Analyse Un oeil sur le monde
Les États-Unis n’échappent pas à la crise de l’agriculture
Dégringolade de leurs revenus, incertitudes causées par la politique commerciale de Washington: le stress s’aggrave pour les agriculteurs américains, incitant des organisations à monter au créneau pour dénoncer les risques de suicide, élevés dans cette profession.
« La situation est difficile dans les campagnes« , soupire John Sorbello, qui cultive des légumes et gère une pépinière dans l’État de New York. Il y est aussi représentant du principal syndicat agricole du pays, le Farm Bureau. Les producteurs laitiers sont particulièrement affectés, estime-t-il. « Ils ne peuvent rien faire, face (à la chute) des prix du lait, ils s’inquiètent de l’avenir de l’Aléna (le traité de libre-échange nord-américain avec le Canada et le Mexique, ndlr), du surplus de production au niveau mondial », remarque-t-il. Autant d’éléments « sur lesquels ils n’ont aucun contrôle, et c’est angoissant« .
Quand une grande coopérative laitière a, en début d’année, assorti le chèque de salaire mensuel d’une note d’information sur la prévention du suicide, « certains ont pensé que c’était un peu extrême mais cela a eu le mérite de retenir l’attention de tous » sur ce problème réel, réagit John Sorbello. Le taux de suicide aux États-Unis a augmenté de 30% entre 1999 et 2016, selon un rapport des autorités sanitaires américaines rendu public jeudi. Les agriculteurs sont particulièrement vulnérables: les suicides sont cinq fois plus élevés que la moyenne, selon le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC). En outre, « environ 60% des habitants ruraux résident dans des zones souffrant d’une pénurie de professionnels spécialisés en santé mentale« , remarque Matt Perdue de National Farmers Union (NFU), le deuxième syndicat agricole du pays.
Revenus au plus bas
La situation économique des agriculteurs s’est aussi détériorée: après avoir baissé d’environ 50% depuis 2013, leur revenu devrait atteindre cette année son plus bas niveau depuis 2006. Un facteur qui s’ajoute à toutes les sources habituelles de stress: forte volatilité des prix sur les marchés, météo imprévisible, isolement croissant dans des zones rurales qui se dépeuplent, lourds emprunts à rembourser. Le CDC met aussi en avant « l’exposition chronique des agriculteurs aux pesticides » qui « peut affecter le système neurologique et contribuer à des symptômes dépressifs« .
Face à ces risques psychologiques, la NFU a récemment appelé l’administration américaine à « traiter de façon proactive la crise des suicides des agriculteurs » au bout du rouleau.
Les parlementaires avaient bien voté en 2008 un amendement à une loi sur l’agriculture prévoyant un réseau de soutien aux agriculteurs souffrant de stress. Mais les fonds n’ont jamais été débloqués. Une provision pourrait être incluse dans une nouvelle loi actuellement en négociation au Congrès. « Mais il est trop tôt pour dire si elle va ou non passer« , avance Matt Perdue.
Les États-Unis ne sont pas le seul pays où la situation des agriculteurs est alarmante. En France, la sécurité sociale des agriculteurs (MSA) a renforcé début 2018 ses cellules de prévention anti-suicide en raison de l’augmentation du nombre d’appels au secours. L’Inde est touchée depuis plusieurs années par une vague de suicides d’agriculteurs généralement imputés à leur surendettement croissant.
Prévenir les suicides
Sans attendre d’éventuels financements supplémentaires, l’organisation NY FarmNet propose gratuitement de l’aide aux agriculteurs de l’État de New York qui les sollicitent. « Nous avons observé que quand le problème est a priori purement financier, il y a presque toujours des problèmes personnels ou de communication qui doivent être réglés« , remarque Hal McCabe, responsable de ce programme. A la demande de plus en plus pressante de professionnels travaillant avec les fermiers, ils ont organisé plusieurs ateliers visant à repérer les signes de pensées suicidaires. « Les appels à l’aide que nous recevons sont bien plus désespérés qu’il y a 5 ou 10 ans« , constate Hal McCabe.
Ted Matthews est, lui, le seul psychologue employé par le département de l’Agriculture du Minnesota (nord) depuis 25 ans pour rencontrer les agriculteurs, par téléphone ou sur leur ferme. Toujours gratuitement. « C’est important car sinon, pour des raisons d’assurance, on entre dans un processus médical supposant que les gens se déplacent, qu’un diagnostic soit posé« , remarque-t-il. L’un des plus grands problèmes, note-t-il, est la méconnaissance des agriculteurs. Être à la tête d’une exploitation « n’est pas seulement un métier, c’est un mode de vie« , souligne-t-il. Quand certains leur suggèrent de vendre des terres pour rembourser leurs dettes par exemple, « c’est comme leur demander de se couper un bras« .
Par Juliette Michel pour AFP
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