Analyse Foncier
Rachat de terres françaises: un rêve chinois mis en faillite
Le milliardaire Hu Keqin, PDG du conglomérat Reward, connu pour s’être emparé de terres céréalières en France, se voyait déjà en roi de la baguette en Chine. Mais son groupe a fait faillite, montrant la fragilité de certains investisseurs chinois.
L’affaire avait fait grand bruit quand un mystérieux chinois avait racheté 1.700 hectares dans l’Indre il y a cinq ans, puis 900 hectares dans l’Allier trois ans plus tard. Était-ce le début d’une conquête du grenier à grains français? Les pires inquiétudes circulaient, comme souvent lorsqu’il s’agit d’investissements chinois. Mais finalement rien de tout cela ne s’est produit. Car Reward (« Luowa » en chinois), fondé en 1995 et spécialisé à l’origine dans le lait maternisé et les produits d’entretien, a été mis en faillite le 13 mai, selon un avis publié en ligne le 2 juin sur le registre chinois des faillites consulté par l’AFP.
En janvier, l’agence de notation financière Fitch avait déjà tiré la sonnette d’alarme, expliquant que Reward avait été dans l’incapacité de s’acquitter d’une dette de 300 millions de yuans (38 millions d’euros) début décembre, alors qu’il assurait disposer fin septembre de… 4,15 milliards en numéraire (530 M EUR). Fitch déplorait au passage l’opacité entourant les comptes des firmes chinoises, la non-publication d’informations « pertinentes » et des audits notoirement incomplets…
1 500 boulangeries
Et Monsieur Hu, qui annonçait à l’AFP il y a un an environ vouloir ouvrir 1.500 boulangeries en Chine en cinq ans, approvisionnées en farine française, n’a finalement ouvert que trois boutiques « Chez Blandine » à Pékin. Et elles ont déjà fermé, d’après Dianping.com, principal site de référencement de commerces et services. « Il y a un réel attrait pour la France parce que les produits sont bons, jouissent d’une bonne image. Ils veulent les importer en Chine mais sans doute vont-ils trop vite pour se faire une part de ce marché très concurrentiel« , analyse Jean-Marc Chaumet, agro-économiste et spécialiste de la Chine à l’Institut de l’élevage.
Avant Reward, il y avait eu le fiasco du lait. Synutra, numéro trois de la nutrition infantile en Chine, avait retiré tous ses pions l’an dernier, plongeant dans les difficultés ses partenaires, le groupe coopératif normand Les Maîtres laitiers du Cotentin et la coopérative bretonne Sodiaal, qui a dû reprendre le site construit par le chinois à Carhaix (Finistère). « On ne peut toutefois pas généraliser« , insiste Jean-Marc Chaumet, car il y a « une volonté chinoise d’investir dans l’agroalimentaire à l’étranger » et ça peut aussi « très bien se passer » comme dans le cas de l’usine financée au tiers par le hongkongais H&H (propriétaire des laits infantiles Biostime) avec la coopérative normande Isigny-Sainte-Mère.
Quel sort pour les fermes en France ?
Le groupe chinois n’était pas joignable mardi pour répondre à des questions sur le sort de ses actifs à l’étranger. Reward possède aussi une usine de cosmétiques aux États-Unis et un fabricant de produits à base de lavande dans la Drôme, le Châtelard 1802. Dans les fermes françaises de Hu Keqin, l’activité semble suivre son cours. Dans l’Allier, rien n’a changé, le travail dans les champs est toujours effectué par les anciens employés, selon la mairie de Thiel-sur-Acolin et un agriculteur du coin. Dans la Drôme, les actionnaires familiaux historiques du Châtelard 1802 ont claqué la porte en septembre. Car « rien de ce qui avait été évoqué à l’époque en matière d’investissements dans l’outil de production, le développement de la gamme ou bien encore l’ouverture de nouvelles boutiques n’a été réalisé« , expliquaient alors les frères Montaud dans la presse locale. Mais en avril, dans le quotidien régional Le Dauphiné Libéré, la nouvelle direction assurait tenir le cap: « outre le fait de continuer à développer l’export et le grand export, nous commençons à distribuer nos produits dans les canaux du groupe en Chine« . Depuis cet épisode, l’État français a promis des verrous réglementaires pour éviter que des terres stratégiques ne passent aux mains de puissances étrangères. Mais le secteur attend toujours une loi foncière qui les mettra en place.
Par Patrick Baert, avec Sandra LAFFONT à Lyon pour AFP
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