Le terme « biologique » est compris par la plupart des consommateurs comme « cultivé sans produits chimiques de synthèse » ce qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’est pas toujours synonyme de pratiques agricoles durables. La plateforme Sustainable Agriculture Initiative définit l’agriculture durable comme « la production efficace de produits agricoles sains et de grande qualité, d’une manière qui protège et améliore l’environnement naturel, les conditions sociales et économiques des agriculteurs, de leurs employés et des communautés locales, et préserve la santé et le bien-être de toutes les espèces d’élevage ».
Pourtant, certains agriculteurs bios ont des pratiques qui, tout en respectant les critères de la certification dont ils dépendent, ne reflètent pas l’approche durable et les valeurs sur lesquelles l’agriculture biologique s’est construite. Dommages environnementaux, utilisation inefficace des fertilisants, forte dépendance aux produits de substitution pour la gestion des nuisibles et adventices, consommation élevée d’énergie, rotation des cultures limitée et effondrement des coopératives agricoles sont autant de constats faits à travers le monde sur des fermes biologiques.
Certains chercheurs soutiennent que l’augmentation rapide du commerce international des produits biologiques a conduit à des réglementations complexes dont l’effet collatéral est de priver les petits producteurs, en particulier ceux des pays en développement, de l’accès au marché. Les Systèmes Participatifs de Garantie (SPG) offrent une alternative à la certification biologique qui redonne un rôle de premier plan à la durabilité et aux producteurs travaillant à petite échelle.
Les dérives de l’agriculture biologique
À l’origine, le mouvement biologique constituait une alternative durable et équitable à la production alimentaire industrielle. En créant des modèles différents de production (diversification des cultures, production à petite échelle, minimisation des intrants…), mais aussi de distribution et de consommation, la bio a mis l’accent sur des pratiques durables qui ont eu un impact positif sur la biodiversité et la conservation des ressources. Ce système s’est structuré autour de marchés coopératifs locaux au sein desquels producteurs et co-producteurs participaient activement, en toute transparence et confiance.
Cependant, l’expansion rapide du secteur biologique ces dernières décennies a donné naissance à un commerce mondial formellement réglementé, alimenté par un secteur bio industriel qui menace de dévaloriser les pratiques agricoles durables et l’intégrité de la communauté bio. Michael Pollan, célèbre auteur et journaliste américain, montre bien comment l’entrée dans le secteur bio des chaînes d’hypermarchés telles que Wal-Mart risque de se traduire par une simple substitution des engrais et pesticides de synthèse par leurs homologues approuvés pour la bio, le tout sur de grandes fermes en monoculture, et par l’allongement de la chaîne d’approvisionnement, avec l’augmentation des « kilomètres alimentaires » et de la consommation d’énergie qui en résultent.
Pour tenter de mettre en lumière la différence entre l’agriculture biologique traditionnelle, basée sur la valeur, et sa forme mondialisée et industrialisée, la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique (IFOAM, International Federation of Organic Agriculture Mouvements) a énoncé quatre principes clés : la santé (des sols, plantes, animaux et hommes), l’écologie (modéliser et préserver les systèmes naturels), l’équité (équité, respect et justice pour tous les êtres vivants) et le soin (prendre soin des générations à venir). Ils n’ont vocation toutefois qu’à inspirer le développement de pratiques biologiques et ne sont que partiellement codifiés dans les réglementations et systèmes de certification nationaux.
Au fil des ans, les critères de certification bio ont sans cesse été révisés de sorte à devenir moins contraignants, dans une tentative de les rendre plus atteignables par les producteurs. Si certains systèmes de certification suivent des normes assez strictes, tels que la certification biodynamique – un système indépendant géré dans le monde entier par Demeter International – le mouvement biologique dans son ensemble se retrouve désormais face à ce paradoxe : les réglementations initialement développées pour protéger son intégrité évoluent au point de désormais menacer les valeurs fondamentales sur lesquelles il a été fondé.
Réglementations biologiques
Les normes biologiques sont généralement appliquées par les gouvernements ou par des organismes tiers. La certification par un tiers nécessite des entités indépendantes officiellement accréditées pour effectuer des contrôles systématiques sur les fermes. Ce système est coûteux et synonyme de nombreuses formalités administratives et de procédures de vérification complexes, créant souvent une barrière à l’entrée pour les petits producteurs des pays du Sud.
Le taux élevé d’analphabétisme parmi ces derniers peut par exemple être une entrave à la bonne tenue des registres réglementaires, conduisant parfois à leur dé-certification. Dans les pays développés comme l’Australie, les agriculteurs doivent produire un plan de gestion biologique contenant notamment une description des conditions d’exploitation et une explication détaillée des pratiques agricoles (fertilité du sol, gestion de l’eau, gestion des nuisibles et adventices…) ou des conditions d’élevage (traitements, alimentation…). Les données concernant les intrants, la récolte, la vente et les contrôles doivent également être conservées afin que les certificateurs puissent examiner les produits et les procédés utilisés sur la ferme. Ces procédures sont coûteuses et chronophages pour le producteur.
