Chronique Expo

Nourrir la planète, une énergie pour s’en foutre

Nous n’avons trouvé aucun sondage, mais gageons que nombre d’entre-vous ne savent même pas qu’il y a une exposition universelle à Milan. Alors, savoir que son thème est « Nourrir la planète, une énergie pour la vie », on n’ose imaginer la tête des sondés. Qu’ils se rassurent, une immense majorité des 147 pays représentés à Milan n’a visiblement pas reçu l’information non plus. Au delà de ce ratage interplanétaire, à l’exception notable du Pavillon de la France, c’est probablement tout le concept d’Exposition universelle qui s’est totalement ringardisé.

Une Exposition universelle, c’est un immense espace de communication et donc de symboles. Chaque pays doit se montrer sous ses meilleurs atours, quitte à travestir la réalité en ne gardant que le bon grain et en glissant l’ivraie sous le tapis. Raison pour laquelle l’architecture du pavillon est ce qui doit frapper en premier parce que c’est la coquille qui compte avant tout, le feu d’artifice, la magnificence et, in fine, la photo qui restera sur le selfie ou celle que l’on montrera à la famille ou aux amis en précisant bien le pays dont il s’agit. Victor Hugo n’aurait pas aimé Milan parce qu’il aurait compris que son assertion, « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface« , n’a aucun sens universellement exposable. A Milan comme à Shanghai, cinq ans auparavant, et probablement à Dubaï en 2020, c’est la forme qui emporte tout sur son passage et le fond se doit d’être simpliste et mémorisable en cinq kilomètres de marche minimum et un nombre d’heures d’attente infini.

Attendre

Car avant de se lancer dans les symboles, abordons le côté obscur de la force des visiteurs qui vire parfois à l’insensé. Une demi-heure de queue pour atteindre une caisse, une autre demi-heure pour la fouille et enfin l’entrée de l’entrée du site suivie de dix minutes de marche. Ca y est, vous y êtes, il ne vous reste plus qu’à choisir sur le plan, lesquels des 155 points d’arrêt offerts vous paraissent incontournables, déjeuner et/ou dîner compris.

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Ce qu’on ne vous dit pas c’est que certains pavillons affichent 150 minutes de queue et que votre journée va s’en trouver considérablement raccourcie, étant entendu préalablement que vous avez survécu à tous les coups de réchauffement climatique. Evidemment, les gros attirant le gros de la foule, visiter le Pavillon chinois, allemand, italien ou japonais nécessite clairement une stratégie.

L’agriculture en plastique

Les pays participant ayant légèrement zappé le thème à traiter, on a cru bon de le rappeler de la manière la plus claire possible au gogo de visiteur qui se voit infliger à chaque passage dans la rue centrale (Decumano pour faire un peu ancrage antique, on est quand même en Italie!) des installations de fruits, légumes, viandes etc. … en plastique.

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Et voir, en pleine crise porcine, des visiteurs prendre des photos de cochons en plastique à l’échelle Un, n’aurait sûrement pas plu non plus à Victor Hugo, mais Dali en aurait sûrement rêvé.

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L’agriculture rouillée

Faute de Dali, gageons que Richard Serra aurait aimé le pavillon du Brésil, énorme structure en fer rouillé où sont tendus des filets sur lesquels les spectateurs sont invités à marcher pour traverser la chose. Donc exit Mamie qui va devoir attendre en gardant les petits et voilà des familles entières qui surselfisent au plus grand jeu pour enfants de l’Exposition.

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Que les commissaires du Pavillon nous excusent par avance de rappeler que le Brésil est le troisième plus grand exportateur agricole au monde, quatrième pour les denrées alimentaires, premier exportateur mondial de soja, de viande bovine et de volailles et le 2e producteur mondial de bioéthanol. Alors, le Brésil, « Nourrir la planète, une énergie pour la vie », c’est le genre de thème pile poil taillé pour sa pomme. A choisir le symbole parfait du ratage, on vous conseille donc ce pavillon en toute priorité, vous ne saurez rien sur son agriculture, sauf à rester debout devant un écran planqué dans un coin poussiéreux, mais il saura néanmoins vous prendre dans les mailles de ses ludiques filets. Victor Hugo aurait vraiment détesté ce Pavillon.

Pavillons pétrolifères

Tout comme il aurait halluciné en constatant, qu’à peine parcouru les premiers cent mètres decumanesques, le visiteur de ce XXIe siècle, décidément pas à un excès près, se retrouve le nez face à des structures plus impressionnantes les unes que les autres arborant toutes, crânement, leur pavillon pétrolifère ou gazier.

