Chronique RADIOGRAPHIES DU CORONAVIRUS

Distribution de repas, cadeaux gastronomiques... donner un peu de réconfort !

05.04.20

La crise du Coronavirus semble donner lieu à de nouvelles dynamiques d’entraide, qui s’articulent en grande partie autour de l’alimentation. Caroline Broué, productrice des « Bonnes choses » sur France Culture, propose dans cette chronique un florilège des initiatives de solidarité alimentaire.

Photos Julie Limont / Hans Lucas

On le répète inlassablement : la cuisine est un lieu/lien social fort. Familial, amical… tout ce que vous voudrez. C’est la base de tout. Ne dit-on pas « Je mange donc je suis » ? Depuis septembre 2018, « Les Bonnes choses » tente de montrer combien la nourriture est un enjeu global et un fait culturel majeur : affectif, intime, social, anthropologique, économique, écologique… Plaisir et partage dans le meilleur des cas, mais aussi enjeu de santé et affaire de responsabilité. Avec cette épidémie et son corollaire, le confinement, cela n’a jamais été aussi vrai. Nous allons tenter de le démontrer par cette petite série sur l’alimentation au temps du coronavirus.

Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres l’a déclaré solennellement le 19 mars : « Cette crise est avant tout une crise humaine qui fait appel à notre solidarité. » A regarder les initiatives alimentaires qui se multiplient dans notre pays, on se dit que l’appel a été largement entendu. Et pourtant, comme nous l’a signifié Régis Debray, auteur en 2009 d’un essai intitulé Le moment fraternité, « Cette fraternité qui commence par faire rentrer chez soi, c’est quand même paradoxal »...Néanmoins, cette crise semble bien donner lieu à de nouvelles dynamiques d’entraide, qui s’articulent en grande partie autour de l’alimentation. Et si la fraternité, c’est prendre soin des autres comme s’ils étaient les siens, c’est bien ce à quoi on assiste, avec l’aide indispensable cette fois des réseaux sociaux. Pourquoi la cuisine ? Le philosophe Olivier Assouly l’a très bien dit à Jacky Durand dans un entretien à Libération hier : « Par delà la jouissance égoïste, la cuisine est fondamentalement une manière de prendre soin des autres ».

Petit florilège non exhaustif.

Des initiatives qui fleurissent

Il y a celles et ceux qui font les courses et apportent à manger à un parent malade, âgé ou à un voisin isolé (tout en respectant scrupuleusement les gestes barrières, évidemment), via par exemple la plateforme de mise en relation entre voisins Nextdoor. Celles et ceux qui témoignent leur solidarité aux transporteurs routiers en distribuant gratuitement des repas ou en ouvrant leur porte. Il y a les 150 000 bénévoles qui ont déjà répondu à l’appel lancé par le ministre de l’Agriculture et la FNSEA pour aider les agriculteurs : c’est l’initiative #Desbraspourtonassiette.

Celles et ceux qui tentent de soutenir les producteurs locaux comme le font dans le Nord le chef Florent Ladeyn et ses équipes qui ont transformé leurs restaurants en relais pour leurs fournisseurs paysans. Ou comme le font lacharrette.org, plateforme de « colivraison de produits locaux » avec une carte interactive, et le réseau Le Cœur des Chefs qui met en relation producteurs et consommateurs.

Et puis il y a celles et ceux qui cuisinent pour les soignants. Car, comme l’écrit très bien Ryoko Sekiguchi dans AOC :  » Nous aurons compris [avec cette crise] le rôle de la cuisine, l’une des rares fenêtres vers le monde extérieur – car les produits viennent de la terre ou de la mer : ce sont des messagers d’un monde qui nous est pour l’instant interdit. C’est pour cette raison que, lorsqu’on est hospitalisé, même malade et affaibli, humer le parfum d’une pomme en en frottant la peau avec les mains, ou une cuillerée de risotto aux petits pois, peut nous redonner de l’énergie et même, goût à la vie. »

Les chefs, les soignants, les démunis

Notre site partenaire Alimentation générale le rappelle, dans beaucoup de villes comme Bordeaux, Le Havre ou Strasbourg, des initiatives individuelles ont vu le jour. Le chocolatier Jacques Genin a ainsi offert l’intégralité de son stock de chocolat (soit près de 500 kg) aux personnels des hôpitaux, et il n’est pas le seul. Dernière née, cette initiative lancée par le chef de l’Elysée Guillaume Gomez et le critique culinaire Stéphane Méjanès avec l’APHP, coordonnée par la société TipToque, spécialisée dans la livraison de repas gastronomiques aux entreprises. L’opération est baptisée « Les chefs avec les soignants».

