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À la prison de Fleury-Mérogis, la cuisine pour se réinsérer comme une cheffe

23.04.18

Ce n’est pas la première fois qu’un chef cuisinier s’intéresse à la prison comme lieu d’insertion. Nous vous avions notamment parlé de Michel Portos aux Baumettes. Depuis un mois, la formation « Cuisine, mode d’emploi(s) » du chef étoilé Thierry Marx a poussé les portes de Fleury-Mérogis (Essonne), la plus grande prison d’Europe.

Dans la maison d’arrêt des femmes, six détenues s’activent aux fourneaux du lundi au vendredi, sept heures par jour. « La cuisine, c’est du lien social. On apprend à se connaître et ensuite on peut entrevoir l’idée d’un projet professionnel« , résume le chef du Mandarin Oriental, venu inaugurer lundi cette formation qui bouscule les us et coutumes de l’univers carcéral. Car l’apprentissage de trois mois s’effectue en détention, mais aussi, fait rarissime, pendant trois semaines en entreprise. Pour accéder à un vrai restaurant en juin, les détenues devront donc mériter leurs aménagements de peine leur permettant de rentrer dormir en cellule chaque soir, ou d’avoir un bracelet électronique.

« La confiance, c’est donnant-donnant« , sourit Janik, 47 ans, pendant que 70 convives, dont les ministres de la Justice et du Travail, dégustent ses verrines. Au départ, les couteaux étaient repris dès que les détenues terminaient de les utiliser, raconte-t-elle. Un mois plus tard, chacune les utilise librement et la formatrice « retrouve tout son matériel à la fin du service« . « Elles s’en sortent très bien« , confirme la cuisinière Leïla Blondeau. « Elles sont très motivées, pleines d’idées et elles ont réussi le plus difficile: avoir un bon esprit de groupe dans la brigade« . Pour ce cocktail, ce sont elles qui ont élaboré la carte, à partir de la liste de commandes donnée par la cheffe. Au quotidien, les six apprenties ne travaillent pas pour des convives, mais mangent ce qu’elles préparent. Un « gros avantage par rapport aux autres détenues« , souligne Janik, en grimaçant à l’idée des repas servis en cellule.

Un enjeu majeur

L’objectif consiste à maîtriser 80 gestes culinaires et 90 recettes. Tailler ses légumes en julienne ou en brunoise, fileter un poisson, maîtriser la cuisson du veau Marengo: sous leur toque blanche et leur tablier noir, les détenues se sentent « comme des vraies cuisinières« . « Il n’y a rien de plus valorisant« , reprend Janik. En cuisine, « on ne voit pas l’heure passer alors que le week-end, on tourne en rond et on s’ennuie » en cellule. Le cursus culinaire pousse aussi à l’introspection: « Qu’est-ce qu’on fait là, alors qu’on a du potentiel?« , s’interroge Elza, 33 ans. À Fleury, les autres détenues sont « toutes intéressées par la formation, tout le monde nous pose des questions« , rapporte-t-elle. Mais toutes n’ont pas le profil: les services d’insertion et de probation sélectionnent celles qui sont condamnées pour des délits, pas des crimes. Elles doivent être incarcérées pour de courtes peines et nourrir un projet professionnel.

À sa sortie de prison, Elza espère s’occuper de la section viandes d’une brigade. Petite-fille de marin, Janik vise elle la partie poissons d’un « bistro gastronomique« . À ses côtés, Shaïnah, 22 ans, ambitionne de monter sa propre affaire en Guyane. Toutes sont épaulées par l’association Wake up Café, qui accompagne les détenus vers une embauche. La formation débouche sur un certificat de qualification professionnelle (CQP), reconnu par l’État. Selon Thierry Marx, l’immense majorité des apprentis décrochent un travail: les besoins du secteur sont énormes, avec des milliers de postes laissés vacants chaque année. Le chef, qui a grandi dans un quartier populaire de Paris, intervient régulièrement en prison depuis 20 ans. Mais c’est la première fois que son cursus « Cuisine mode d’emploi(s) » s’implante derrière les barreaux: une deuxième session aura lieu avec les femmes de Fleury, avant que la cuisine mobile ne déménage chez les hommes pour une série de trois formations. En France, « un tiers des détenus travaillent » en prison mais leur formation reste « un enjeu majeur » pour le ministère de la Justice, a rappelé Nicole Belloubet en saluant le projet. Et d’appeler les régions, qui gèrent la formation professionnelle, à « assumer pleinement cette compétence, y compris pour les personnes en détention ».
Par Romain Fonsegrives pour AFP

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