Chronique Chefs engagés

La tribu des cuisiniers Slow Food arrive en France

24.01.17

« Bon, propre et juste » des valeurs autour desquelles une vingtaine de chefs se sont retrouvés hier, non pas au SIRHA à Lyon, mais à Paris, dans un bar à vin. La convivialité était donc de mise pour ce rendez-vous collectif orchestré par Xavier Hamon, coordinateur de la branche française de l’Alliance Slow Food des chefs.

Autour de Xavier et des bouteilles de la Cave de Prague dans le XIIème arrondissement, Michel Bras, Olivier Roellinger, Christian Qui ou encore Patrice Gelbart -en hôte accueillant et généreux- et bien d’autres, qui étaient là pour réfléchir aux actions et objectifs de l’Alliance Slow Food France, un réseau international initié à Turin en 2006 et qui cherche aujourd’hui sa voie française. En tout 26 chefs signataires, étoilés, bistrotiers ou simples restaurateurs, qui ont en commun un engagement responsable dans le futur alimentaire et agricole de leur métier.

Réinventer le rôle du cuisinier

Des chefs donc, ou plutôt des cuisiniers, qui aujourd’hui s’interrogent grandement sur leur métier et sur leur rôle dans la société. Non pas pour être des cuisiniers-stars Top ou Master, mais des hommes et des femmes qui donnent une importance primordiale à ce qui provient de la terre, qui souhaitent dialoguer avec le consommateur, éduquer le palais de nos enfants et préserver les richesses comme la diversité des goûts.

En bref, des cuisiniers-passeurs qui recréent du lien et se fixent pour mission de ne jamais oublier d’appréhender l’ensemble de la chaîne alimentaire. Et peut-être qu’un jour, réinventant ce que doit être un cuisinier, celui qui sort une barquette congelée pour la faire réchauffer ne s’appellera plus ainsi, car la cuisine, qu’elle soit familiale ou faite dans un restaurant, c’est d’abord de l’émotion ; celle de choisir un poisson brillant sur un étal, celle de raconter une histoire ou encore celle de nourrir quelqu’un qu’on aime.

Olivier Roellinger, Xavier Hamon, Christian Qui et Michel Balsaldella au lancement de l'Alliance des Chefs Slow Food France
Olivier Roellinger, Xavier Hamon, Christian Qui et Michel Balsaldella au lancement de l’Alliance des Chefs Slow Food France

De la complicité entre chefs et producteurs

Alors qu’une vaste majorité de chefs étoilés se fournissent chez Métro, cette bande là ne veut pas en entendre parler. La ligne est simple et sans compromis. Mais trouver des producteurs et des paysans n’est parfois pas évident, notamment en milieu urbain, souligne Patrice Gelbart pour qui la création de l’Alliance permettra de penser différemment en terme d’approvisionnement et de développer une véritable économie pour un producteur qui ne peut pas toujours se déplacer « pour vendre une seule botte de carottes. »

« Il y a un vrai travail d’alliance à mettre en place avec les petits producteurs pour la reconnaissance d’un monde paysan marginal qui a du mal à exister économiquement, mais qui pourtant prône une agriculture vivante, précieuse pour la biodiversité » explique Xavier Hamon, Chef du restaurant Le Comptoir du théâtre à Quimper. Car au-delà des questions économiques, l’enjeu de la biodiversité est tout autant primordial pour les cuisiniers autour de la table.

A ce titre, ils avaient invité Christophe Collini, maraîcher militant à Saint-Péver en Bretagne à l’initiative du Conservatoire du Goût et créateur de 1 500 variétés de semences paysannes non hybrides F1. « Quand je rencontre un chef, je lui demande toujours quelle variété de chou ou quelle variété de courgette ou de tomate avez-vous cuisiné récemment ? Et, la réponse est malheureusement souvent la même : « Un chou, c’est un chou! » Et bien, non, moi j’ai 450 variétés de tomates qui ont toutes un goût différent et nécessitent toutes d’être récoltées au bon moment. » Ainsi avec Xavier Hamon, il travaille au développement de certaines variétés, modèle de ce que pourrait être un partenariat plus étroit entre cuisiniers et paysans.

Plateforme d’échanges

Qui va pouvoir rejoindre l’alliance des chefs France? La position du collectif est claire : des cuisiniers, des paysans, des conviviums Slow Food et pourquoi pas des structures qui ouvriraient d’autres horizons. « Mais nous avons besoin d’une sorte de cooptation, pour que l’on soit dans un rapport de confiance, et pour être sûr d’avoir la même philosophie. » précise Xavier Hamon. Le tout, sans dogmatisme. « Il faut encourager les bonnes initiatives. Si un producteur n’est pas complètement en bio, mais qu’il est en train de faire le travail, ce serait dommage de le rejeter et de ne pas accompagner son changement. L’Alliance des Chefs est une aventure humaine à construire en France autour des valeurs de la tribu Slow Food. L’ambition est d’échanger sur nos pratiques respectives pour faire avancer le mouvement de sauvegarde de la biodiversité. »

Rencontrer le « consommateur »

Mais le tableau ne serait pas complet si l’on oubliait le consommateur « sans qui on ne peut y arriver» précise Michel Bras. Car changer les pratiques alimentaires ne se fera effectivement pas sans ceux qui sont impliqués dans l’histoire, à savoir les mangeurs. Et Michel Basaldella, collaborateur de Thierry Marx au sein de l’école Cuisine mode d’emploi(s) à Marseille prend volontiers son bâton de pèlerin quand on aborde le sujet. « Il faut travailler dans les écoles avec les enfants, dans les écoles hôtelières dans lesquelles on ne parle ni de Slow Food ni des semences paysannes. Il faut expliquer et remettre au cœur de nos restaurants la dignité des produits. »

Et quand il s’agit de la rencontre avec le consommateur, les voilà tous intarissables d’idées et de moyens pour qu’aujourd’hui tout un chacun puisse, non pas aller forcément au restaurant, mais au moins s’émerveiller en goûtant un haricot blanc au goût de châtaigne ou avoir le choix  éclairé de manger une variété de pomme plutôt qu’une autre.

Et pour finir une jolie histoire racontée par Christophe Collini : « Être paysan aujourd’hui, ce n’est pas forcément fatiguant physiquement, mais moralement, parce que souvent on n’est pas toujours fier de ce que l’on propose. Et il faut retrouver de la fierté entre producteurs et consommateurs. » Et d’illustrer son propos : « Quand une dame de 80 ans sur le marché, qui a la maladie d’Alzheimer me dit : vous savez Christophe, votre haricot, il a le goût de mon enfance!»

Sûrement rien de nostalgique dans les propos de cette dame, mais bien l’expression d’un goût devenu rare aujourd’hui.

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