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L’Azerbaïdjan fait incontestablement partie de ces pirates venus aborder en toute puissance l’Expo de Milan. Enserrée entre de gigantesques lames de bois laqué, une boule de verre géante joue à la voyante, sublimant ce message subliminal : « Sans notre pétrole, ni notre gaz, vos démocraties occidentales ne sont rien. » Quand les pavillons des Etats pétroliers de la péninsule arabique se donnent des airs d’offices de tourisme engageants, climatisés et green washés, ceux de ces antiques pays en « Stan » prouvent qu’aucun dirigeant européen digne de ce nom n’écorche aujourd’hui les noms de l’Ouzbékistan ou du Kazakhstan. De quoi faire tourner kazakh le premier venu qui, en levant le museau, se laisse impressionner par cet autre pavillon pétrolifère fait de fines lames de métal. Des lames de rasoir qui surplombent 2 396 m2 d’un pavillon affirmant vouloir « protéger ses ressources agricoles et naturelles » qui font son histoire… et sa richesse. L’or noir azéri laisse sa place à l’or jaune kazakh. Ce blé qui fait la fortune d’Astana. Une capitale qui porte le nom d’une équipe de cyclisme professionnelle. A moins que ce ne soit l’inverse.

L’agriculture transparente

La palme de l’enfumage communicationnel doit incontestablement être décernée au Royaume-Uni. Grande oeuvre sculpturale pour un concept de ruche interactive 2.0, parce que la ruche c’est le symbole du coworking, de l’efficacité, de l’organisation et du droit social supprimé for ever. Et qu’en plus c’est beau, et que ça fait rêver les enfants trop contents par ailleurs de pouvoir visiter la chose en moins de sept minutes TTC. Et bravo à l’équipe de tricoteurs d’acier, c’est bluffant.

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Et puis un petit panneau à l’entrée de la seule pièce avec un peu de contenu vous donne le fin mot des objectifs britanniques :
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Voilà pour le message simple à retenir : pour nourrir la planète, la ruche britannique, c’est celle de l’investissement. La Banque mondiale du miel le dit, on vous conseille donc de venir butiner outre-Manche, entendez : constituer un butin, ça nourrira sûrement un bout de planète.

Les marques speed, le food slow

C’est incontestable, les marques nous nourrissent. A Milan, non seulement on ne retiendra rien du thème affiché mais on comprend que Nutella sait aussi faire un pavillon en bois et qu’ils sauront s’adapter à toutes les situations, comprendre : tous les marchés. Le thème de l’exposition n’étant pas « Nourrir la planète, une énergie pour devenir obèse et diabétique », les groupes industriels ne se sont pas sentis vraiment challengés dans leur bonheur marketing d’attaquer là où ça nous fait mal, sans autre forme de scrupule mal placé.

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Et, juste après avoir passé le vert pavillon de McDonalds, on trouve au bout du bout de la chaîne du Decumano, dans un endroit réservé à ceux qui ont physiquement eu la force d’aller jusque là, Slow Food. Les animateurs du mouvement ont longtemps hésité avant de poser leur pavillon à Milan. Ont-ils bien fait ? On en doute. Pas la moindre attente pour rentrer et passer du temps à s’informer avec des outils pédagogiques très efficaces mais qui nécessitent un minimum d’attention et donc d’énergie, dont l’immense majorité des visiteurs manque cruellement, arrivée à ce stade de la course. Et pourtant, Slow Food donne soudain du sens à la vie dans cet océan de prétention touristico-commerciale. Et pour contourner son positionnement géographique dans l’exposition, nous vous conseillons de considérer ce pavillon comme un premier objectif en remontant rapide le Decumano en sens inverse.

