« Pour moi, ça représente un manque à gagner entre 80.000 et 100.000 dollars » (52 à 65.000 euros), se désole Simon Lanoue, producteur de sirop d’érable au Québec, devant les tables vides de sa « cabane à sucre » frappée par la crise du coronavirus.
Sous un ciel éclatant, avec le printemps qui pointe le bout du nez, le sirop coule à flot dans son érablière de Saint-Alexis, à une soixantaine de kilomètres au nord de Montréal. Avec un maillet, les deux pieds dans la neige, il enfonce dans un arbre une tubulure de plastique reliée à une autre et qui finissent par tisser comme une vaste toile d’araignée dans la forêt. L’ingénieux système achemine la sève par gravité jusqu’à sa cabane à sucre Osias, aménagée dans une ancienne grange. A l’intérieur, la salle à manger est déserte. Elle peut accueillir 140 personnes. Les jours de weekend, les tablées s’y succèdent toutes les deux heures, en temps normal.
« Temps des sucres »
Mais Simon a dû fermer sa salle à manger à la mi-mars, à peine deux semaines après le début du « temps des sucres ». Véritable tradition, les Québécois affluent dans les cabanes à sucre qui servent généralement jusqu’à fin avril des repas traditionnels et proposent de se « sucrer le bec » avec de la « tire » d’érable, un épais sirop chaud, répandue sur la neige. D’habitude, « la restauration représente de 75 à 80% » du chiffre d’affaires de la cabane de Simon, mais cette année il devra se contenter de la vente de son sirop, « qui ne représente pas grand-chose« . « Mais il y a des cabanes en plus mauvaise posture que la mienne« , se console-t-il.
Idem dans le village voisin de Saint-Esprit, à la cabane à sucre Constantin Grégoire. « Ici, il y a trois salles à manger, généralement, c’est plein partout« , dit la propriétaire Denise Grégoire dans l’une de ces pièces où des bois d’orignal trônent sur l’imposante cheminée. « Le 15 mars, on a fermé nos portes, puis on ne pourra pas rouvrir cette année, ça va aller à l’année prochaine« , explique Mme Grégoire, qui a dû licencier une vingtaine d’employés. Néanmoins, Jacqueline, une cliente, tient à venir « acheter du sirop d’érable comme chaque année. Habituellement, on vient manger à la cabane. Mais là cette année, à cause du virus, c’est pas possible« .
Industrie essentielle
Il y a plus de 200 de ces cabanes dites « commerciales » dans la province, explique Hélène Normandin, porte-parole de la fédération « Producteurs et productrices acéricoles du Québec ». « Elles vivent une situation catastrophique. C’est vraiment pas drôle pour les propriétaires. Cette année 2020 est complètement perdue pour eux« , résume-t-elle. Mais Covid-19 ou pas, la fabrication de sirop se poursuit, l’industrie ayant été désignée « essentielle » par le gouvernement de la province. Le Canada assure 92% de la production mondiale, largement grâce au Québec (72%), le reste provenant des États américains frontaliers.
La province de Québec compte plus de 11.000 producteurs regroupés dans 7.400 entreprises, la plupart artisanales, qui contribuent annuellement à hauteur de 600 millions de dollars (393 millions d’euros) à l’économie locale, assurant l’équivalent de 10.500 emplois à temps plein. Saison record, le Québec a récolté l’an dernier plus de 72.000 tonnes de sirop, exportées à 80% dans soixante pays, États-Unis, Allemagne et Royaume-Uni étant les plus importants acheteurs.
La saison actuelle s’annonce « normale« , selon Mme Normandin, laissant prévoir une récolte un peu plus modeste. « Le point positif de la chose, c’est que la production de sirop va très bon train. Je pense qu’on va avoir une bonne année, puis le sirop encore une fois est excellent« , souligne Simon Lanoue. Et aucune pénurie n’est appréhendée, la fédération disposant d’une « réserve stratégique d’or blond » pour assurer la stabilité des prix: plus de 45.000 tonnes de sirop stockées dans des barils dans un entrepôt cadenassé, grand comme cinq terrains de football.
Par Jacques Lemieux pour AFP
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