Portrait Artisan

MOF puissance 2

19.11.15

Dans la famille Mauvigney, charcutier-traiteur depuis trois générations, le père Joël et le fils Jauffrey travaillent ensemble. Signe particulier : ils sont tous les deux MOF. Un doublé rare pour une maison qui cultive l’excellence dès le plus jeune âge : Jauffrey n’a que 23 ans quand il obtient le prestigieux titre, c’était il y a deux ans.  

Joli petit minois sculpté par une barbe de trois jours, grands yeux bleu brillants, la démarche athlétique de l’homme pressé, Jauffrey reçoit dans le petit bureau qui jouxte le laboratoire de la charcuterie-boucherie familiale. Sur sa veste blanche, le col bleu-blanc-rouge des MOF. Sur l’élégante façade de la maison en pierre, la plaque réservée aux MOF exacerbe deux univers que le commun ne fait que très rarement coexister : « la joie » et « le travail ». Chez Jauffrey, joie et travail semblent pourtant de mise, lui qui a réussi vite, en travaillant beaucoup. Et pourtant, ses débuts sont un peu chaotiques et le chemin loin d’être tracé : à 18 ans, il passe son Bac Comptabilité et Finances des Entreprises. Il échoue.

Piqué à vif, il veut tout arrêter mais sa mère le convainc de s’accrocher et de le repasser en candidat libre. C’est ce qu’il fait tout en commençant un BTS Management des Unités Commerciales au CFA (Centre de Formation des Apprentis) du Cobas à La Teste-de-Buch sur le bassin d’Arcachon. « C’est grâce à des gens comme eux que j’en suis là. Ils m’ont fait confiance, comme Coups de pâtes, l’entreprise qui m’a pris en alternance.» À l’époque, il y entre comme télévendeur puis fait du commercial, de la logistique, des livraisons de nuit. Rien à voir avec le métier de charcutier auquel il ne se destine pas. Il ne sait d’ailleurs pas ce qu’il veut faire, il se cherche un peu, comme un grand gaillard de 20 ans. Alors, en attendant de trouver sa voie, après son BTS, il travaille un mois, puis deux, puis trois, dans la charcuterie paternelle. Au bout d’un an, il se dit que finalement c’est peut-être ça sa voie. Retour au diplôme : il se présente en candidat libre et obtient son CAP charcutier-traiteur.

Bête à concours

Le voilà officiellement prêt à faire le métier, mais Jauffrey a la gagne dans le sang, comme son père Joël, MOF depuis 1986 et par ailleurs président de la Confédération Nationale des Charcutiers Traiteurs. C’est lui qui l’inscrit à son premier concours de charcutiers-traiteurs, celui du Jeune Espoir, réservé aux 18-23 ans.

Jauffrey a 22 ans, il échoue, tire le bilan de cette première expérience « je n’étais pas prêt, je n’étais pas conscient de ce qu’attendait les membres du jury, je n’avais pas assez travaillé.» L’année d’après, il se lance dans le concours des Chefs Traiteurs, réservé aux 23-35 ans. Mais cette fois-ci, il n’a pas l’intention de faire de la figuration. « Je ne voulais pas me casser à nouveau la binette. J’y allais pour gagner. Quand on dit que l’essentiel c’est de participer, c’est de la foutaise. On ne retient que ceux qui sont sur le podium.» Et sur le podium, il a le talent d’arriver… premier.

Là où beaucoup auraient considéré cette consécration comme un aboutissement, Jauffrey, encouragé par ses parents, le vit comme une étape. « Je devais bien cela à mon grand-père qui a créé la charcuterie à Mérignac en 1963 et à mon père. Son titre de MOF, c’est une image de marque. Je ne voulais pas avoir à refaire la vitrine et à enlever la plaque une fois qu’il arrêtera de travailler ! » Volontiers bûcheur, le jeune homme travaille le jour et prépare son grand concours de MOF la nuit. Un entrainement éprouvant auquel il sacrifie presque tout, coaché par son père « j’y ai mis tout mon courage ». Les sujets de qualification tombent. Il a 6 semaines pour réinventer une terrine de pieds de porc et ris de veau aux morilles ainsi qu’un saucisson brioché pistaché.

Les résultats tombent : ils sont six à être qualifiés « j’avais franchi une petite marche mais je n’étais pas arrivé en haut de l’escalier.» Pour arriver au sommet, il lui faudra convaincre le jury avec quatre autre préparations : un entremet de foie gras de canard et figues, un dos de porcelet façon Bourgogne, une jambonnette façon Virginie et une queue de lotte aux agrumes. Quatre jours pour boucler les réalisations, dont Jauffrey aime montrer les photos, surtout cette de son entremet foie gras / figues qu’il a traité comme une pâtisserie fine. Et le voilà titré ! À 23 ans ! Si Jauffrey en tire une immense fierté, il n’en garde pas moins la tête froide.  » On se doit d’être humble et exemplaire. On se doit aussi de transmettre ce que les anciens nous ont eux-mêmes transmis. Après il ne faut pas oublier qu’on est MOF, il faut proposer de l’innovation, apporter notre jeunesse.»

Des grands classiques aux préparations les plus innovantes

Depuis qu’il est titré, Jauffrey propose dans la charcuterie familiale les préparations des concours qu’il a gagnés mais aussi de nouvelles, comme ce pâté au mojito qui a fait un tabac durant l’été. Des innovations qui trônent au milieu des indémodables boudins noirs, andouilles béarnaises, saucissons à l’ail, rillettes d’oie, grattons de Lormont, fricandilles ou graisserons de canard. Et quand Jauffrey quitte son laboratoire et l’élégant magasin gris anthracite et orange vitaminé, c’est pour redevenir un jeune homme presque comme les autres : amateur de pétanque et de chasse du côté de Lacanau, son « fief ». De là à ouvrir un second magasin sur la côte… Il y réfléchit, tout en se disant qu’un jour, peut-être, il passerait bien un autre concours de MOF : celui de pâtissier !

Joël et Jauffrey Mauvigney
Charcutier – traiteur - boucher
3 Avenue Jean Mazarick – 33700 Merignac
tél : 05 56 47 16 21

Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.

Partagez moi !

Vous pourriez aussi être intéressé par

Portrait Épicerie

Les clés du succès de Pourdebon, la place de marché en ligne

03.04.24
On avait déjà réalisé une courte vidéo à leur sujet à l’occasion du lancement de leur pop-up store éphémère… En novembre 2018. Cinq ans plus tard, on a rencontré Nicolas Machard, le Directeur général de Pourdebon dans ses nouveaux...

Portrait Québec, la Saison des sucres

Pier-Alexis Soulière, le sommelier qui remet l’érablière de l’église au milieu du village

30.04.24
Dernier volet de notre dossier sur la Saison des sucres au Québec, la rencontre avec une personnalité hors norme. Pier-Alexis Soulière, 20 ans à tourner autour de la planète à écumer les grandes Maisons de gastronomie et les championnats...

Portrait Le vigneron / la vigneronne du mois

Le b. a. Bia ou pourquoi partir à la recherche du Mècle, Chatus ou Bia, ces cépages oubliés ?

15.03.24
Faut-il être passionné par la viticulture, l’environnement, le patrimoine et l’histoire pour se lancer à la recherche des cépages oubliés. Ecouter les vignerons Nicolas Gonin et Pascal Jamet raconter leur travail de prospection à la recherche du Bia, Mècle,...