On en parle moins mais, au Japon aussi, les agriculteurs font entendre de la voix. Profitant des négociations du Trans-Pacific Partnership (TPP) qui se sont ouvertes, lundi dernier entre les Etats-Unis et l’Archipel nippon, ces derniers en appellent à un protectionnisme encore plus renforcé de la part de leur gouvernement. Qui ne semble pas leur donner raison pour le moment.
C’est une étonnante et récurrente pénurie qui est en train de mettre en lumière « les défaillances d’un secteur agricole cadenassé par les mesures protectionnistes japonaises ». La citation émane d’analystes qui suivent, depuis mardi, un étrange sommet économique se jouant du côté d’Hawaï. Réunis sur cette autre île depuis mardi, Etats-Unis, Japon et dix autres pays de la région Pacifique tentent de boucler de laborieuses négociations au doux nom de Trans-Pacific Partnership (TPP). Un accord de libre-échange Asie-Pacifique qui pèse aujourd’hui près de 40% du produit intérieur brut mondial.
L’enjeu est donc de taille. Et, malgré la pression des Etats-Unis notamment, le Japon ne cesse de défendre bec et ongles ses cinq « vaches sacrées ». Comprendre, le sucre, le riz, les céréales, les viandes de bœuf et de porc, ainsi que les produits laitiers. Se montrant historiquement peu enclin à ouvrir ses frontières, l’Archipel nippon en est toute fois à envisager d’abaisser les barrières douanières de certains produits. Un brusque retournement de stratégie provoqué par une situation agricole aussi grave qu’ubuesque. La preuve par le beurre.
Effondrement du nombre d’agriculteurs
et de l’autosuffisance alimentaire
D’après ces mêmes experts qui suivent de près ce dossier, quand le beurre vient à manquer, le Japon rechigne à s’approvisionner à l’étranger. La faute à des tarifs douaniers prohibitifs… qu’il impose lui-même. Résultat de cet ardent protectionnisme bâti sur une myriade de régulations, quotas, subventions et autres prélèvements douaniers faramineux (jusqu’à 800% pour le riz), le pays a fini par avoir recours à des importations d’urgence. Pas moins de 10 000 tonnes de beurre en 2014. Près de 7 000 depuis le début de cette année. Soit une tonne tous les mois depuis janvier.
Si l’anecdote peut prêter à sourire, « cette dernière illustre plus largement l’échec de la politique agricole du Japon », estime Marcel Thieliant. Interrogé par l’AFP, cet économiste chez Capital Economics accuse même « la politique de contrôle du gouvernement d’empêcher les exploitants de réagir avec souplesse aux fluctuations de la demande ». Censée préserver le secteur des coups de boutoirs extérieurs, cette politique « n’a pas évité le déclin du secteur, au contraire », souligne encore Marcel Thieliant, chiffres à l’appui : « Entre 1995 et 2013, le nombre d’agriculteurs s’est effondré de moitié et l’autosuffisance alimentaire du pays a plongé de 43% à 39%. » « Le gouvernement a eu beau essayer de protéger les intérêts du secteur, renchérit Toshihiro Nagahama, chercheur à l’institut Dai-Ichi Life, celui-ci n’est pas devenu pour autant lucratif. Maintenir le statu quo signerait son arrêt de mort. »
« Une mise à mort de la filière laitière »
Une vision alarmiste, renforcée par le dernier recensement de l’association des producteurs laitiers du Japon qui montre que ces derniers ne seraient plus que 18 600, soit 10 000 de moins qu’il y a dix ans, qui n’est cependant pas partagée par les premiers concernés. Bien au contraire. « TPP ou non, il n’existe pas de solutions miracles pour inverser la tendance », pense même Tetsuo Ishihara. « Les craintes liées aux actuelles négociations ne font qu’aggraver la situation, renchérit le directeur général de l’association laitière nippone. Précipitant d’autant le départ d’agriculteurs inquiets de l’avenir. » Une accumulation des facteurs qui pousse désormais certains supermarchés à rationner régulièrement leurs clients en produits laitiers.
Redoutant un afflux de marchandise étrangère à bas prix pour contrer la pénurie, plus d’un millier de producteurs laitiers sont descendus, lundi, dans les rues de Tokyo, exhortant leur gouvernement « à faire preuve de fermeté lors les négociations en cours », selon l’agence de presse Kyodo. Alors que ces derniers voient dans le Trans-Pacific Partnership « la mise à mort finale de leur filière », le Premier ministre Shinzo Abe semble, au contraire, vouloir profiter de ces négociations pour enclencher le regroupement des petites exploitations en de plus grosses entités, « mieux à même de concourir sur la scène internationale ». Farouche partisan d’une exportation massive de produits japonais de qualité, censée enrayer la crise que traverse actuellement son pays, ce dernier a même entrepris d’affaiblir, via une révision législative, le pouvoir de l’important lobby agricole JA-Zenchu. Décuplant d’autant la colère des agriculteurs nippons. Et la pénurie de beurre dans les supermarchés.
Partagez moi !
Vous pourriez aussi être intéressé par
Analyse SIAL 2024
Quand les innovations alimentaires sont-elles innovantes ?
Analyse
La révolution Ozempic provoque panique et réinvention dans l’industrie agroalimentaire
Analyse Initiatives +