Portrait LIVRE

Nourrir le monde, selon le très britannique George Monbiot, activiste journaliste

George Monbiot vient de publier en français son douzième livre. Dans la continuité de Feral paru en 2013 sur le réensauvagement des écosystèmes, celui-ci propose une lecture sans concession du système alimentaire actuel et de ses effets dévastateurs sur la nature, tout en suggérant des pistes pour imaginer des solutions.

Pomme Ashmed’s Kermel

Quelques jours après la sortie de son nouveau livre, nous rencontrions George Monbiot dans un café parisien. Un phrasé anglais au son BBC, le flegme qui va avec, même quand il nous raconte avec engouement, passion et érudition pourquoi la Ashmed’s Kermel est sa pomme préférée. Laquelle arborant des nuances dorées et olives nous vient du Devon (sud-ouest de l’Angleterre) où il réside actuellement : “ Elle est croquante, a une texture fascinante avec une peau rustique donc légèrement rugueuse, et une chaire sucrée, ce qui donne un contraste de saveurs qui ne fait que s’améliorer lorsqu’on la conserve jusqu’à décembre” (la Ashmed’s Kermel tombe de l’arbre en octobre). Voilà un avant-goût de tous les enthousiasmes que vous trouverez dans son dernier ouvrage, un style en soi.

À travers neuf chapitres, l’auteur y aborde d’abord les grandes problématiques du système alimentaire globalisé qui nous amènent, à date, droit vers la catastrophe. Parce que si l’on veut nourrir les habitants de cette planète sans la détruire avec pour horizon une dizaine de milliards d’entre-nous à y cohabiter en 2050, il y a quelques pré-requis que l’auteur s’attache à lister consciencieusement.
George Monbiot balaye large pour construire son inventaire des dysfonctionnements : pollution des rivières et des sols, injustices alimentaires, difficultés d’accès au foncier, expansion des pâturages, poids des industries agroalimentaires. Un chantier immense qui devrait normalement susciter fissa un changement mondial de paradigme.

Pour développer ses arguments, le livre de George Monbiot peut cependant s’avérer technique. Il le reconnaît d’ailleurs lui-même lors de notre échange : “J’ai essayé de simplifier sans être simpliste”. L’auteur admet également le peu de goût des scientifiques pour communiquer vers le grand public et s’inscrit lui-même en faux avec cette culture. C’est ainsi qu’on retrouve au gré des différents chapitres du livre, de nombreux passages sur sa vie privée, voire des informations très intimes comme le cancer auquel il a dû faire face.

Portrait de George Monbiot
Malgré tout, je pense que nous avons les moyens de nous sortir de cette crise. Aussi improbable que cela puisse paraître, nous sommes capables de produire plus de nourriture avec moins d'agriculture.

George Monbiot

Si les constats de Georges Monbiot semblent largement partagés par bien des auteurs français, ses pistes de solution sont souvent originales et intéressantes, car portées par des personnalités britanniques très singulières. L’auteur part à la rencontre d’agriculteurs aux méthodes peu orthodoxes, interroge ses amis et ennemis scientifiques, se questionne lui-même sur des solutions concrètes et réalistes. Et ceux qui l’inspirent font toujours l’objet d’une biographie flatteuse et détaillée.  Le lecteur a ainsi la sensation d’avoir lui aussi rencontré Tolly, Tim et Ian. Ce parti pris permet de contrebalancer l’entreprise laborieuse et complexe de militer pour un système agricole à haut rendement mais avec un faible impact sur l’environnement. “Le défi est de taille, assurément, mais je suis convaincu que nous pouvons le relever.” Il travaille avec ses amis au lancement d’un mouvement qui irait à contre-courant de “l’homogénéisation de l’exploitation agricole mondialement standardisée”. Dans les dernières pages de son livre, il pose même les bases d’un manifeste. 

"Nourrir le monde sans dévorer la planète" par George Monbiot

Journaliste activiste et inversement

Dans son livre comme dans la vie, George Monbiot est d’un engagement sans faille, et ce, depuis plusieurs décennies. En 1994, il participe à la première action anti-OGM en Europe. Habillé d’un sac de couchage pour figurer une chenille, hissé en haut d’un arbre, il protestait avec ses camarades à Oxford contre Monsanto (désormais Bayer) qui pilotait un labo de recherche destiné à engendrer une bactérie génétiquement modifiée supposée contaminer les chenilles mangeuses de cultures. Il nous confie également que s’il reste fermement opposé aux OGM introduits dans les cultures par les géants de la chimie pour leurs seuls profits, il ne rejette pas pour autant les nouvelles technologies. Ainsi, les recherches sur les bactéries, surtout celles qui visent à créer de nouveaux aliments peu onéreux et riches en protéines font partie des solutions. Et pour être crédible, l’activiste Monbiot s’attache à répondre au journaliste sur la transparence en recensant sur son site internet tous ses revenus, allant de ce qu’il perçoit de son activité au Guardian à ses investissements ou le montant de ses prêts. C’est le minimum, nous dit-il, si l’on prétend à une certaine légitimité à soutenir les causes que je défends.

« Nourrir le monde sans dévorer la planète » par George Monbiot / Les Liens qui Libèrent / 364p. / 24€ et pour ceux (anglophones) qui voudraient l’édition originale : « Regenesis : Feeding the World Without Damaging the Planet » par Penguin Books, Ltd, London

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