Que fait-on demain pour faire émerger l’idée d’exception agricole ? Paysans et paysanne, élue, agronomes et militante du bien-être animal : ils étaient six à tenter de dresser le portrait de cette nouvelle agriculture qui en serait la pierre angulaire. Les discussions se déroulaient dans le cadre de l’événement Sortons l’Agriculture du Salon qui s’est tenu en février dernier parallèlement au Salon de l’Agriculture.
Les débats s’ouvrent sur la vision du rapport de l’homme à la nature portée par Henri de Pazzis, paysan et auteur de La Part de la Terre. Il défend une habitation poétique du monde qui passe par l’acceptation que l’homme appartient à la nature : « à voir la nature comme séparée de nous, non seulement nous nous nions nous-mêmes mais nous ne sommes pas en mesure de changer les choses » souligne t’il.
Un point de vue qui ne laisse pas indifférent Marc Dufumier, agronome et professeur émérite d’AgroParisTech. Pour lui, l’homme fait plus que simplement habiter le monde : l’histoire sociale humaine est le fruit, notamment, de la domestication. « Il ne s’agit pas de nier la dimension productive de l’agriculture ni la domination de la nature par l’homme« , dit-il, « mais de dénoncer le diktat du profit auquel est soumis l’agriculture. L’homme en a perdu la tête, entrant dans une domination violente de la nature et une marchandisation de l’agriculture. »
Un retour au bon sens paysan
Une divergence philosophique qui ne les empêche pas d’être d’accord sur les pratiques agricoles à mettre en œuvre. Une agriculture intensive, assène Dufumier un brin provoc’. Intensive dans l’usage qu’elle fait des ressources renouvelables gratuites telles que le dioxyde de carbone ou l’énergie du soleil, une agriculture intensive en emplois. Une nouvelle agriculture qui doit permettre aux pays du Nord de produire moins mais mieux, laissant ainsi la possibilité aux pays du Sud de produire sans concurrence déloyale des surplus subventionnés en provenance d’Europe par exemple. « Les meilleurs paysans du monde sont en Afrique mais leur savoir-faire disparait. » ajoute-t-il.
Pour concilier souveraineté alimentaire et capacité de la terre à produire demain, Benoît Biteau, paysan, agronome et conseiller régional délégué à la mer en région Aquitaine – Limousin – Poitou-Charentes complète le propos : « il faut aussi revenir à l’idée de vocation du territoire et repenser l’équilibre des activités humaines qui coexistent en son sein. » Équilibre encore, face à l’enjeu climatique, entre émission et séquestration des gaz à effet de serre. « L’eau sera source de conflits dans le futur — une victime est déjà à déplorer en France, à Sivens » poursuit-il, « il nous faut en avoir une gestion qualitative et quantitative. » La biodiversité, enfin, n’est pas qu’affaire d’espèces sauvages à protéger, mais aussi de races domestiques locales et de semences paysannes, sans oublier toute la biodiversité des sols car tout part de là, rappelle-t-il. L’équation de cette nouvelle agriculture, c’est du bon sens paysan, conclut-il en citant Michel Crépeau : « Le vrai progrès, c’est une tradition qui se prolonge. »
Le respect du vivant sous-jacent à cette vision de l’agriculture implique d’intégrer la dimension du bien-être animal, complète Agathe Gignoux du CIWF France, qui rappelle qu’aujourd’hui en France, l’élevage est à 80% industriel. Les pratiques doivent évoluer bien sûr, mais c’est aussi la faim de viande des consommateurs qui est à interroger. Créée en 1967 par un éleveur laitier inquiet de l’intensification de l’élevage, l’association dédiée au bien-être des animaux de ferme qu’elle représente appelle à manger moins de viande mais de meilleure qualité.
La ville, partie prenante du modèle agricole
« La ville est un lieu de consommation mais elle dépend des campagnes pour la nourrir rappelle. » Antoinette Guhl, adjointe à la Maire de Paris. Mais, bien souvent, dans des villes hors-sol, la nourriture est réduite au rang de marchandise comme une autre. En cela, les projets d’agriculture urbaine sont intéressants, ajoute-t-elle, non pas parce qu’ils pourraient un jour nourrir la ville — faute des surfaces nécessaires — mais parce qu’ils recréent un lien entre les citadins et la nature.
« Il faut aller plus loin, et définir un nouveau contrat ville / campagne » ajoute-t-elle. Pour Paris, cela veut dire par exemple encourager de nouveaux modèles de consommation — comme la coopérative La Louve —, fixer un objectif de 50% de bio dans les cantines scolaires ou encore collecter séparément les biodéchets, notamment dans une perspective de production de compost.
Diversité paysanne
Ils sont de plus en plus nombreux à faire le choix de quitter la ville pour la campagne. Parmi eux, Linda Bedouet, installée depuis 6 ans en maraîchage avec son compagnon Edouard Stalin à la ferme de la Mare des Rufaux, et auteur du récent ouvrage Créer sa micro-ferme. Un choix qu’ils ne regrettent pas mais qui pose la question de l’accueil des néo-paysans par les acteurs historiques de l’agriculture (paysans issus de familles paysannes, syndicats…). « Non, nous ne pensons pas être supérieurs parce que nous venons de la ville et nous ne sommes pas non plus venus piquer le travail des autres. Il faut nous voir comme des énergies nouvelles, poursuit-elle, qui avons des choses à apporter dans ce monde rural que nous ne comprenons pas toujours, et nous aider à nous enraciner. » dit-elle avec son franc-parler habituel.
Si la diversité animale et végétale est essentielle à cette nouvelle agriculture, pourquoi celle des paysans et des fermes ne le serait-elle pas après tout ? Le recul que les néo-ruraux ont sur ce qu’attend la société civile fait que, bien souvent, ils arrivent avec des projets plus pertinents que des gens issus des lycées agricoles ou de familles paysannes, confirme Biteau, avant d’ajouter qu’ils se heurtent malheureusement au problème de l’accès au foncier.
Alors, par où commencer ?
Pour Marc Dufumier, la restauration collective serait effectivement un excellent terrain pour amorcer le changement. Seuls 1,6 milliards d’euros sur les 9 actuellement distribués via le premier pilier de la PAC suffiraient à financer le surcoût du bio dans les cantines scolaires. Cela amènerait à un engagement de volume pour les paysans du territoire, ainsi qu’à une juste rémunération prenant en compte la pénibilité du travail.
Une autre idée de réallocation du budget de la PAC : rémunérer — et non subventionner, les mots ont leur importance — les paysans pour les services environnementaux qu’ils rendent. Aujourd’hui les externalités négatives du modèle conventionnel font l’objet de politiques curatives, renchérit Benoît Biteau, les politiques locales auraient en effet tout intérêt à adopter des approches préventives. Une idée à laquelle abonde Henri De Pazzis pour qui la mission première du paysan doit être de préserver la fertilité des sols, ce qui doit se traduire dans leur rémunération.
De manière plus simple et immédiate pour tous, refonder l’agriculture et notre rapport avec elle, ne passe-t-elle par une dimension sémantique rappelée par Eugenio Mailler, modérateur de cet atelier : « Parlons de paysans plutôt que d’exploitants et définissons-nous comme mangeurs plutôt que consommateurs. »
Photos de Une : Alvaro Canovas / Photo centre : Arnaud-Bertereau
Télécharger la synthèse de la journée Sortons l’Agriculture du Salon
Pour en savoir plus : Rendez-vous au Nantes Food Forum le dimanche 4 juin pour : Demain, une autre politique : imaginer les suites du Manifeste « Pour une exception agricole et écologique »
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