A l’âge de douze ans, je rêvais de faire un grand gâteau, comme celui dans « Casse-noisette », tout blanc et tout léger. Je rêvais surtout de rentrer dans le salon, mon gâteau dans les mains, et de voir tous les invités s’exclamer d’admiration devant autant de réussite.
Mon premier gâteau meringué s’est avéré brun et collait aux dents. J’en aurais certainement fini avec la cuisine à tout jamais si un de mes invités ne m’avait pas convaincue de recommencer. Alors, je l’ai fait, j’ai recommencé. C’est à cette époque que j’ai appris les quelques gestes basiques. Par exemple, casser les œufs d’un geste précis plutôt que les taper à la hussarde sur le bord d’un bol. Ou encore à ne pas pleurer quand ton gâteau est un flop. C’est plus important que vous n’y pensez.
Plus tard, déjà étudiante, j’ai appris bien de choses, mais pas encore le mot « meringue » parce que celà se passait en Russie et la meringue porte là-bas porte le délicieux nom de « baiser ». Ce nom me plaisait bien, surtout que j’essayais de cuisiner le gâteau pour un garçon qui plus tard est devenu mon mari. Il me semblait qu’un nom pareil convenait très bien à l’occasion, à sa première venue dans ma maison. Mais c’était sans compter que la meringue devait restait dans le four toute la soirée, comme si on la faisait sécher tout doucement. Ce jour-là, je n’ai finalement servi que des fruits en dessert.
J’ai eu plusieurs autres occasions de recommencer le gâteau meringué. Par exemple, quand, impatiente, je battais les blancs trop froids, et ils ne voulaient pas monter. Ou encore, quand je les mettais dans un récipient en aluminium et ils devenaient gris et flasques. Ou encore, quand je rajoutais tout le sucre en une seule fois, au lieu de le faire cuillère par cuillère. Je recommençais encore et encore, j’y ai pris goût, j’ai tout recommencé à nouveau, même un nouveau métier et un nouveau mariage. Entre temps, j’ai appris que tourner le fouet un peu dans tous les sens ne rimait à rien. Pour construire quelque chose de solide, j’avais besoin de méthode et de régularité. L’âge de la patience est arrivé.
C’est là aussi que la grande meringue de mes rêves, avec la chantilly et les fruits de toutes les couleurs, a trouvé un nom. Il y avait effectivement un rapport avec le ballet, mais pas avec « Casse-noisette », plutôt avec le « Lac de cygnes ». Le gâteau portait le nom de la grande Pavlova, le meilleur cygne mourant du monde. La danseuse célébrissime, lors d’une tournée en Nouvelle-Zélande, a vu naître un dessert créé en son honneur, léger comme son tutu. A cette époque de ma vie, j’accompagnais ma fille à ses cours de danse et je cuisinais la Pavlova pour ses fêtes de fin d’année. Non, ma fille n’est pas devenue danseuse étoile, mais nous étions tout de même heureuses, le gâteau promettant l’été et les vacances.
Les enfants grandissaient et réclamaient la Pavlova plus souvent. Alors je me suis équipée en m’achetant entre autres ustensiles, un mixer. Maintenant je sais que quand après les grosses bulles, la mousse commence à devenir blanche, il vaut mieux passer à la deuxième vitesse, pour faire rentrer plus d’air. « Baiser » n’est pas le seul nom russe de la meringue. Au XIX siècle, on l’appelait aussi « le vent espagnol ». Ce vent est venu d’Autriche du temps de Charles V, roi d’Espagne, quand l’Espagne était à la mode dans toute l’Europe. La vie devenait encore plus rapide que le mixer, passant de la deuxième vitesse à la troisième et j’essayais d’y faire rentrer maximum d’air, de respirer.
Quand les petits pics d’une blancheur étincelante commencent à apparaitre, il est temps de se poser la question si c’est une bonne chose que d’écouter les conseils des autres. Si quelqu’un vous propose de cuire une meringue directement sur la plaque de cuisson, il vaut mieux ne pas se fier à cette personne, le meringue collera à coup sûr. De la même façon que quand quelqu’un vous dit qu’il faut aller dans le sens des facilités, accepter l’inacceptable ou de se faire tout petit devant les circonstances, alors il vaut mieux remplir de vent ses voiles et partir pour encore tout recommencer.
Alors, une fois, le gâteau sera réussi. Et quand tous les invités s’exclameront d’admiration, vous pourrez… recommencer encore une fois. Vraiment recommencer, pour de bon – par exemple, faire encore un enfant et l’emmener voir « Casse-noisette ». Ou encore aller avec lui au château de Chantilly et y manger de la crème fouettée à volonté. Ou tout simplement préparer ensemble des petites meringues, un peu tordues, et les déguster avec du chocolat chaud. Finalement, c’est peut être pour toutes ces raisons que j’ai recommencé un jour mon gâteau.
Illustration : Minimiam
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