Analyse Un oeil sur le monde

En Irak, le confinement donne un coup de pouce aux agriculteurs

15.07.20

Cette année, pour la première fois, Ahmed Mohsen écoule sans peine ses melons sur les marchés irakiens: grâce au confinement décrété face à la pandémie de Covid-19, les fruits et légumes iraniens et turcs ne sont plus là pour lui faire concurrence.

Avec 32 postes-frontières vers l’Iran, la Turquie, la Syrie et la Jordanie, l’Irak est de longue date un paradis pour les importateurs. Dans tous les domaines, les produits étrangers, moins chers, sont rois et couvrent même 50% des besoins alimentaires dans un pays où un tiers de la population vit pourtant de l’agriculture. « Depuis des années, les cultivateurs travaillent à perte, sans aucun soutien de l’Etat« , assure à l’AFP M. Mohsen, ingénieur agricole de 32 ans. De l’autre côté des frontières, l’Iran et la Turquie empochent chaque année respectivement 2,8 et 2,2 milliards de dollars (2,5 et 1,9 milliard d’euros) en exportant des produits agricoles et alimentaires vers l’Irak. Avec la pandémie, les autorités ont fermé les frontières, aidant indirectement les producteurs. « Elles n’avaient pas l’intention d’aider les agriculteurs, mais elles nous ont permis de prouver que nous pouvions combler les besoins alimentaires des Irakiens« , se félicite M. Mohsen.

Autosuffisant sur 28 produits

Son village, Afak, est connu dans tout le pays pour ses melons, qui alimentent chaque jour tout le pays. Sa province, Diwaniyah, est l’un des grands réservoirs à blé et à orge du pays, ainsi que le bastion du riz « ambre », une espèce unique au monde qui fait la réputation de la cuisine irakienne. En 2020, pour la première fois depuis longtemps, l’Irak est parvenu à être autosuffisant sur 28 produits, affirme à l’AFP Mohammed Kechache, président de la Confédération agricole de Diwaniya. La production d’oeufs a par exemple bondi, passant de 11 millions en janvier à 17 millions en avril, en mai et en juin, selon le ministère de l’Agriculture.

Hani Cheïr cultive melons, pastèques, aubergines, concombres et tomates. C’est la première fois, dit-il, que ses produits, « de meilleure qualité que les importations » ont leur chance sur les étals. Sans concurrence, ajoute-t-il, « les prix ont baissé« , rendant plus accessible la marchandise nationale. Khachan Kariz, 70 ans, cultive depuis des décennies des dizaines d’hectares de céréales. D’habitude, dans un pays où l’héritage de l’époque de Saddam Hussein est encore bien présent, avec une économie quasi entièrement contrôlée par l’Etat, il vend sa production à un prix plus cher que celui du marché, à des coopératives d’Etat qui revendent ensuite ses récoltes. Ce sont elles qui écoulent les quelque cinq millions de tonnes de céréales achetées par l’Etat dans le pays, complétées par près de trois millions de tonnes importées, majoritairement sous forme de farine raffinée. Mais « chaque année, l’Etat tarde à payer les agriculteurs et leur fait encaisser des pertes« , dit M. Kariz à l’AFP.

Moins cher et plus rapide

Cette année, M. Kariz a donc vendu pour la première fois sa récolte directement sur les marchés de gros. Pour moins cher, mais plus rapidement, et surtout en argent comptant. Car, non seulement les agriculteurs cumulent les impayés, mais les importations à bas coûts de l’Etat inondent aussi le marché et bloquent l’accès à leurs produits achetés à prix d’or par l’Etat. Face à ces surplus venus d’ailleurs, de nombreux agriculteurs préfèrent donc laisser leurs terres en jachère plutôt que de travailler à perte, assurent les experts du magazine environnemental Sustainability. D’autres préfèrent tricher et importer clandestinement des céréales pour les revendre ensuite à l’Etat mélangées à leur production, pour dégager plus de revenus, assure à l’AFP un responsable gouvernemental.

Désormais, M. Kariz espère que Bagdad va « empêcher les importations pour soutenir financièrement et moralement les cultivateurs irakiens ». Déjà, le ministère de l’Agriculture a interdit l’importation de 25 fruits et légumes. En parallèle, la Syrie a cessé d’exporter produits laitiers, légumes secs et céréales en raison de la pandémie, et Ankara a cessé de vendre ses citrons à l’étranger. Malgré tout, avec des monnaies turque et iranienne en chute libre, les produits des voisins continuent à se frayer un chemin sur les tables irakiennes, à prix cassés. Là, le bonheur du producteur se heurte à son pire obstacle: les poches de plus en plus vides de 40 millions d’Irakiens, confinés et pour la plupart privés de revenus.

Par Haydar Indhar pour AFP

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