Cette belle qui nous arrive de la Perse, pays plein de miel et dont elle a hérité le nom, les arômes et ses courbes orientales, la pêche est un enfant du sud. Ses espèces les plus précieuses ont pourtant grandi sous le ciel gris de l’Ile de France. La bonne pêche juteuse, il faut aller la chercher à Montreuil, en Seine-Saint-Denis.
La pêche de Montreuil, la Grosse Mignonne, ou encore Le Téton de Venus, ne se dévoile pas à la légère. Depuis la Mairie, il faut monter les ruelles qui suivent le tracé des anciens sentiers qui passaient parmi les coteaux. Qui dit coteaux, dit vignes. Comme beaucoup de territoires autours de Paris, Montreuil produisait du vin pour satisfaire la soif de la capitale. Mais ses habitants ont surtout réussi à produire des pêches, et pour cela, ont élaboré une astuce que les jardiniers du monde entier appellent aujourd’hui « les murs de Montreuil».
Si on monte sur un des coteaux, passant entre les aubépines et les rosiers sauvages, on voit plus bas ces murs à pêches, comme des ruines d’une cité antique. De simples murs de gypse, d’un demi-mètre de large, sans décor ni ornement, juste des pêchers poussant tout le long, s’agrippant à la pierre comme des plantes rampantes et sauvages. Leurs jeunes branches y sont attachées avec des morceaux de tissu de laine, conformément à la technique du «palissage à la loque». On l’appelle aussi «à la montreuilloise». Tout le secret est dans la capacité des murs d’emmagasiner la chaleur et de l’offrir pendant la nuit aux arbres. Ou encore, dans un système complexe d’orientation, souvent nord-sud mais pas seulement, qui permet de ne pas perdre un seul rayon de soleil.
Facile de construire un mur dans une prairie? Non, tout un art car on créait des fondements pour que les murs tiennent bien longtemps et on leur construisait des petits chaperons pour les protéger de pluie. Mais surtout on a su utiliser astucieusement les sols locaux. Les marnes, mélange de calcaire et d’argile riches en gypse, étaient accessibles à Montreuil à ciel ouvert. Sous l’ordre de louis XIV, les parisiens en plâtraient leurs maisons. Les habitants de Montreuil, eux, en ont construits des supports et des abris pour leurs pêchers. La forme des arbres s’appelle « à la diable » car elle ressemble à une fourche. Sur cette fourche de diable, poussent des fruits du paradis à damner l’âme.
Malgré ses tours d’HLM, le Montreuil d’aujourd’hui garde son âme champêtre et ce petit air poétique « d’antan » que les artistes ont bien pu sentir. La preuve : un des premiers studios de cinéma dans le monde, celui de Georges Méliès est était né à Montreuil et le Voyage dans la lune a été tourné ici. A partir des années 80, cette banlieue d’ouvriers et artisans, connue comme « la deuxième ville du Mali » se couvre progressivement d’ateliers de peintres et de sculpteurs, puis arrivent les boites de productions cinéma et de web. Les rues portent toujours les noms des « clos », et le quartier « Les Grands Pêchers » immortalise le souvenir de la gloire de Montreuil.
Douze pêches d’un volume jusqu’alors inconnu
Tout a commencé, dit-on, avec un mousquetaire du roi Louis XIV, un certain Girardot qui présenta à Louis XIV un panier de douze pêches « d’un volume jusqu’alors inconnu, admirables et de plus riche vermeil, du velouté le plus pur, le plus fraiche ». Le donateur s’est esquivé sans laisser le nom mais, comme par hasard, un autre jour, Jean-Baptiste de La Quitinie, jardinier du Potager du Roi, a dirigé la chasse royale du coté de Montreuil… Pour rencontrer le même Girardot, avec ses sept fils, tous habillés en mousquetaires et chacun tenant un panier de pêches. Le roi a visité les espaliers, a cueilli quelques fruits et en ordonna la livraison annuelle à sa table.
La tradition a persisté jusqu’ à la Révolution. Un autre cultivateur, contemporain de Gigardot, un certain Pépin est parti travailler à Versailles, chez de la Quintinie, emportant avec lui la technique de palissage à la Montreuilloise. D’autres habitants de la ville l’ont apparemment suivi car tout un quartier de Versailles porte le nom de Montreuil. Jusqu’au 19 siècle, les pêches, parfois de 400 à 500 g la pièce, faisaient la fortune des cultivateurs.
