Ghost Fish. Le nom de cette soirée sonnait un peu comme un titre de film. Le chef réalisateur Christian Qui avait convié à la galerie Art-cade à Marseille, environ 80 spectateurs convives à partager sa mise en abîme du poisson. Trois heures de performance, cinq paysages culinaires mis en scène, des musiciens, des photos, Christian Qui a réussi à articuler plusieurs langages et mis du rituel dans l’art de manger.
Le spectateur est pris dans l’ambiance dès son arrivée avec un accueil assuré par deux musiciens percussionnistes. Rituelle, douce, mimant l’eau qui ruisselle à l’oreille du mangeur d’huitre ou proche de la transe, la musique est une composante essentielle du projet. Elle accompagne l’arrivée des plats ou donne le rythme de leur fabrication en cuisine. Sans cadre imposé, le public est libre de déambuler dans les lieux, libre de passer du jardin à la terrasse ou de s’arrêter en cuisine, les percussions lui rappelant seulement l’imminence d’un changement de tableau.
Durant trois heures, se sont succédées cinq propositions culinaires présentées sur de magnifiques plateaux en bois découpés, aux formes des contours des fonds marins des îles Ratonneau et Pomègues, qui forment l’archipel du Frioul. Dans un jeu de lumière, ces longs objets de bois sont rituellement portés à bouts de bras, de la cuisine à la salle, par 4 cuisiniers. Posés, articulés les uns aux autres pour certaines pièces, puis exposés aux spectateurs, leurs contenus mettent en scène les produits de la pêche du jour. Dans cet autre festin, l’assiette a laissé la place au plateau. Un peu comme un peintre passe du petit au grand format, le geste du cuisinier semble ainsi comme libéré, pouvant jouer sur des jeux d’échelle tout en gardant précision et ciselé. Et le goût dans tout cela ? Il est, malgré l’échelle, celui que l’on connaît Sushi Qui, le tout petit restaurant de Christian à Marseille : des bouillons de poissons addictifs, des huitres simplement rehaussées d’huile d’olive et de cébette, et de multiples poissons d’excellence (pajeots, marbrés, sars et severeaux) en sugatamori, accompagnés de fleurs, de pousses vertes croquantes et de sauces subtiles.
Tout au long de la soirée, des photos et des films sont également projetés : sortie en mer, bateau de pêche, mer calme ou phare solitaire. Mêlant parfois la peau d’un corps de femme aux celui des poissons, elles semblent souligner la sensualité de la cuisine, la douceur de la chair du poisson, le corps à corps de l’homme et de l’animal. Bien que l’espace de présentation soit un peu trop excentré dans la scénographie pour permettre de nous immerger totalement dans cet univers marin, les images qui se succèdent sont d’une grandes poésie et complètent parfaitement les paysages culinaires. Reste que la mise en scène associée à la cuisine est un exercice complexe. Le public peu habitué à gérer un temps de déambulation nécessaire à l’immersion dans le projet avait une fâcheuse tendance à se jeter sur les plats, sans chercher à percer les mystères de ces poissons fantômes.
Ghost Fish 3-4-5 juillet 2014, 21h21 Menu 35€ sur réservation Une création culinaire en collaboration avec : Didier Nadeau, Pierre Pell (photographie/vidéo) ; Lacrymoboy et Nicole Marinoni (musique), Laurence Maillot (danse), Microclimax (art/design) Où? Art-cade / galerie des grands bains douche de la plaine 35 bis rue de la bibliothèque 13001 Marseille
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