Analyse Présidentielles 2017
François Collart-Dutilleul : « Pas d’exception agricole sans démocratie alimentaire »
Cela fait deux mois qu’Alimentation Générale décortique le programme agricole des cinq principaux candidats à la Présidentielle. Rapport à l’Europe et à l’OMC, rupture ou continuité vis-à-vis des traités européens ou bilatéraux, protectionnisme libéral, patriote ou solidaire, retour aux frontières… Les enjeux liés à l’agriculture et à l’alimentation dépassent le seul cadre de la France. Englobant les questions d’écologie, de santé, d’économie, de coopération et de concurrence. Le point, dans cette dernière ligne droite, avec François Collart-Dutilleul.
Selon vous, l’agriculture et l’alimentation ont-elles été bien traitées durant cette campagne présidentielle ?
Pour moi, elles l’ont été par trois candidats : Mélenchon, Asselineau et Hamon. Dire cela ne vaut pas nécessairement approbation personnelle mais relève du constat. Dans ces trois programmes, la question agricole n’est pas envisagée indépendamment des enjeux écologiques et environnementaux. Elle est un tout. Comme l’alimentation qui n’est pas présentée comme une conséquence d’orientations politiques plus larges mais bien comme une exigence politique en elle-même. Notamment, une exigence de santé. Or, quand on part de la nourriture et de sa production comme d’une question centrale, on fait un pas démocratique crucial. Il faut bien comprendre qu’il ne peut y avoir d’exception agricole sans démocratie alimentaire.
Ce qui signifie…
Ce qui signifie qu’une exception agricole sans démocratie dépend du seul critère des subventions versées à certaines formes d’agricultures et ne répond pas aux besoins fondamentaux des populations. Pour le dire clairement, ce système d’aides ne bénéficie qu’aux modèles de production des pays riches. Le cœur d’une politique agricole cohérente doit se bâtir sur des engagements clairs en matière d’alimentation et de préservation de l’environnement. Penser une politique agricole en fonction de ces deux exigences, c’est proposer un nouveau contrat démocratique aux citoyens.
La plupart des candidats promettent aux agriculteurs soit une réorientation à la marge soit une rupture nette avec la Politique agricole commune. Mais tous, ou presque, restent persuadés que cela doit uniquement en passer par une politique de subventions…
En disant cela, on promet aux agriculteurs et aux consommateurs de changer la couleur des murs, tout en laissant les murs là où ils sont. Il existe pourtant un autre moyen d’obtenir une exception agricole démocratique, solidaire et souveraine : en passant par des droits de douane plus efficients. En termes de subventions, cela ne coûte rien et peut rapporter gros aux pays qui en font le choix. Et c’est bien le problème. Ce levier est interdit par l’OMC qui y voit un dangereux rééquilibrage international entre pays tiers et pays riches. Par l’Union européenne, aussi, qui bloque sur cette question. Actuellement en négociations avec l’Afrique autour d’un accord de partenariat économique, l’enjeu central des discussions est justement lié à la baisse de ces droits de douane en matière agricole.
Hormis Emmanuel Macron, chez les quatre autres principaux candidats, dans leur programme agricole, il est également beaucoup question de protectionnisme…
C’est vrai. Libéral pour Fillon, patriote pour Le Pen ou encore solidaire chez Mélenchon. Mais il faut se méfier des mots. Inconsciemment, en faisant référence au protectionnisme, on pense protection des pays riches. Ecartant tous les autres. On induit même qu’il y aurait un protectionnisme libéral, synonyme de liberté, opposé à un protectionnisme solidaire, faisant le jeu des plus pauvres, et dont la conséquence serait la déstabilisation de nos modes de production. Face à cela, je suggère d’aller au bout de la logique est de poser la question suivante : protection de qui ? Liberté pour qui ? Car, bizarrement, ce ne sont jamais les plus pauvres qui fixent le vocabulaire et bénéficient de ces rhétoriques. Pour en revenir aux différents programmes, on note de réelles divergences de points de vue sur cette question du protectionnisme agricole.
