Tout petit il voulait être marin. Il pense que c’est à cause du bassin d’Arcachon dont il est originaire et puis de sa première fois : celle où il a vu l’océan. Il avait peut-être 7 ou 8 ans. Il l’a vu du haut de la dune. Il a eu un choc : cette immensité mouvante et infinie était pour lui. Peu importait le métier. Peu importait la manière. C’était il y a un peu plus de cinquante ans et son rêve d’enfant est depuis devenu réalité.
Thierry Mondron a de petits yeux rieurs, des rides profondes et un sourire chaleureux. Il parle bien, avec précision, culture et modération, loin des clichés du marin, un peu bourru, un peu bourré. Lui-même se méfie toujours un peu de ceux qui naviguent sur les flots. C’est qu’il en a beaucoup vu du temps où il était dans la marine marchande, à sillonner pour de longs mois les océans, sans parfois toucher terre durant plusieurs semaines. Il a presque tout connu ; les eaux du Nigéria, de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal, celles du Sri Lanka, de l’Indonésie, du Pakistan ou du Bengladesh et celles plus froides des Pays-bas, de la Suède ou de l’Allemagne. Et puis un jour il a décidé d’arrêter cette vie de grand navigant. Il ne voulait pas tomber dans les travers du marin : l’alcool, la perte des attaches, une certaine forme de solitude. Il ne voulait pas devenir otage de cette vie là, prisonnier de lui-même.
Au retour de son premier voyage au long cours, c’était il y a quarante ans, il se souvient que le Commandant s’était pendu dans sa cabine. Cette image ne l’a jamais quitté mais lui quitte la marine marchande. Il enchaîne alors sur un service militaire à Brest, une formation rapide à la pêche côtière et une première expérience de deux ans comme matelot sur un bateau de pêche. Assez pour qu’il achète à 23 ans son premier bateau et se mette à son compte. Il dit qu’il se lasse vite des bateaux, qu’il les garde 4 ou 5 ans avant de les revendre, qu’il en est déjà à son quatorzième et que ce n’est pas encore fini. Il dit aussi qu’il a très peur de la routine, qu’il veut toujours faire mieux ou alors différemment, qu’il faut s’adapter au bateau et que c’est stimulant. Il dit encore que certains changent de femmes, mais lui c’est de bateaux.
L’amoureux au long court
Sa femme, justement, il l’a rencontrée en 1977 à Capbreton : jeune lyonnaise de 17 ans, jolie comme un cœur, assise sur un banc face au port. Thierry évoque un avis de coup de vent qui inquiète le père de la belle. On ne sait si ce coup de vent est météorologique ou amoureux. Toujours est-il que le lendemain matin, quand il veut la revoir, la belle est partie. Il raconte qu’elle lui a écrit une belle lettre qu’elle a envoyée au port. Et comme la chance sourit souvent au amoureux, la douce lettre arrive à son destinataire. Ils se revoient deux ans plus tard, en 1979 et se marient en 1981. Il dit en riant qu’il l’a convertie, elle qui a un BTS de protection de la nature, a épousé un serial killer de poissons. Elle, elle dit qu’elle a épousé l’homme et en épousant l’homme, elle a aussi épousé le métier, celui de femme de marin-pêcheur : pendant que Thierry pêche, Sylvie vend les poissons à Capbreton au « cul » du bateau. Derrière un marin-pêcheur qui tourne bien, il y a toujours une femme dit Sylvie. Cela fait plus de 30 ans que ça dure et qu’ils se regardent comme s’ils venaient de se rencontrer, là, à quelques mètres, sur le petit banc de bois face au port.
Un Arcachonnais en exil dans les Landes
Thierry n’est pas landais, n’est pas basque, n’est pas de Capbreton. Il est du bassin d’Arcachon. Il fait partie de la vague de ce que les marins du coin appellent « les Arcachonnais ». Il se souvient qu’à l’époque, au début des années quatre-vingts, il était considéré comme un étranger, comme un envahisseur, un émigré là-bas, un immigré ici. Bien sûr, depuis, les choses se sont calmées, il n’y a plus de ressentiment de la part des autres marins-pêcheurs, juste un petit sentiment. Thierry avoue avoir longtemps travaillé pour l’argent, qu’il a bien gagné même s’il a connu de grands creux, mais que maintenant c’est pour donner un sens à sa vie qu’il continue le métier.
Depuis 2000, il a abandonné la pêche au filet pour se convertir à la pêche au chalut, qu’il a pourtant longtemps combattue. Il saturait de lancer des kilomètres de filets et avait envie de ramener des espèces plus variées. De septembre à fin janvier, Thierry taquine calamars, rougets, soles, merluchons et bars. De février à juin, lottes, soles, merluchons, rougets. Les mois d’été, rascasses, limandes, raies, merlus, saints-pierres. Le chalut, outre la diversité de pêche, lui apporte la satisfaction de maîtriser, ou plutôt de commencer à maîtriser, un métier très pointu, très technique. À la ligne, au filet ou au chahut, Thierry est formel : la pêche douce n’existe pas. Quelle que que soit la technique, le poisson meurt et toutes les pêches ont un impact sur l’environnement. Son chalut à lui est un petit bateau… avec un petit impact… et puis il ne sort que 150 jours par an, là où les fileyeurs sortent 300.
Jouer du Bach
Thierry dit que le métier n’est pas dur, sauf pour celui qui ne l’a pas choisi. Se lever tôt et partir en mer quand il fait encore nuit n’est pas dur non plus. Ce qui est difficile, c’est d’être séparé des siens. Quand sa fille est née en 1986, les campagnes en mer duraient 10 jours. Thierry pourrait à présent prendre sa retraite mais il n’est pas pressé : il ne se voit pas se contenter de promener le labrador le long des quais. Il vient de s’associer à un jeune couple et va continuer à pêcher tout en prenant le temps de profiter, se remettre au violon dont il joue quelques concertos de Bach, voyager comme son cousin de 72 ans, ancien marin, qui entame son deuxième tour du monde en voilier. Ses deux enfants ne prendront pas la suite. Derrière lui, il n’y aura rien. Du moins en matière de transmission familiale. Ce n’est pas un regret. Une vie, c’est un accomplissement personnel. La sienne est accomplie.
Thierry Mondron Pêche au chalut Avenue Georges Pompidou 40130 Capbreton Le Roi Carotte Vente « à la table», tous les jours selon saison et arrivage, tous les jours, de 9h à 12h et 15h à 18h
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.
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