La science se cherche

Geneviève Michon, l’arbre comme raison d’être

12.03.24

De Java à la Corse, l’ethnobotaniste, écrivaine et photographe d’art parcourt les agro-forêts du monde. Elle pose son œil sensible sur ces arbres et leur écosystème pour éclairer les relations qui s’y tissent. Cette baroudeuse espiègle au regard pétillant nous invite à l’émerveillement.  

Avant d’explorer le monde, c’est dans les bocages du Morvan, que la jeune Geneviève évolue déjà parmi les arbres. Là, qu’elle cueille dans les années 60 leurs fruits, dans le verger rempli de pommiers de sa grand-mère, après avoir parcouru, petits et grands bois bordés de haies. Un paysage aujourd’hui disparu, la faute au remembrement (voir notre enquête sur les haies ici – NDLR). « Une perte de repères familiaux », pose-t-elle comme une blessure originelle derrière ses lunettes rondes aux teintes nature. Celle qui se réjouit d’une considération nouvelle des arbres comme « êtres » vivants, nous rappelle qu’ils sont « notre berceau ». De leur façon d’être au monde qui dit tant de nous, elle évoque la capacité de l’œil humain à distinguer plus de nuances de vert que n’importe quelle autre couleur. Un don hérité du genre Homo, né sur une canopée équatoriale africaine. Au cas où le doute subsisterait, la chercheuse à la chevelure flamboyante nous ramène au sujet « Ce sont vraiment les arbres qui m’attiraient ».

Aux envies d’études de lettres de l’adolescente, l’injonction paternelle « tu seras scientifique » la mène entre hasard et choix par défaut vers un DEA de botanique tropicale. Un sujet de mémoire plus tard sur les relations entre les plantes et les hommes, et la voilà qui renoue avec les sciences sociales. Sa première rencontre avec l’agro forêt ? « Un choc, quand on entre dans ces épaisseurs forestières, on est chez nous ». Dans les tropiques humides indonésiennes qu’elle étudiera pendant 15 ans, elle découvre ces petites maisons de bambou abritées sous d’immenses arbres, des jardins-forêts qui regorgent de fruits, dont le vénéré durian connu pour son odeur tenace. Le sujet de sa thèse menée sous la direction de Francis Hallé et soutenue en 1985 est tout trouvé : de l’homme de la forêt au paysan de l’arbre : agroforesteries indonésiennes. Ici, hommes et arbres font société entre sacralité et utilité. La forêt primaire se mue en mythologie.

« La connaissance de la physiologie de l’arbre et sa relation à l’élevage par les agriculteurs est universelle »

Geneviève Michon

Éclairer les savoirs ancestraux et éternellement avant-gardistes

De l’étude de ces techniques, la symbiose fertile entre espèces et paysage est le maître-mot planétaire. Reconstruction de systèmes forestiers utiles interdépendants des rizières à Sumatra, plantation d’Arabica sous des couverts sylvestres sur les hautes terres d’Éthiopie, forêt d’arganiers plantés au Maroc entre orge et blé, sans oublier la Dehesa Espagnole où le mariage entre élevage de porc noir et culture des chênes (liège et vert) fait le goût unique du Pata Negra. Documenter ces pratiques pour mettre en lumière l’intelligence de savoirs ancestraux et éternellement avant-gardistes, là est la lutte de Geneviève Michon. Un engagement à poser des mots sur cette domestication invisible pour laisser une trace de ces richesses paysannes, fruits d’expérimentations sensibles. Au Maroc, les agro-pasteurs agroforestiers « éduquent en arbre » l’arganier protéiforme à la cime large et ronde et au tronc noueux. Reconnu comme un allié pour lutter contre la désertification du fait de sa grande résilience à la sécheresse et la profondeur de son système racinaire, il est pâturé, notamment par des caprins. Tout l’art consiste dans ce cas précis à favoriser les branches basses ou à aménager des « escaliers à chèvre » pour garantir aux bêtes l’accès au fourrage aérien.

 

 

Éduquer, patienter et respecter le temps de la nature. « La connaissance de la physiologie de l’arbre et sa relation à l’élevage par les agriculteurs est universelle », détaille l’ethnobotaniste en prenant soin de préciser « il existait la même chose en Europe jusqu’au milieu du 20e siècle avec notamment les pré-vergers ou la taille en trogne, mais cela s’est perdu ».

Se détacher du carcan scientifique

À l’indignation, notre artiste chercheuse a depuis longtemps choisi la voie de l’émerveillement, son « aliment pour penser ». Bercée par les poèmes de Saint-John Perse*, elle a appris à poser d’autres mots et des images sur les arbres de sa vie. Elle s’est autorisée à écrire plus librement, se détachant du carcan scientifique.
De sa rencontre avec l’artiste plasticien Philippe Deltour, sont nés plusieurs livres dont Thurifères. Une ode à la survie de ces arbres millénaires dont l’ondulation tourmentée au souffle des éléments révèle « ce temps rendu visible ». Ces géants de l’Atlas sont tissés de leurs rencontres avec les hommes et les animaux. En citant Wohlleben, elle nous rappelle que la forêt est ce lieu d’entraide et de coopération loin des diktats de la compétition « On a besoin d’une autre loi de la jungle faite de symbiose et de mutualisme ».

*St John Perse (« Chanson », dans le recueil Anabase)
Mon cheval arrêté sous l’arbre plein de tourterelles, je siffle un sifflement si pur, qu’il n’est promesses à leurs rives que tiennent tous ces fleuves.
Feuilles vivantes au matin sont à l’image de la gloire)…
Et ce n’est point qu’un homme ne soit triste, mais se levant avant le jour et se tenant avec prudence dans le commerce d’un vieil arbre,
appuyé du menton à la dernière étoile,
il voit au fond du ciel à jeun de grandes choses pures qui tournent au plaisir.
Mon cheval arrêté sous l’arbre qui roucoule, je siffle un sifflement plus pur…
Et paix à ceux qui vont mourir, qui n’ont point vu ce jour.
Mais de mon frère le poète, on a eu des nouvelles. Il a écrit encore une chose très douce. Et quelques-uns en eurent connaissance.

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