Analyse Modes alimentaires

Le nouveau casse-tête du manger ensemble

21.12.15

Comment réunir autour d’une même table votre fille végétarienne, un ami converti au sans gluten, une nièce crudivore? En cette période de fêtes, les repas peuvent virer au casse-tête face aux régimes et modes alimentaires qui font de plus en plus d’adeptes.

Qu’elles soient motivées par des raisons médicales, éthiques, nées en réaction à des scandales alimentaires, ces tendances « sans » (viande, gluten, lactose, sucre, sel, gras etc.) et bio gagnent toujours plus d’assiettes occidentales. « Il aurait été improbable il y a une dizaine d’années d’avoir un invité sur dix qui consomme sans gluten, aujourd’hui vous avez plus de chances d’en avoir un, voire deux« , relève Xavier Terlet, président de XTC World Innovation, cabinet de conseil sur l’alimentaire. La convivialité peut en prendre un coup: « Le petit copain de ma fille ne mange pas d’huîtres car ce sont des animaux vivants, la petite copine de mon fils est allergique au lait, ma fille cadette ne mange pas de viande rouge« , se désespère Marie, quinquagénaire parisienne qui s’escrime à composer un menu de fêtes consensuel.

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Outre-Atlantique, cette situation était déjà décrite en 2010 par un dessin du New Yorker, intitulé « Le dernier Thanksgiving »: une table vide, sans la dinde traditionnelle, entourée de convives ayant tous un régime différent. Des particularismes alimentaires mieux acceptés par les Américains et Britanniques que par les Français, pour qui « le repas a une dimension communielle« , note le sociologue Claude Fischler en introduction de l’ouvrage collectif « Les alimentations particulières: mangerons-nous tous encore ensemble demain? » (Odile Jacob, 2013), voir notre vidéo de sa conférence à Milan ici.

Veggie burgers
Ces régimes répondent en partie à des questions de santé. Le nombre de victimes d’allergies alimentaires a doublé en dix ans en Europe, touchant plus de 17 millions de personnes, selon les derniers chiffres de l’Académie européenne d’allergie et d’immunologie clinique (EAACI). Mais au-delà du cercle des intolérants au gluten, un public plus large s’est mis à bannir ce mélange de protéines présent dans les céréales comme le blé: ces convertis assurent trouver bien-être et énergie dans ce régime popularisé par des stars comme le tennisman Novak Djokovic. Les distributeurs se sont engouffrés dans le créneau sans gluten, avec des marques spécialement dédiées, dont les ventes ne cessent de progresser (+42% en 2014 en France, selon le cabinet d’études IRI).

Et la qualité de l’offre s’est améliorée: des pâtissiers de luxe se mettent à proposer pour les fêtes des bûches sans gluten, comme celles de l’Hôtel Le Fouquet’s ou d’Hugo et Victor à Paris. « Auparavant les produits sans gluten ou sans lactose étaient destinés à des gens malades, c’était une offre dénuée de plaisir, à des prix prohibitifs. Maintenant ils sont bien meilleurs« , note Xavier Terlet. Peur de la malbouffe, des pesticides, des OGM… Le bio a plus que jamais le vent en poupe. La grande distribution l’a adopté, ouvrant même des magasins spécialement dédiés, plébiscités par les citadins. L’alimentation végétarienne, vantée par Gwyneth Paltrow ou Stella McCartney, s’est débarrassée de son image austère. Les « veggie burgers » font florès notamment à New York, où l’un de ces steaks végétariens vient d’être nommé « meilleur burger du monde » par le magazine masculin GQ.

Jusqu’à Dubaï
La haute gastronomie n’est pas en reste: le chef multiétoilé Alain Ducasse propose depuis plus d’un an au Plaza Athénée un menu « naturalité », où la viande a cédé la place à une trilogie poissons-légumes-céréales. Et à côté de ces végétariens, voire végétaliens purs et durs, sont apparus les « flexitariens », des consommateurs de viande occasionnels qui misent sur la qualité plutôt que la quantité. Surfant sur la tendance « green » et « healthy », les cantines végétariennes et autres bars à jus « detox » ont essaimé dans les quartiers branchés de San Francisco à Londres en passant par Sydney.

Comme « La Guinguette d’Angèle », service de traiteur bio et sans gluten lancé en 2012 par Angèle Ferreux-Maeght qui est devenu la cantine du monde de la mode parisienne, proposant chips de chou kale, ceviche de bonite ou salades fleuries. « A Paris il y avait des petits restaurants macrobiotiques mais c’était très connoté, on n’amenait pas son petit copain là-bas!« , s’amuse cette jeune femme blonde de 27 ans, férue de naturopathie, qui a ouvert un comptoir de plats à emporter près des Halles. La formule séduit jusqu’à Dubaï où le café du « Comptoir 102 » – sans sucre, sans produit laitier, vegan, bio, avec du « cru » et sans gluten en option – de la Française Emma Sawko fait recette. Elle s’apprête à ouvrir des bars à jus et smoothies, à Dubaï et Paris.

Anne-Laure MONDESERT pour AFP

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