Analyse Économie
Trump et les olives d’Andalousie, une autre guerre commerciale
Le drapeau américain flotte encore parmi d’autres devant l’usine d’AgroSevilla, le premier exportateur mondial d’olives noires. Mais la coopérative andalouse craint de devoir bientôt le retirer, si la hausse des droits de douane récemment imposée par les États-Unis, son premier client, devient définitive. Si la décision américaine faisait jurisprudence, fromages français et vins italiens pourraient eux aussi se retrouver dans le collimateur, préviennent les Espagnols.
Depuis cet hiver et la subite hausse des taxes, « nous avons perdu de nombreux contrats et nous avons dû licencier pour la première fois de notre histoire« , se désole Gabriel Redondo, le président des 4.000 agriculteurs qui fournissent l’usine, la plus grande du monde pour les olives noires, installée au coeur des immenses plantations d’oliviers du sud de l’Espagne, à mi-chemin entre Séville et Grenade. Les olives, vertes à la cueillette, y sont traitées, saumurées, découpées et embouteillées, avant d’être expédiées vers 72 pays, pour fournir pizzerias, sandwicheries et bars à salades, des marchés en pleine expansion notamment aux États-Unis.
AgroSevilla exporte 25% de sa production annuelle vers ce pays et l’usine a été spécialement calibrée pour fournir ce client crucial. Mais, en quelques mois, l’horizon s’est obscurci pour la coopérative et pour l’ensemble du secteur des olives de table noires, qui emploie à temps plein 8.000 personnes et fait vivre 16.000 exploitations en Andalousie. En 2017, deux entreprises californiennes ont porté plainte contre leurs concurrents espagnols auprès du Département américain du Commerce, les accusant de dumping, c’est-à-dire de vendre leurs produits à des prix trop bas aux États-Unis, profitant des subventions européennes pour rogner sur leurs marges. Outre le ministère, l’International Trade Commission (ITC), l’agence fédérale d’enquête sur le commerce -théoriquement indépendante-, a ouvert une enquête. La décision définitive sera rendue mi-juillet, mais dès cet hiver, les États-Unis ont provisoirement augmenté de plus de 20% les droits de douane sur les olives espagnoles.
Le conflit vient s’ajouter aux tensions mondiales provoquées par le gouvernement de Donald Trump, en augmentant les droits de douane sur l’acier et l’aluminium, même si l’Europe en est pour le moment exemptée. Pour les producteurs andalous, la surprise a été totale. Le secteur dans son ensemble exporte 40% de sa production aux États-Unis, pour un montant d’environ 70 millions d’euros par an. Avant même la décision définitive, certains acheteurs américains ont suspendu leurs contrats, désormais trop coûteux. Dans l’usine, « nous sommes en train de tout réorganiser« , explique Gabriel Redondo, qui craint de perdre des marchés au profit du Maroc ou de l’Égypte. Trente employés, sur les 450 que compte l’usine, ont déjà perdu leur travail. A terme, ils pourraient être 80.
Cinq millions d’euros en frais d’avocats
Paradoxe de la plainte : elle ne vise que le produit fini, pas les importations d’olives brutes qui restent taxées normalement. Les États-Unis, qui ne couvrent par leur production que 20% de leur consommation d’olives, continueront donc à acheter la matière première en Espagne. Une perspective qui effraie les agriculteurs andalous. « Nous ne voulons pas livrer les olives sans les transformer » car les fruits bruts sont payés moitié moins cher que le produit final, explique Juan de Dios Segura, qui cultive 100 hectares d’oliviers dans les environs. L’agriculteur attend avec anxiété la décision de juillet, car il a déjà engagé toutes ses dépenses en engrais et en machines pour l’année. Les Espagnols, qui assurent avoir déjà dépensé cinq millions d’euros en frais d’avocats aux États-Unis, se sentent un peu oubliés par Bruxelles. Avec l’acier, « l’Europe a déployé toute son énergie diplomatique mais nous a laissés de côté. Elle se montre condescendante en raison de la petite taille du secteur« , soupire M. Redondo.
Les professionnels mettent donc en avant un argument de poids : la plainte californienne, en arguant que les subventions européennes nourrissent une concurrence déloyale, « remet en question la légalité de toute la politique agricole européenne« , assure Antonio de Mora, le secrétaire général de l’association des producteurs d’olives de table Asemesa. Le Parlement européen partage son inquiétude : craignant une « spirale d’enquêtes » contre des produits agricoles, il a voté mi-mars une résolution demandant à la Commission européenne d' »étudier la possibilité de contester toutes les décisions finales américaines devant l’OMC (Organisation mondiale du commerce) ». « Nous entamerons les actions adéquates à chaque stade« , promet-on à la Commission européenne, qui considère que « les mesures antisubventions n’ont aucun fondement« .
Par Emmanuelle Michel pour AFP
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