Plus de 60 règlements sur l’agriculture biologique existent dans le monde, certains pays agréant même plusieurs organismes de certification qui diffèrent dans leurs normes – certaines plus strictes que d’autres. Alors que dans l’UE, aux États-Unis, au Canada et en Australie, la plupart des valeurs fondamentales de la bio sont mentionnées dans les certifications, dans d’autres parties du monde les normes biologiques sont généralement limitées à l’identification des substances autorisées et interdites dans la production et la transformation.
Quant aux mesures concernant la biodiversité et la préservation des ressources, les normes bio nationales prescrivent souvent un standard minimal que les agriculteurs doivent respecter, ce qui n’incite pas le secteur agricole à devenir véritablement transformateur et durable. Pour l’organisme de certification bio australien NASAA, par exemple, le pourcentage minimal des terres agricoles à ne pas cultiver de manière intensive afin de préserver la biodiversité n’est que de 5% – une obligation qui peut même être levée pour les fermes de moins de 4 hectares.
L’agriculture biologique court donc le risque d’être engloutie par la « conventionalisation », et ainsi finir par ne différer que très peu du secteur alimentaire industrialisé. En fait, cette mutation est déjà en marche avec des unités de production intensives à grande échelle, une augmentation de la spécialisation des cultures et un recours accru aux intrants extérieurs (notamment machines, carburant, engrais et aliments pour animaux).
On assiste par ailleurs à une consolidation rapide d’entreprises. Un certain nombre de petites marques bio indépendantes telles que Green & Blacks, Odwalla, Larabar et Kashi ont ainsi été rachetées par Cadbury, Coca-Cola, General Mills et Kellogg, respectivement, ces géants de l’industrie caressant l’espoir de tirer profit de l’une des niches les plus dynamiques et lucratives du marché.
Une alternative bio : les SPG
Afin de lutter contre la récupération des normes biologiques par l’industrie et la lourdeur des procédures bureaucratiques liées à la certification, des groupes de petits producteurs ont commencé à mettre en œuvre d’autres systèmes d’assurance qualité tels que les Systèmes Participatifs de Garantie (SPG).
Les SPG diffèrent des systèmes de certification traditionnels en ce qu’ils se basent sur une approche participative et se structurent autour de marchés locaux et filières courtes. Ils jouent un rôle social en encourageant le partage des responsabilités sur les critères de qualité et de transparence entre les différents acteurs. L’éducation environnementale et sociale des producteurs et consommateurs fait partie intégrante du modèle. Les producteurs sont directement impliqués dans la prise de décision : ils définissent les standards de production et les règles de fonctionnement, et participent aux contrôles effectués sur les fermes de leurs pairs. La communication directe entre producteurs et co-producteurs est assurée grâce à la vente des produits sur les marchés locaux, ainsi qu’à des réunions et ateliers régulièrement organisés pour enrichir la base de savoirs et consolider la capacité collective de la communauté. Les SPG sont donc créés par les agriculteurs et les communautés qu’ils servent ; ils font revivre des marchés et des cultures alimentaires, locaux et authentiques.
Sapphire Coast Producers Association Organics (SCPA Organics) est un SPG qui fonctionne entièrement sous SCPA-South East Producers, une association à but non lucratif basée en Nouvelle-Galles du Sud (Australie). Convaincu que l’agriculture doit être durable, SCPA défend l’agriculture locale et pratiquée à petite échelle, et sert d’incubateur et de réseau pour une foule d’initiatives locales soutenant des pratiques respectueuses de l’environnement. SCPA Organics découle de SCPA, qui mène par ailleurs des projets tels que Bega Valley Seed Savers, SCPA Markets, SCPA News et SCPA Education.
Chacune de ces initiatives fonctionne en synergie avec SCPA Organics, et cette plateforme d’acteurs locaux, de partage de connaissances et de ressources promeut une économie alimentaire qui améliore la sécurité alimentaire régionale. En repartant des principes de l’IFOAM, SCPA Organics travaille à ce que la bio ne soit pas seulement synonyme d’interdiction de substances chimiques, mais aussi de méthodes de gestion biologiques, de retour aux valeurs d’origine du mouvement et de modèles alternatifs de production, distribution et consommation. Le SPG australien dénonce l’essence du système alimentaire dominant, et désormais de sa partie biologique industrielle également, très largement dépendant des énergies fossiles et exploité par des conglomérats.
En ancrant à nouveau les systèmes alimentaires dans leurs contextes socio-écologiques, SCPA Organics, et d’autres SPG à travers le monde, cherchent à mettre en œuvre une forme de systèmes alimentaires durables plus holistique que ceux créés par la bio industrielle.
Au-delà de la bio
Il est fondamental d’analyser ce processus de « conventionalisation » de la bio. Si elle entend contribuer à la durabilité environnementale, sociale et économique, l’agriculture biologique doit raconter une histoire plus complexe. Cultiver sans produits de synthèse reste bien sûr préférableaux aliments cultivés avec des organophosphorés ou au bétail shooté aux antibiotiques et hormones de croissance. Mais tout le potentiel de l’agriculture biologique repose dans sa capacité à transformer l’ensemble du système alimentaire industriel. Les SPG dessinent une nouvelle trajectoire pour la bio, une trajectoire qui remonte à ses racines théoriques afin de mettre en œuvre des pratiques véritablement durables.
Article de Eva Perroni publié sur Sustainable Food Trust
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