’optimisation du moment et de la bouchée, l’alimentation pour ceux qui n’ont ni le temps, ni l’envie de manger, aussi déconnectés de leur environnement que de leurs propres sens. Misère et solitude !

Lapin à la moutarde

Mais je veux croire que si les Américains peuvent se contenter de nourritures rapides, à emporter et à consommer debout, la culture de la « ready-to-go food » restera marginale chez nous. Nous sommes des bons-vivants, que diable! Notre culture alimentaire est celle du partage, du temps autour d’une table, à manger ensemble, rire, échanger, un rituel qui nous construit et nous définit.

La vraie nourriture intelligente, c’est le lapin à la moutarde et pommes de terre rôties de ma grand-mère (ou de la votre), le pot-au-feu familial, la grande salade du jardin. C’est le repas avec des gens aimés, autour de plats gourmands, mitonnés amoureusement, dégustés avec de bons vins choisis, tout un ensemble d’éléments qui procurent plaisirs et joies, qui nourrissent le corps comme l’esprit. Et qui entretiennent des traditions paysannes et populaires plutôt que des processus d’uniformisation industrielle. Au nom de quelle « productivité » peut-on se priver de tous ces bonheurs là ?

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