Culture food Cinéma
« La Passion de Dodin Bouffant », la gastronomie triste
Choisi pour représenter la France aux Oscars, le film « La passion de Dodin Bouffant » réalisé par Tran Anh Hung avec Benoît Magimel dans le rôle titre, hésite entre une histoire romantico-gastronomique et un Top Chef sépia du début du siècle, en nous infligeant 2h14 de cours sur la gastronomie pour élèves du primaire.
On veut bien admettre la difficulté de l’exercice qui explique que peu de cinéastes s’y sont frottés. Si on dénombre en effet moult documentaires sur les chefs et pléthore d’émissions de téléréalité, on n’a peu de petites histoires à raconter sur la grande histoire de la gastronomie française et le Vatel de Roland Joffé, sorti en 2000, fait figure d’exception.
La toute première raison de ce trou dans la raquette des supports cinématographiques est que rendre compte du goût pour un public qui n’a que ses yeux pour voir et ses oreilles pour écouter, là où il faut faire jouer son nez, sa langue et son palais, est au mieux une gageure de première catégorie et au pire une impasse. Si l’objectif fut atteint en 1920 en passant par la forme littéraire de « La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant gourmet » de Marcel Rouff, le film tiré de quelques lignes du même ouvrage éparpille la gastronomie façon puzzle, mais sans l’humour d’un Michel Audiard.
Il y aura bien évidemment les plus cuisiniers d’entre-vous qui adoreront regarder les scènes plutôt bien filmées où le couple formé par Juliette Binoche et Benoît Magimel est à la tâche dans une cuisine sans gaz et sans électricité. Ils vont adorer le vol-au-vent qui sort du four, le turbot dans son bain de lait et le pot-au-feu entrain de cuire. En revanche, les mêmes risquent de s’ennuyer sévèrement à écouter les cours sur les rois de la cuisine Antonin Carême et Auguste Escoffier dits sur le ton des récitations que l’on apprend par coeur en école primaire. Il est de même fort peu probable qu’ils goutent l’apparition de Pierre Gagnaire, maître incontesté de notre histoire contemporaine, ridiculisé par son costume.
Mais Pierre, toi qui brille par ta finesse de jeu en cuisine, tes cheveux aussi indisciplinés que tes recettes et ta voix qui emporte l’enthousiasme généralisé, pourquoi donc te mettre à jouer l’acteur austère ? Un coup de marketing de la production ? Mauvais coup alors. Car ce qui manque avant tout à ce film, c’est une dimension essentielle de la gastronomie, qu’elle soit française ou d’ailleurs : la joie. Dodin est un mélancolique qui emporte avec lui toute tentative de fête. Quand ses convives parlent de vin, c’est pour faire un concours d’étiquettes. L’ivresse n’est jamais là, les rires, les moments de partage qui font d’un bon repas une usine à souvenirs multisensoriels. Oh, il y a bien une tentative de banquet avec une table droite comme un « I », mais on y est présents que pour entendre maître Dodin s’écouter parler, le contraire du partage.
Côté cinéphiles, ça ne va pas être facile non plus. Certes les lumières sont magnifiques et Juliette Binoche en Eugénie s’en sort comme elle peut avec des dialogues attendus. Mais que dire du gros plan d’une poire entière pelée sortie de l’eau de vie couchée dans l’assiette, immédiatement suivi du plan équivalent en taille et fesses nues de l’actrice ? Que dire de la demande en mariage de Dodin qui planque une bague dans le dessert de sa future? Que dire de ces inserts de cours d’histoire qui tombent comme des cheveux dans les soupes préparées par Pierre Gagnaire ? De mauvais goûts ? Oui.
« La Passion de Dodin Bouffant » / 2h 14min / De Tran Anh Hung / Par Tran Anh Hung / Avec Juliette Binoche, Benoît Magimel, Emmanuel Salinger.
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