Dans le village de Grignols, depuis des décennies, des boulangers continuent d’être fidèles aux méthodes anciennes pour produire un pain dont la saveur ne se dément pas. Et depuis des décennies on vient de loin pour en faire l’humble compagnon de tous les repas. Le vieux four et la devanture désuète de la boulangerie en sont restés les emblèmes. Le pain de Grignols est un éloge de la patience et de l’authenticité.
À Grignols, près de la vallée de l’Isle, on ne sait pas vraiment ce que les appellations « pain de campagne » ou « pain à l’ancienne » signifient, au-delà de leur séduction marketing. On se soucie comme d’un quignon rassis des modes mercantiles, on aime le bon pain, sans manières, le pain éternel qui accueille naturellement les cordiales confitures du petit déjeuner comme les grillons luisants du casse-croûte. Si la simplicité reste le gage du goût perpétué, elle n’est pas pour autant synonyme de facilité. Il n’est qu’à noter les horaires de travail de l’artisan, qui embauche tous les soirs avant minuit et débauche, temporairement, le lendemain vers dix heures, pour se rappeler que la boulange est autant affaire de courage que de passion.
Un savoir-faire en héritage
On comprend mieux dès lors pourquoi les pâtons surgelés ont envahi les officines citadines, tout comme ils colonisent nos papilles d’un goût toujours plus uniforme et aseptisé. Miracle d’une ruralité en douce résistance, à Grignols le savoir-faire s’est transmis sans faiblir. Derrière la délicieuse devanture, qui tous les matins replie ses volets de bois dans des caissons d’un autre temps, palpite encore le cœur brûlant du village, au rythme des fournées englouties. Ah, le vieux four, la voilà bien la vraie star, celle que servent depuis 1922 des bras dévoués. Vénérable monstre de briques réfractaires, il conserve comme au premier jour la chaleur, alimentée uniquement par du bois, dans son ventre généreux.
« Pour confectionner une baguette, il faut compter de six à sept heures, du pétrissage à la cuisson », témoigne Sébastien Veyssière, garant de 2003 à 2015, avec sa femme Marjorie, de la sauvegarde du fleuron du village. Il a passé la main en septembre 2015 à Julien et Isabelle Socha, mais est resté propriétaire de la boulangerie, pour veiller à la continuité des valeurs qu’il a toujours défendues : « Jamais je n’aurais pu faire du pain blanc dans une boulangerie actuelle. » Auparavant, un personnage majeur avait rythmé les repas des Grignolais, Camille Mirabel, qui fit plusieurs mandats de maire, des années soixante jusqu’en 1995. C’est dire s’il avait intérêt à soigner les tourtes de ses administrés !
Constance et longueur de temps
Pour officier au pétrin de Grignols, il faut cultiver, outre celui des produits naturels, le goût de la lenteur. Trois levains sont nécessaires pour une bonne entrée en matière : le levain du matin, le levain du soir, et le levain d’embauche. Le levain panaire est une levure naturelle qui se développe par un mélange de farine complète et d’eau. On parle alors de pain au levain, aux spécificités différentes du pain monté sur levure. La fermentation du levain opérant très graduellement, il est crucial de nourrir tous les jours d’eau et de farine cet organisme à la vie propre. Le pétrin est l’unique machine du fournil. Il permet d’obtenir une pâte extrêmement souple, que seules expérience et dextérité autorisent de travailler à l’envi. Après le « pointage en cuve », première phase de la fermentation panaire, le pain est pesé, mis en boules, puis laissé au repos près d’une heure. Vient alors le temps du façonnage. « On le laisse lever dans des paillons pendant deux heures, précise Sébastien, avant de le cuire au four. » Le boulanger brosse ensuite le pain pour en ôter la « fleurette », cette poudre au joli nom, faite de coquilles de noix broyées, qui empêche l’adhésion aux pelles d’enfournement.
Aujourd’hui, certains accros au pain de Grignols accourent de Périgueux, voire de Bordeaux et d’Angoulême, en sachant bien qu’il conservera suffisamment de souplesse pour agrémenter leur semaine. Julien Socha, en relevant le gant de ce véritable sacerdoce, faisait donc face à de grandes responsabilités vis-à-vis des gourmets, d’autant qu’il a développé la fabrication, tout aussi exigeante, des pâtisseries. « Je travaille depuis l’âge de 16 ans comme boulanger-pâtissier », confie-t-il, éclairé comme Sébastien par la flamme du savoir-faire de tradition. Nous voici rassurés : le pain quasi centenaire de la boulangerie à la devanture bleue a encore quelques croustillantes années devant lui.
Le Fournil de Grignols Isabelle et Julien Socha Bourg 24110 Grignols tél : 05 53 54 18 25
Un article produit dans le cadre de l’application Adresses Gourmandes.
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