Analyse Agronomie

Réduire les pesticides: l’agriculture conventionnelle s’y met à pas comptés

08.06.18

Consciente des nouvelles exigences de la société française, parfaitement décrite dans notre interview de Christian Huygues, la FNSEA, principal syndicat agricole, réfléchit à réduire le recours aux pesticides, herbicides et autres fongicides, dont la consommation s’est pourtant encore accrue en France ces dernières années.

« On entend l’injonction très forte de la société. Nous avons envie d’y répondre (…) tout en préservant l’équilibre économique de nos exploitations« , a assuré Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, lors d’une journée consacrée en fin de semaine dernière aux innovations des technologies et modes de production. « Le robot, doté de caméras, a dans sa mémoire la carte de la parcelle, le nombre de rangs, leur espacement, la hauteur des plants. A partir de ça, il sait le travail à faire« , explique le démonstrateur à une petite assemblée d’agriculteurs et de techniciens attentifs. Désherbeur thermique, bineuse autoguidée, pulvérisateur de précision, etc…: les démonstrations se sont succédées lors de cette journée à Brain-sur-Authion, organisée notamment par la FNAMS (Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences), branche de la FNSEA.

Malgré des plans visant à réduire de moitié la consommation des pesticides, la France, premier consommateur en Europe, a encore accru sa consommation entre 2011 et 2016, passant de 56.000 à 66.000 tonnes, selon Eurostat. Et ce, alors que l’inquiétude grandit face aux risques sur la santé humaine et aux effets sur la biodiversité et les insectes, à commencer par les abeilles. Le gouvernement a réaffirmé que le glyphosate, substance la plus utilisée, ne sera plus autorisé à partir de 2021 mais a refusé d’inscrire cette échéance dans la loi Agriculture et alimentation. Alors, comment réduire cette consommation de produits phytosanitaires auxquels de plus en plus d' »adventices » (mauvaises herbes, en langage technique) deviennent résistants?

Au-delà des matériels « intelligents » aux prix encore souvent prohibitifs, il faut aussi explorer tous les leviers de l’agronomie: « diversifier les cultures et les périodes de semis dans la rotation, avoir un travail du sol différencié (labour, déchaumage, faux-semis), bien choisir sa date de semis, avoir recours aux cultures associées, aux couverts inter-cultures, etc« , rappelle Jean-Albert Fougereux, directeur technique à la FNAMS.

70% de chimie

« Le désherbage mécanique reste un moyen curatif venant en dernier lieu. Il est important de combiner différents leviers en amont pour diminuer le stock de graines » de mauvaises herbes, témoigne Frédéric Robert, qui pratique la polyculture à Angrie (Maine-et-Loire). A l’heure actuelle, souligne M. Fougereux, « les adventices sont maîtrisées à 10% par la mécanique, 20% par l’agronomie, et 70% par les produits chimiques« . « Notre vision est qu’en 2030, l’agronomie sera la pratique la plus utilisée, à hauteur de 35%. Le désherbage mécanique et intelligent sera utilisé dans 30% des cas, les nouvelles technologies à 10%. Les produits chimiques seront ramenés à 25%« . Sans oublier le biocontrôle qui offre « des pistes de recherche prometteuses« .

Le directeur général de l’Alimentation (DGAL), Patrick Dehaumont, temporise: « Il ne faut surtout pas condamner les phytos, on en aura toujours besoin pour se protéger de certains accidents« . Mais ce qu’il faut, dit-il, « c’est évacuer les molécules les plus préoccupantes, les substances nocives pour la santé humaine. (…) Ce qui nous préoccupe beaucoup, c’est l’effet cocktail, l’effet combiné » de plusieurs substances. M. Dehaumont cite l’exemple des cerises fraîches et du diméthoate, un insecticide « très efficace » mais pouvant entraîner des intoxications aigües chez les enfants, interdit par la France il y a trois ans: « ça a amené des pays comme l’Espagne et l’Italie à ne plus l’utiliser. Quant aux cerises turques, interdites d’entrée en France pendant deux ans, elles ont fait leur retour cette année sur le marché français car elles sont désormais sans diméthoate« .

« Il y aura des vérifications (des importations) par les professionnels car plusieurs autres pays de l’UE n’ont pas la rigueur de la France« , avertit la présidente de la FNSEA. Mme Lambert voit globalement des perspectives positives vers une réduction des phytosanitaires: « le mot qui prévaut, c’est combinatoire. Il n’y a pas une solution unique. Le numérique démultiplie les possibilités, permet un désherbage de précision. L’intelligence humaine et l’intelligence artificielle vont décupler nos possibilités« .
Par Clarisse Lucas pour AFP

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