Analyse Filières

Pendant que la vache pleure, la chèvre retrouve le sourire

01.03.16

Tandis que les éleveurs de vaches laitières s’enfoncent dans la crise, ceux de chèvre en sortent: après la disparition d’un élevage sur cinq, les industriels ont finalement accepté de payer plus cher le lait destiné aux bûchettes et autres crottins.

Une surproduction suivie d’une chute des prix qui a contraint 15 à 20% des éleveurs à mettre la clé sous la porte: l’histoire récente de la filière caprine est un « cas d’école » que devraient regarder de près les professionnels du lait de vache, explique Jacky Salingardes, éleveur et président de l’Association nationale interprofessionnelle caprine (ANICAP). « Aujourd’hui on est plus sereins, mais on sort de six ans de traumatisme », renchérit Dominique Verneau, de la PME Triballat, qui représente la filière caprine au sein de la fédération de l’industrie laitière (FNIL).

En 2009, alors que la consommation de fromage de chèvre se tassait, la production a continué à grimper et les industriels, qui importaient aussi du lait à bas prix d’Espagne et des Pays-Bas, avaient accumulé des stocks trop importants. Comme pour le lait de vache actuellement, les prix payés aux agriculteurs s’étaient donc effondrés, passant en-dessous des coûts de revient. « L’administration a tapé du poing sur la table et demandé aux entreprises de prendre les moyens de sauvegarder la production », se souvient M. Verneau.

Mais entre-temps, 20% des éleveurs livrant leur lait à une entreprise (par opposition à ceux qui fabriquent eux-mêmes le fromage) avaient fait faillite. Les fabricants industriels se sont trouvés confrontés à une pénurie de lait, avec de nombreuses ruptures d’approvisionnement dans les supermarchés. Et bien obligés de payer le lait plus cher. « Aujourd’hui on a retrouvé du prix car on manque de matière première. Et les entreprises savent désormais que le consommateur veut du produit français », explique Joël Mazars, éleveur dans l’Aveyron.

« Tout le monde va dans le même sens »
Le prix payé au producteur tourne désormais autour des 700 euros la tonne, soit 100 euros de plus que pendant la crise. Le lait de vache est en-dessous des 300 euros la tonne, mais avec des coûts de production bien moins élevés. En outre, la consommation de fromage de chèvre est repartie: +6% en 2015. La France est le premier pays producteur et consommateur de cette spécialité au monde. La bûchette vendue en grande surface représente 60 à 70% des volumes.

« La force de la filière aujourd’hui, c’est que tout le monde va dans le même sens pour faire évoluer et maîtriser les volumes, afin d’assurer une rémunération au producteur », explique M. Mazars. Producteurs, coopératives et industriels signeront mi-mars un accord interprofessionnel, ouvrant la voie à la mise en place de contrats. Ces contrats seront négociés via des organisations de producteurs, contrairement à ce qui se passe pour le lait de vache où les agriculteurs se retrouvent seuls face à l’industriel, avec donc beaucoup moins de pouvoir pour peser sur les prix.

Les grands transformateurs de lait de chèvre sont les mêmes que pour le lait de vache, comme le n°1 mondial Lactalis ou le géant du fromage Savencia. Pourquoi sont-ils plus coopératifs avec les producteurs caprins? « Le lait de chèvre ne pèse pas grand-chose dans leur chiffre d’affaires, comparé au lait de vache », rappelle Dominique Verneau. Malgré tout, « l’équilibre reste fragile » dans la filière caprine, souligne M. Salingardes. « On est sensibles au besoin d’installation de nouveaux éleveurs, mais en même temps on est très vigilants », pour éviter de faire rebasculer le secteur dans la surproduction. « Certains seraient tentés de passer à l’élevage caprin sur un coup de tête », explique Joël Mazars.

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