Analyse Pêche

Pêche: quand le changement climatique s’invite dans l’assiette

24.09.19

Adieu cabillauds, soles et plies, bonjour thons rouges, hippocampes et balistes, venus des tropiques: le réchauffement climatique qui affecte les océans a déjà des effets assez spectaculaires sur les populations marines et risque d’affecter durablement les pêcheurs comme les consommateurs européens.

« Les poissons qu’on connaissait, on les verra moins et par contre, on va voir arriver des poissons tropicaux qu’on ne connaissait pas jusqu’à présent« . Le constat, qui s’applique à peu près à toute l’Europe, est de Clara Ulrich, ingénieure halieute et directrice adjointe à la direction scientifique de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer). Exemple emblématique, c’est le retour du thon rouge en mer du nord, indique Mme Ulrich, tout en précisant que ce retour est aussi le « signe d’une bonne gestion« . Plus exotique, « on voit aussi des balistes, un poisson tropical qu’on voit plutôt dans les zones chaudes et qu’on voit arriver dans nos eaux à nous, des hippocampes« , explique Mme Ulrich. A l’inverse, « les espèces qu’on connaît bien, le cabillaud, la sole, la plie, les espèces de chez nous, elles n’ont pas disparu des eaux européennes, mais on va moins les trouver le long des côtes françaises ou espagnoles, et de plus en plus le long des côtes norvégiennes, ou écossaises. Donc, il y a une espèce de déplacement des zones de fortes densité pour les espèces classiques« , explique-t-elle.

Un constat partagé par Manuel Barange, directeur du département pêche et aquaculture à la FAO, agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation. « Ce n’est pas de la physique, tout n’est pas prévisible, donc il y aura des changements d’année en année, mais nous nous attendons à ce qu’il y ait un déplacement des espèces des eaux chaudes vers le nord« , déclare-t-il dans un entretien à l’AFP. Il cite l’exemple de l’arrivée sur les marchés britanniques d’espèces habituellement plus méditerranéennes: « les anchois sont arrivés au Royaume-Uni et j’en ai vu sur les marchés, incroyablement bon marché, car personne ne les achète. Il faut que nous éduquions le public à commencer à manger le poisson qu’il a, plutôt que le poisson qu’il avait l’habitude d’avoir« . Pareil pour les rougets-barbet, habituellement dévolus à la Méditerranée et qui ont échoué ces dernières années dans les cales britanniques: « au Royaume-Uni, presque personne n’en mange et j’en ai vu sur les marchés, deux filets vendus pour l’équivalent d’un euro, c’est une tragédie, et nous devons nous assurer que les gens s’adaptent, comme les institutions« , poursuit M. Barange.

Conflits de frontières

Le constat général, comme l’explique Mme Ulrich, « ce n’est pas que les poissons migrent vers le Nord en tant que tel, mais c’est que les populations de poissons dans le sud deviennent de moins en moins productives et donc leur densité diminue, alors que les poissons des zones plus froides peuvent bénéficier d’augmentation de la température et devenir elles-mêmes plus productives« .

Mais, au niveau mondial « la principale cause de l’effondrement des populations commerciales c’est la surpêche« , souligne François Chartier, chargé de campagnes Océans, chez Greenpeace France, pour qui la fonction de « pompe à carbone » des océans est en jeu. « Comme les forêts, ça absorbe du CO2, ça produit de l’oxygène, c’est de la photosynthèse. Si vous avez une chaine alimentaire dans l’océan qui est déstructurée, vous aurez beaucoup plus de difficultés pour les océans à assurer cette fonction« , avertit M. Chartier.

Une crainte d’autant plus forte que ces nouveaux équilibres dans les ressources sont susceptibles d’amener des poissons dans des aires marines où il n’y a pas forcément de système de gestion de la ressource ou en tout cas un système inadapté, souligne M. Barange. Il souligne que certains pays devront apprendre à « travailler avec leurs voisins, lorsque les stocks de poissons chevaucheront les frontières« . Exemple: la « guerre du maquereau » a opposé pendant quatre ans l’UE et la Norvège à l’Islande et aux Iles Féroé, lesquelles avaient relevé unilatéralement en 2010 leurs quotas de pêche après l’arrivée de poissons grâce au réchauffement climatique. « D’une manière générale, pour l’instant et c’est ce que nous regrettons, la Commission Européenne dans ses propositions de fixation de quotas en fin d’année ne prend pas vraiment en compte cette évolution climatique« , déplore Hubert Carré, directeur général du comité national des pêches en France.
Par Nicolas Gubert pour AFP

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