Retour sur la disparition le 1er juin dernier de l’immense philosophe Michel Serres et sur ses pensées éclairées autour de l’agriculture et de l’alimentation des hommes.
Alors bien sûr, Michel Serres n’a pas écrit d’ouvrage précis sur ces sujets mais, très à l’écoute de son temps, et surtout peu enclin au « c’était mieux avant », il s’est interrogé à plusieurs reprises ces dernières années sur la question fondamentale de l’avenir d’une planète, qui devra d’ici une trentaine d’années, nourrir plus de 9 milliards d’individus.
D’abord, le philosophe a exprimé son admiration sans fin pour ceux qu’il appelait les « pères nourriciers de l’humanité », c’est-à-dire : les agriculteurs. Il soulignait notamment, je cite, que « jadis, agriculteur, ça voulait dire ignorant, alors qu’aujourd’hui il n’y a pas de métier qui ne requiert un aussi grand savoir, un métier qui demande une perception de la vie, de la nourriture, de la reproduction, de la domestication et des compétences techniques comme économiques ». Et le philosophe de résumer : « Aucun professionnel ne lui est comparable. »
Mais si Michel Serres avait cet immense talent d’observateur dans le champ de la sociologie, il a développé, pour ce qui concerne l’alimentation des hommes, des bases qui relèvent de l’économie politique. Et pour cela il est parti d’une première observation. L’ancêtre de l’Organisation Mondiale du Commerce, l’O.M.C., au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en plein prélude à une mondialisation du commerce fondée sur le libre-échange, avait admis un régime juridique d’exception pour certains produits culturels – en particulier pour les films et pour les trésors nationaux. Beaucoup plus tard, dans les années 90, vous vous souvenez sûrement des « quotas audiovisuels » âprement défendus à Bruxelles, notamment par le gouvernement français, et qui étaient finalement fondés à partir de la même question : peut-on appliquer les mêmes règles de libre circulation des biens et des marchandises à des biens culturels ? Et c’est à ce moment là que s’est largement répandu le concept d’exception culturelle.
Et c’est précisément la notion d’exception agricole que Michel Serres et ses proches ont proposée. En gros, pour poursuivre le parallèle, le fait que le monde entier ait accès aux mêmes séries télévisées n’assure en rien la culture de chacun. Et si la protection de la diversité des expressions culturelles est une nécessité et un droit universel, celle de la biodiversité agricole en est également une. Michel Serres exprimait la chose de cette manière : « Opposant des obèses à des nouveau-nés mourant de faim, le monde souffre aujourd’hui d’une injustice majeure concernant la nourriture. Il est donc de nécessité vitale, de justice politique et morale, mais aussi d’urgence historique d’établir une exception agricole… »
Et bien sûr, on lui a beaucoup posé la question de l’urgence en politique. Et sa première réponse portait sur une action, pour lui à la fois fondatrice et réaliste : sortir les biens agricoles de premières nécessité, dont le blé et le riz, du système boursier qui gouverne leur économie.
Voilà, les élections européennes sont désormais derrière nous, et, sauf erreur, aucun mouvement politique n’a encore inscrit cette proposition à son agenda.
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