Fillon voit l’agriculture comme un secteur économique ordinaire, répondant aux mêmes règles d’aide (baisse des charges, fin des normes), au même modèle de concurrence et de concentration que celui utilisé dans la fabrication de voitures ou de téléviseurs. La vision de Le Pen, elle, se résume à une agriculture nationale préservée grâce à la fermeture maîtrisée des frontières. Hamon, lui, propose une transition agricole par à-coups, mêlant alimentation et écologie, mais s’accommodant des principes européens en vigueur. A l’inverse de Mélenchon dont l’articulation du programme repose sur la renégociation de traités, comme celui de la PAC, sans forcément vouloir sortir de l’Europe en tant qu’entité. Quant à Macron, il dit en substance « on ne change pas l’existant » sauf en ce qui concerne le droit à la concurrence…
… Ce qui a peu de chance d’aboutir ou nécessiterait une refonte complète de cette règle fondatrice des traités européens. Comme Benoit Hamon et sa proposition de suppression des perturbateurs endocriniens ?
C’est exact. Mais, sauf à dire que ces règles nous ont été imposées par un quelconque dieu, elles sont le résultat d’une construction sociale. A ma connaissance, il n’existe pas une seule directive édictée un jour qui ne puisse être modifiée le lendemain ! De même manière que des contrats, les traités bilatéraux peuvent se faire et se défaire.
Parlez-en à la Grèce d’Alexis Tsipras qui a engagé ce type de bras de fer il y a deux ans déjà, avant de se voir sèchement recadrer et contraindre notamment par l’Allemagne…
C’est effectivement une question de rapport de force. Vous venez de le rappeler, une renégociation, seul, des traités européens n’a que peu de chance d’aboutir. Mais à plusieurs, grâce à une alliance des pays membres du sud comme ceux des nouveaux adhérents de l’est, cela pourrait changer la donne. D’autant qu’il existe différentes manières de négocier : en s’asseyant autour de la table et en engageant des procédures concrètes.
Par exemple ?
Sur la question de la suppression des perturbateurs endocriniens, il faudrait avoir le courage d’engager un processus de renégociation des traités tout en faisant traîner la Commission…
… Faire traîner la Commission ?
Oui, en interdisant les perturbateurs endocriniens sur le sol français en se passant du consentement de l’Europe et en l’obligeant à agir contre la France. Le temps qu’une telle affaire se dénoue, la France aura eu le temps de mettre en œuvre sa politique et de mener des études comparatives notamment sur la santé des personnes. L’autre avantage principal de ce processus de blocage, c’est qu’il permet d’impulser une véritable politique nationale et souveraine visant à démontrer tant aux industriels qu’aux consommateurs qu’on peut produire différemment tout en préservant la santé des gens et certaines marges de profit des sociétés concernées.
Ce qui demande aux décideurs une certaine forme de courage politique…
Bien sûr. Du courage de la part de nos représentants mais aussi de notre côté. Quand il s’agit d’aborder des enjeux cruciaux, progressistes, vitaux, on hésite trop souvent à renverser la table. Alors même qu’en Hongrie, par exemple, Viktor Orbán défie tous les jours l’Union sur des questions démocratiques sans que cette dernière ne réagisse à la hauteur de ces régressions. Tant qu’on ne sortira pas du schéma qui veut qu’en matière d’alimentation, l’essentiel reste de préserver la compétitivité des industries agroalimentaires, cela avant même la qualité de production, la rémunération des paysans, les équilibres internationaux, la santé humaine et le bien-être animal, on n’y arrivera pas. Ce sont de ces besoins fondamentaux qu’il faut partir et non de toujours vouloir préserver indéfiniment un marché protégé par des traités plus qu’antidémocratiques.
Pour en savoir plus :
Le programme agricole de François Fillon
Le programme agricole de Jean-Luc Mélenchon
Le programme agricole d’Emmanuel Macron
Le programme agricole de Benoît Hamon
Le programme agricole de Marine Le Pen
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