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La France fait sens

Arrivés là, vous vous demandez donc bien ce que la France a pu faire dans cette manifestation d’un autre âge, où la problématique de nourrir la planète relève du gadget pour intellectuel qui se pose les mauvaises questions. Et bien, disons le sans patriotisme excessif, le Pavillon de la France remplit toutes les clauses du contrat, moins une. D’abord, mais c’est essentiel, la gestion du flux du public a bien été assurée, avec un pré-parcours en extérieur intelligent où l’on traverse la diversité du paysage agricole avec des vraies cultures mises en scène par un paysagiste de talent (Thierry Lavergne) sous la haute autorité du non moins talentueux Studio Adeline Rispal qui signe l’ensemble de la scénographie. Un peu de pédagogie dès l’entrée donc, avec un labyrinthe traversé par trois grandes typologies : les cultures céréalières, la polyculture et l’élevage, les cultures spécialisées et maraîchères. On y ajoute trois immenses écrans où l’on voit ces cultures en situation sur notre territoire et hop, le tour est joué, l’attente est devenue déjà un point qui délivre au moins une information essentielle : la France est armée, le matériel est prêt, et contribuer à nourrir la planète est une ambition à notre portée.

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Conseil scientifique

A partir de là, le magnifique Pavillon lui-même aurait presque pu suffire au regard de la faiblesse du niveau de la concurrence. Une sorte de halle renversée où tout, ou presque, se passe au plafond, grâce notamment à une prouesse artisanale et technique dans la torsion du bois, développée par la l’entreprise franc-comtoise Simonin sous la houlette des architectes Anouk Legendre et Nicolas Desmazières (agence XTU). Le Pavillon de la France joue incontestablement la course en tête à Milan d’un point de vue architectural, environnemental mais aussi économique. Son coût de moins de 20 millions d’euros assorti de sa prochaine vente qui lui permettra de disposer d’une nouvelle vie, sont exemplaires si l’on se réfère à d’autres budgets qui approchent les 80 millions d’euros (Allemagne, Corée, Italie…etc), destruction comprise. Tous les feux étaient donc au vert pour le Commissaire général du Pavillon Alain Berger qui, avec quelques animations familiales ludiques, aurait pu en rester là sans vraiment mettre la France dans la honte. Mais il a souhaité pousser sérieusement le curseur du contenu en nommant – cas unique parmi les 147 pavillons de Milan – un conseiller scientifique (Alain Blogowski) chargé de travailler avec la scénographe un propos beaucoup plus précis sur l’ensemble des atouts français pour contribuer à nourrir la planète.

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Chacun à son rythme

La Pavillon de la France a un autre atout, c’est que sa scénographie permet tous les formats de visite. De la très rapide (10 minutes environ), les yeux en l’air à observer un foisonnement de produits, de matières, d’objets, en navigant du traditionnel à l’innovant et en reniflant la France de la fourche à la fourchette; à la plus longue (une heure environ) à regarder plus précisément installations, cartels et écrans vidéos. Pour les pressés ou les fatigués (on ne leur en veut pas), trois écrans posés sur des remorques agricoles proposent trois films d’animation de quatre minutes environ. Réalisés par Denis van Waerebeke et suivis à l’image près par Alain Blogowski et Adeline Rispal, le résultat, pédagogiquement parlant, est bluffant et devrait faire l’objet d’un programme national de diffusion dans les cours de SVT, si de telles choses existaient à l’Education nationale.

Le premier s’intitule L’état des lieux :

Le deuxième, Nourrir la planète demain

Et le troisième, Alimentation, plaisir et santé :

Pour les plus pointus, la scénographie permet aussi d’en saisir beaucoup plus, à l’instar de ce mini-labo de l’Inra qui, parmi tant d’autres propositions, décline l’un des maîtres mots du Commissariat français : innovation.

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Et enfin, pour ceux qui n’en auraient pas encore assez ou qui n’iront pas à Milan, reste rien de moins que 46 interviews filmés de nos plus grands chercheurs, programme établi par Alain Blogowski et que nous diffusons semaines après semaines ici.

Communication d’une autre époque

Un tellement beau pavillon avec autant de contenu aurait normalement dû faire la Une de tous vos magazines, aurait dû avoir un site internet digne de ce nom, devrait avoir des comptes Tweeter et Facebook qui rendent compte jours après jours d’histoires liées à la richesse de notre agriculture plutôt que de la frimousse de tel ou tel élu qui l’honore de sa visite, sans parler d’une exposition temporaire de lingerie féminine (?!). Une telle réussite aurait pu faire le tour du monde, pour peu que l’on ouvre des comptes en anglais. Bref, pour peu que l’innovation dont on nous vante les justes mérites à l’intérieur du Pavillon aient atteint les sphères de la communication d’aujourd’hui, la réussite eût été totale. La France a réellement su (dé)montrer quelque chose à Milan, loin devant de nombreux pays, mais personne ne le sait et c’est dommage.

Jusqu’au 31 octobre, informations ici

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