Chronique Politiques du goût
« Désobéir pour continuer à défendre d’autres goûts »
Il n’y a rien de plus personnel, de plus intime que le goût. Bourdieu disait même que le goût, c’est de la discrimination. On sait ce que l’on aime. On sait ce qui nous révulse. Sommes-nous pour autant libre de ces appréciations ? Voici quelques éléments de réponse autour de cet atelier qui se tenait dans le cadre de Sortons l’Agriculture du Salon et qui questionnait les Politiques du goût.
L’anecdote se passe à l’Université de Montréal. Face à 50 étudiants, « tous des foodies », Julia Csergo dispose deux yoghourts. Vierges de toutes indications. A la fin de la dégustation, « 48 ont grimacé en goûtant celui qui était fermier, détaille l’historienne, également professeure au laboratoire d’études rurales de Lyon. Piégés qu’ils étaient par les normes que nous imposent les industriels. »
C’est pour cela qu’au concept de politique du goût, Gilles Pérole préfère d’emblée parler de politique de l’alimentation. Adjoint au maire de Mouans-Sartoux, celui qui est aussi fondateur de Un plus Bio explique que l’unique rencontre des enfants avec le goût a lieu à l’école, lors de la Semaine du même nom… portée par le lobby du sucre. « Plus qu’un cours, il faut donc les éduquer dès le plus jeune âge. » Pour cela, l’élu de cette commune de 10 000 habitants a fait embaucher trois cuisiniers sur les trois écoles de la ville. Ainsi que deux agriculteurs, chargés de cultiver des produits locaux, de qualité et de saison. Et puisque « la démocratie alimentaire se joue bien de la fourchette à la fourche », comme l’a exposé François Collart-Dutilleul en conclusion de cette journée, des animateurs ont également été recrutés pour accompagner les enfants pendant leur repas. Comme on le fait en cours de maths ou de français.
Cette formation, c’est bien « l’angle mort de notre politique alimentaire », abonde Norbert Nicolet. Après un BEP puis un Bac Pro dans la production horticole, ce jeune maraîcher, installé dans la Manche, a décidé de « ne plus produire pour produire ». « A l’école, on apprend à toute une génération à produire des légumes pauvres, qui ne nourrissent pas, dont la seule raison d’être est de tenir longtemps sur un étal. » Des « choses mortes en vie » alors même que « ce qui fait le goût, c’est la variété, la richesse et donc la manière dont est cultivé le légume ».
Comme la musique et l’amour, le goût est une nourriture
« Le goût est une nourriture, confirme Christophe Collini, maraîcher bio à Saint-Péver. Comme la musique est une nourriture, comme l’amour est une nourriture. ». Une profession de foi en guise de poème qui lui a donné l’idée de créer un Conservatoire du goût, du côté des Côtes-d’Armor. En plus de cette politique de l’alimentation qui pourrait déboucher sur une politique publique du goût, il faut, selon lui, en passer par une politique patrimoniale. « Pas un truc mortifère. Bien au contraire. » Aujourd’hui, « les légumes que vous trouvez en supermarchés sont issus de semences hybrides. Une épuration génétique non pas au service du goût mais bien au service du marché ».
C’est donc sur d’autres marchés que Xavier Hamon a décidé de s’approvisionner. Chef au Comptoir du Théâtre, à Quimper, vous ne verrez « ni choux fleurs ni cocos de Paimpol » dans ses assiettes. « Parce que je sais trop ce que cela signifie en termes de production intensive », dit celui qui est aussi à la tête de l’Alliance Slow food des chefs de France. A la question d’Olivier Assouly, philosophe et modérateur de cet atelier, lui demandant si un chef aurait davantage de privilège en matière de goût, Xavier Hamon répond : « Le privilège, c’est d’accéder à un nouveau monde du goût offert par les maraîchers. »
Une découverte en forme de « désobéissance civile » contre ces listes de plantes autorisées, toutes définies par l’Union européenne. « Sur les trente variétés de basilique que je cultive, témoigne un autre producteur dans l’assistance, seule une est autorisée par l’Europe. » « C’est pour cela qu’il faut parfois être hors-la-loi, conclut Christophe Collini. Sans cela, on ne pourra jamais développer une autre biodiversité et donc continuer à défendre d’autres goûts. »
Sortons l’Agriculture du Salon – Politiques du goût
♦ Xavier Hamon, chef et coordinateur de l’Alliance Slow Food des Chefs pour la France
♦ Gilles Pérole, président de Un plus Bio, maire-Adjoint à la ville de Mouans-Sartoux
♦ Christophe Collini, maraîcher à Saint-Péver, à l’initiative du Conservatoire du Goût
♦ Julia Csergo, historienne, professeur à l’UQAM (Canada)
♦ Norbert Nicolet, Ferme Ô Vr, Annoville
Modérateur : Olivier Assouly, Philosophe, spécialiste de l’alimentation
Télécharger la synthèse de la journée Sortons l’Agriculture du Salon
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