 » Nous voulons juste leur envoyer un peu de chaleur, nous a dit Stéphane Méjanès, établir une chaîne de solidarité entre un chef et des soignants, pour les réconforter le temps d’un repas pris sur le pouce. » Le 22 mars, l’équipe a livré 160 repas de quatre chefs différents, dont deux étoilés, à Ambroise Paré à Boulogne et à l’Hôpital Avicenne, à Bobigny. Dimanche dernier, ils sont passés à 3000 repas livrés. A ce jour, 360 chefs se sont portés volontaires et 200 hôpitaux se sont inscrits sur la plateforme. Initialement prévu une fois par semaine le dimanche, face à la demande, un deuxième jour de livraison a été ajouté, le mercredi. D’autant que les réactions sont très positives.  » On se retrouve avec de jolies histoires. Un chef et sa femme avaient par exemple glissé un dessin de leur fille dans le colis. On a retrouvé ce dessin sur une photo postée par une soignante. C’est comme une bouteille à la mer. »

D’autres initiatives ont rallié le mouvement, comme à Annecy, où les chefs étoilés Jean Sulpice, Laurent Petit et Yoann Conte se sont organisés pour participer.  C’est une logique de don/contre-don, nous explique le sociologue de l’alimentation Jean-Pierre Corbeau :  » Chez les professionnels, la dimension du don qui accompagne tout acte culinaire redevient primordiale. Quand je cuisine, je donne une partie de moi-même. Et lorsque les chefs offrent des plats au personnel hospitalier, on est dans le contre-don. Ils estiment que les hospitaliers font don de leur personne, et ils leur répondent par leur cuisine. »

C’est bien le sens du #Occupezvousdenousonsoccupedevous.

Un moment de fraternité

Toutefois, Stéphane Méjanès prévient :  » Ceux qui ont des problèmes pour s’alimenter, ils sont dans la rue, ce sont les plus précaires, les plus démunis. Même si ça part d’une bonne intention, on voit aujourd’hui que, pour les soignants, il y en a parfois presque trop. Je conseillerais à ceux qui veulent se lancer de s’orienter maintenant vers d’autres publics. Il ne faut pas penser que les soignants n’ont pas à manger. »

Ça tombe bien, là aussi la solidarité est forte, en témoigne l’action du groupe Aurore, qui a lancé, mardi 24 mars, une distribution quotidienne de 5 000 paniers-repas sur trois sites parisiens, Barbès, le Carreau du Temple, les Grands Voisins, les projets de la communauté Ecotable, des associations Plateau urbain, Yes we camp, des cuisiniers de l’association Ernest ou de la communauté d’entraide Wanted. Mais aussi celle du Refugee Food Festival, qui a rouvert son restaurant parisien pour venir en aide aux personnes démunies en région parisienne, sans domicile fixe et demandeurs d’asile: près de 1200 repas ont déjà été préparés et bientôt plus de 400 repas par jour par une brigade constituée de cuisiniers réfugiés accompagnés de bénévoles venus en soutien sur la logistique. Là encore, derrière la nécessité, réconfort et plaisir sont les maîtres mots.

Mais même si selon Jean-Pierre Corbeau « l’aliment matérialise la reconnaissance et l’affection »,tout ça ne suffit pas à faire de ce moment un « moment fraternité » pour revenir à Régis Debray. Car, nous dit l’essayiste curieux mais à qui il arrive d’être ronchon, « la solidarité c’est de l’entraide, de la compassion, un retour en humanité. Mais la fraternité suppose une transcendance. Au fond la fraternité c’est religieux (ou révolutionnaire, c’est la même chose). Là où il y a une fraternité il y a une chanson. »

Alors je vous proposerais bien de réécouter la Chanson pour l’auvergnat de Brassens : « Ce n’était rien qu’un peu de pain, mais il m’avait chauffé le corps, et dans mon âme il brûle encore à la manière d’un grand festin. »

Caroline Broué, avec l’équipe des Bonnes choses

La recette de Jacky Durand : Les fraises

Plus que jamais manger des fraises ! D’ordinaire, chaque printemps, c’est notre petit plaisir au sortir du métro de s’offrir une barquette de gariguettes ou de maras des bois. Mais cette année, la filière souffre grave pour cause de confinement et de fermeture des restaurants. Raison de plus pour la soutenir en vous procurant, partout où c’est possible, des fraises. C’est bon pour le moral et, mine de rien, cela vous rappellera le plaisir du fruit picoré à même le sol dans le jardin de Pépé. On a tous en tête des souvenirs d’abondance à nos pieds, quelques bouquets de fraises des bois sur un sentier forestier ou une tomate gorgée de soleil, à peine cueillis, aussitôt croqués.

Tentez donc quelques belles poignées de maras des bois ou de gariguettes en guise de réconfort. On les lave soigneusement et on les équeute avant de les couper en deux et de les déposer dans un saladier. Arrosez les fraises d’un peu de jus de citron, saupoudrez de sucre de canne et mélanger le tout délicatement.

On peut également agrémenter cette soupe de fraises avec une pincée de noix de muscade et une autre de cannelle. Les fraises font bon ménage avec les épices. Procurez-vous, par exemple, du poivre de Sichuan ou un autre poivre du moulin car la fraise aime le piquant et l’ardence.  Elle est aussi bonne fille avec le mascarpone, ce fromage crémeux italien qui accompagne magnifiquement les fruits rouges. Il faut le battre au fouet avec un peu de crème fraîche et de sucre vanillé avant de le servir.

Jacky Durand, de Libération

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