Aux Halles de Paris, les horticulteurs de Montreuil avaient un emplacement de taille, 600 familles en vivaient. “À l’étalage, les beaux fruits, délicatement parés dans des paniers, avaient des rondeurs de joues qui se cachent, des faces de belles enfants entrevues à demi sous un rideau de feuilles ; les pêches surtout, les Montreuil rougissantes, de peau fine et claire comme des filles du Nord”, – écrivit Zola. Les pêches partaient dans les grandes capitales d’Europe, aux tables royales, chaque fruit enveloppé dans une feuille de vigne. Le plus grand chic était de coller sur la peau des pêches, des pochoirs avec les armoiries ou les portraits des destinataires, le dessin découpé empêchant le soleil de colorer le fruit. Du temps de Girardot, les pêches de Montreuil se vendaient à un quart de louis la pièce, ses 4 arpents de pêchers lui apportant jusqu’à 1500 louis certaines années. De quoi construire non pas des murs en gypse mais des palais en marbre…
Heureux celui qui connaît les divinités des champs
Ce temps de gloire est révolu. On le voit bien de la hauteur de ces coteaux situés dans « la prairie » du site des Murs à pêches… Grâce à l’association « Murs à pêches » le site a été classé mais l’argent nécessaire pour la réparation des murs manque. Depuis longtemps, on ne voit plus de fruits de 500 g. Yannick Alleno, chef triplement étoilé au Le Doyen, créateur du concept « Terroir parisien » et défenseur des produits de l’Ile de France, n’aura pas suffisamment de fruits pour servir la pêche melba « à la Montreuilloise » à ses clients.
Pourtant, le charme des murs est intact. Auteur de nombreuses dissertations sur les antiquités françaises, Eloi Johanneau, habitant de Montreuil à qui il consacra en 1825 son poème « Les fastes de Montreuil-les-Pêches », donne en guise d’introduction une citation de Virgile qui résume bien le bonheur bucolique des lieux: « Fortunatus et ille deos qui novit agrestes ! » – Heureux celui qui connaît les divinités des champs ! Aujourd’hui, dans des vergers comme celui dit « de Geneviève et Patrick » les arbres en fourche sont bien présents. On explique ce que sont les loques et, par tradition devenue Montreuilloise, on conjugue les explications à l’art: pendant le Festival des murs à pêches, on présente “l’arbre des générations” ou on attache, avec les mêmes loques, les portraits des cultivateurs d’antan. L’école – jardin de Montreuil donne des cours de pochoir sur les fruits. Le festival des pêches de Montreuil vient de fêter son 15e anniversaire.
Les murs sont ouverts aux visiteurs tous les dimanches. Ils sont beaux l’été avec les pêchers en fleurs, émouvants avec les petits fruits au printemps, splendides pendant le temps de la récole et étonnants sous la neige. On peut pique-niquer dans « la Prairie » sur les hauteurs et gouter les plats des cantines participatives. Dans la journée, le petit restaurant Little Kitchen (fermé le soir) propose des produits du marché, le restaurant Villa9trois, à qui Gault & Millau octroie deux toques, offre sa terrasse et le nouveau bistro l’Amourette donne les cours de cuisine.
Et si les fins de mois sont difficiles, vous pouvez toujours vous adresser aux vendeurs des quatre saisons. Il n’y aura pas de pêche de Montreuil, mais, pour relancer l’activité commerciale, la Mairie a introduit la monnaie locale que beaucoup de commerçants acceptent. Elle s’appelle – vous l’avez deviné – la pêche.
Chantons, ma muse,
Si ça t’amuse,
Le fruit exquis du vrai pêcher,
Aussi doux au goût qu’au toucher.
Qu’une pêche,
Rose et fraîche
Délecte la bouche et l’oeil :
Cette pêche,
Rose et fraîche,
C’est l’orgueil
Du vieux Montreuil !
Eloi Johanneau, 1825
Texte : Guélia Pevzner. Avec la participation de Marie Maramzine
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