Analyse Innovation

Le droit parfois frileux face aux innovations culinaires

29.01.15

Manger des insectes, c’est tendance? Oui, mais pas vraiment autorisé en France. Le yuzu, un agrume devenu incontournable? Oui, mais au prix d’années de procédure pour le faire accepter légalement. Le droit français goûte peu les OGNI, objets gastronomiques nouvellement identifiés.

Le système juridique serait même « rabat-joie » face à ces innovations culinaires soumises à des autorisations souvent coûteuses et longues à obtenir. « Le droit ne connaît pas les tendances, n’est pas très à l’aise avec les innovations. J’ai entendu récemment parler des Ogni (Objet gastronomique nouvellement identifié), eh bien! le droit n’aime pas les Ogni et les encadre très strictement« , affirme Me Katia Merten-Lentz, avocate au sein du cabinet Fieldfisher, intervenante au World Cuisine Summit, salon de l’innovation culinaire qui s’est tenu lors du Sirha à Lyon. L’avocate rappelle que le « droit a besoin d’identifier les ingrédients, les éléments; et cela s’inscrit en décalage de la créativité, des nouvelles recettes. On se heurte indéniablement aux barrières juridiques« , constate-t-elle.

Elle cite en exemple, les insectes, qui « sont présentés comme une solution d’avenir » pour combler la hausse de la demande alimentaire mondiale. « Eh bien! le droit a perçu cette chose comme pouvant être peut-être comestible un jour mais les barrières sont extrêmement poreuses« , dit-elle, précisant que « à ce jour en Europe, on n’est pas censé pouvoir commercialiser et manger des insectes« , martèle l’avocate qui officie entre Bruxelles et Paris. Pour Me Merten-Lentz, « l’insecte n’est pas quelque chose qui nous tentait mais a priori ça commence à être surmonté et les consommer devient un phénomène de mode, mais il reste le juridique et là ce n’est pas la même chose« . Elle cite un restaurant en France qui avait le vent en poupe et dans lequel « c’était amusant de se faire prendre en photo en mangeant des insectes », mais la direction départementale de la protection des populations (DDPP) a ordonné « la fermeture administrative, idem pour certaines supermarchés qui ont lancé des gammes« .

Réévaluer tous les additifs
« Il y a toujours ce fossé entre l’innovation, les tendances, la créativité et le rabat-joie qui est le système juridique et réglementaire« , résume Me Merten-Lentz. Elle affirme « être régulièrement consultée par des start-up qui veulent commercialiser l’insecte entier, des morceaux, ou de la farine d’insecte mais pour l’instant le statut n’est absolument pas clair« . « On attend une réforme qui devrait être adoptée cette année au niveau européen, sur les nouveaux aliments, la novel food, qui recouvre tous les nouveaux aliments, les nouveaux ingrédients, et qui aurait une disposition particulière pour assouplir le régime car d’autres pays ont d’autres cultures et consomment par exemple des insectes« , note-t-elle.

Bernard Boutboul, directeur général du cabinet spécialisé en restauration Gira conseil, souligne, lui, que « la France est l’un des pays les plus réglementés et légiférés au niveau mondial en terme de sécurité alimentaire, et cela depuis la crise de la vache folle, avec des mesures qui vont bien au-delà de la législation européenne« . Une source du secteur, souhaitant garder l’anonymat, indique par ailleurs qu' »il peut arriver à la restauration de se moquer de l’aspect juridique car pour faire plaisir à un client, il faut de temps en temps contourner les lois« . Autre exemple, le yuzu, un agrume acide utilisé dans la cuisine japonaise, de la taille d’une orange ou d’un petit pamplemousse et de couleur jaune.

Inconnu à son arrivée en France il y a quelques années, il « a dû faire l’objet d’une autorisation européenne qui a pris du temps et de l’argent. Les premiers utilisateurs du yuzu ont dû batailler pour qu’il soit légalement accepté sur les tables françaises« , se souvient l’avocate. Me Merten-Lentz ajoute que « les institutions européennes ont récemment demandé à l’agence de sécurité alimentaire européenne de réévaluer tous les additifs jusqu’à présent autorisés, ce qui pourrait entraîner des surprises dans des choses qu’on a coutume de manger« , craint-elle, citant notamment « les sauces chinoises, et certains de leurs ingrédients qui sont actuellement examinés« .

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