Analyse SIAL 2024

Quand les innovations alimentaires sont-elles innovantes ?

28.10.24

SIAL Paris qui s’est achevé la semaine dernière a rassemblé 7 500 exposants représentant 127 pays et a connu, avec 285 000 professionnels, une hausse record de fréquentation de 8 %. Bref, dire que le rassemblement est incontournable, relève, pour le 6Oème anniversaire de la manifestation, de la tautologie. Outre les contrats de distribution négociés, c’est surtout la curiosité insatiable pour l’innovation qui agitent les professionnels. Mais qu’est-ce qui est innovant ?

© Alimentation Générale

Revenons à nos classiques en n’oubliant pas que l’alimentation répond, comme n’importe quelle source de commerce, à quelques lois économiques fondamentales largement étudiées. Ainsi, l’économiste américain Paul Romer, Prix Nobel d’économie en 2018 (avec son collègue William Nordhaus) a démontré que  l’innovation était le moteur de la croissance économique. Sa « Théorie de la croissance endogène » propose que les investissements dans la connaissance et l’innovation créent des effets d’entraînement positifs, bénéficiant à l’économie dans son ensemble. Il soulignait notamment, dès 1990, que « Le progrès technologique dans le secteur alimentaire, avec des innovations comme la viande de laboratoire et l’agriculture de précision, a le potentiel de transformer la sécurité alimentaire mondiale et de réduire les coûts pour les consommateurs ». Dommage pour la viande de laboratoire (voir notre article ICI), mais disons que l’idée est déjà là et qu’elle a poursuivi son chemin chez les économistes auxquels nous pourrions appliquer la typologie suivante:

  1. Les optimistes technologiques

Les partisans de l’innovation comme principal moteur de la croissance économique soulignent souvent le rôle de la technologie dans la révolution de l’industrie alimentaire. Les économistes de cette école, tels que ceux inspirés par l’américain Joseph Schumpeter, mettent en avant le concept de « destruction créatrice ». Les anciens processus et produits sont remplacés par de nouveaux, plus efficaces, ce qui augmente la productivité et réduit les coûts. Philippe Aghion, Professeur au Collège de France et spécialiste de l’économie de l’innovation, soutient également l’idée que l’innovation est cruciale pour la croissance, tout en soulignant l’importance de l’État dans le soutien à cette innovation. Selon lui, « l’innovation dans l’industrie alimentaire ne peut prospérer que si les gouvernements investissent dans la recherche publique et facilitent la collaboration entre les secteurs publics et privés ». Aghion insiste sur le rôle de l’État pour stimuler l’innovation tout en veillant à réduire les inégalités que l’innovation peut parfois aggraver.

2.  Les économistes des ressources : l’innovation pour la durabilité

Un autre groupe d’économistes considère l’innovation sous l’angle de la gestion des ressources et de la durabilité. À l’instar de l’américain Jeffrey Sachs qui soutient que, bien que l’innovation soit essentielle, elle doit s’aligner sur les objectifs de durabilité. « Les innovations qui permettent de réduire les déchets alimentaires, d’améliorer l’efficacité de l’eau et de réduire les émissions de carbone sont cruciales pour créer des systèmes alimentaires durables ». Cette école de pensée met en avant le rôle des modèles d’économie circulaire, où les déchets alimentaires sont minimisés et les ressources sont réutilisées au sein du système. Sachs et d’autres économistes affirment que le secteur alimentaire ne peut se permettre d’innover sans tenir compte des limites écologiques de la planète.

© Alimentation Générale

3. Les économistes comportementaux : l’innovation pour influencer les préférences des consommateurs

Les économistes comportementaux apportent une autre dimension au débat, en se concentrant sur la manière dont l’innovation peut influencer le comportement des consommateurs. Richard Thaler, américain lui aussi, pionnier de l’économie comportementale, soulignait en 2017 que « les innovations dans les produits alimentaires peuvent orienter les préférences des consommateurs vers des choix plus sains et plus durables ». Cela inclut des innovations telles que les alternatives végétales, les produits biologiques et les emballages écologiques, qui répondent à une prise de conscience croissante des consommateurs concernant la santé et la durabilité. Les innovations dans le domaine de l’architecture des choix, un des sujets phares de Richard Thaler, évoluent également avec le temps. De nouvelles stratégies de nudge sont ainsi développées pour influencer les achats alimentaires de manière subtile et efficace.

 

©Pierre Hivernat

C’est donc dans ce cadre de pensées qu’évolue le SIAL depuis 60 ans, de manière un peu hystérique dans ses allées, avec 2 500 nouveau produits reçus cette année pour le concours SIAL Innovation. La course à l’innovation passe ainsi par toutes les couleurs, y compris et surtout pour des produits qui ont tendance à prendre le consommateur pour un benêt facile à épater.
Alors, fort heureusement, pour sortir de la pression du présent et aller au-delà du distinguo entre modes et tendances, cette édition du SIAL s’est considérablement enrichie avec ses SIAL Summits, qui ont permis de faire de la prospective intelligente à moyen-long terme.

C’est au cours de l’un d’entre-eux que l’on an pu notamment entendre Cécile Béliot-Zind, première femme à diriger le Groupe Bel (depuis 2022), dont l’enthousiasme n’a d’égal qu’une compétence de haute volée acquise notamment par 17 ans passés chez Danone.
Cécile Béliot-Zind est définitivement de l’école Sachs. Pour elle, l’innovation ne peut se réduire à des astuces de marketing pour prendre quelques parts de marché à court terme. Elle qui a mis seulement un an et demi pour mettre en place une garantie de revenus à ses fournisseurs, tous passés en agroécologie, qui parle santé publique et changement de la perception de la valeur de la nourriture et conclue par sa volonté de « construire des ponts et non pas des murs » donne une vision et pas l’opinion du moment sur les réseaux sociaux.

Ces SIAL Summits ne sont pas cerise sur le gâteau de l’innovation mais sans doute le Forum qu’il manque aujourd’hui pour développer autrement l’imaginaire du « consommer ensemble » et puisse Cécile Béliot-Zind faire école.

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