Analyse Présidentielles 2017
François Fillon, entre protectionnisme et fin du principe de précaution
Lors de sa visite mouvementée au 54e Salon international de l’agriculture, François Fillon l’a redit aux agriculteurs. Face aux crises qu’ils traversent, il leur propose « la liberté d’entreprendre, l’allègement des charges et des contraintes ainsi que le soutien à l’investissement ». Quasi, aux mots près, les douze propositions qu’ont présenté, ce jeudi 16 mars, les industriels de l’Association nationale des industries agroalimentaires.
Est-ce de l’ordre de l’inconscient ou clairement voulu ? Dans le préambule de son programme, fièrement intitulé « Pour une agriculture française forte et conquérante », le candidat Fillon pose, à huit lignes d’intervalle, deux des piliers de la devise républicaine. Fraternité et Liberté. On se dit que l’Égalité devrait rapidement montrer le bout de son nez. Les pages se tournent. Les idées s’enchaînent. L’Égalité s’éloigne. Cette « agriculture française, forte et conquérante » dresse, en creux, le portait de l’agriculteur-entrepreneur-exportateur. Oubliés les maraîchers bio, les exploitations en circuit-court, ces agricultures indépendantes et coopératives. A peine évoqués, pour signifier « que le temps perdu à opposer ces modèles, c’est un temps que nous ne consacrons pas à les développer tous ».
En quatre photos de Couverture, on pouvait pourtant espérer. Surlignant le titre de son programme, les quatre clichés montrent un François Fillon marchant au soleil rasant, discutant dans les champs, scrutant un étal artisanal, déambulant parmi les stands d’un comice agricole. Comme si l’horizon agricole français n’était pas totalement bouché. « Ce qui va mal, les agriculteurs nous le disent, coupe celui qui insiste sur ses origines sarthoises : L’excès de charges, l’excès de normes, l’excès de contrôles, l’instabilité réglementaire, les conditions de concurrence qui se dégradent, une négociation des prix déséquilibrée, l’abandon des outils de régulation, le manque d’appui des pouvoirs publics, la faiblesse de la France dans le débat communautaire… » Quasi, aux mots près, le discours des industriels de l’Association nationale des industries agroalimentaires. L’Ania qui, ce jeudi 16 mars, vient de faire douze propositions aux candidats à l’élection présidentielle.
Douze pages durant, François Fillon porte la plume dans la plaie de cette « gestion des crises au coup par coup ». Et donc dans celle de cette politique gouvernementale qui a, pourtant, vingt-cinq ans durant, poussé l’essentiel des exploitations et des régions françaises à se spécialiser dans une production d’exportation. Une cogestion, en réalité, guidée par un syndicat majoritaire dont l’idée était d’aligner les prix agricoles européens sur les cours mondiaux. Pour faire passer la pilule, on a abreuvé les agriculteurs européens, et donc français, d’aides publiques. Sauf que la stratégie européenne vis-à-vis de l’OMC s’est avérée perdante pour la grande majorité d’entre eux. A tel point que, sur l’année 2015, le montant des aides directes et indirectes octroyées était de 465 $ par Étasunien pour 198 $ par Européen.
Le protectionnisme, arme de dissuasion économique massive
De cela, François Fillon ne veut plus. A la place, il propose la mise en œuvre d’une « PAC ambitieuse, réactive et flexible ». En clair, « le maintien à l’euro près du budget actuel de la Politique agricole commune, tout en refondant cette dernière, à l’horizon 2020, sur la gestion des risques et sur le soutien à l’investissement. » « Je n’accepte pas, écrit François Fillon en gras dans le texte, que ce qui est considéré comme indispensable à l’entreprise industrielle – la croissance, l’organisation économique, la recherche de la productivité, l’accès au crédit et au capital, l’innovation et l’audace – soit refusé à l’agriculture. »
Derrière cette semonce libérale, on se pique à lire que le candidat du parti Les Républicains remettrait tout bonnement en cause « les règles du droit à la concurrence qui, lui étant très défavorables, ne doivent pas s’appliquer à l’agriculture ». En réalité, on sent poindre l’utilisation de cette arme de dissuasion économique massive qu’est le protectionnisme. Associée à une « préférence communautaire qui défend les agriculteurs européens en imposant des règles de concurrence loyale entre les États membres et le reste du monde », cette PAC à la sauce Fillon, si elle était appliquée, devrait inviter la France à imiter les États-Unis, la Chine et le Brésil. Trois géants de l’agriculture qui « se sont déjà affranchis de l’accord de l’OMC, signé en 1993 à Marrakech, pour rétablir une politique de soutien stratégique en direction de leur agriculture et de leurs agriculteurs ».
Copier pour coller à la tendance du marché, François Fillon ne l’ignore pas, pour le coucher noir sur blanc dans son programme. Premier exportateur mondial de semences, la France se voit, pour la première fois, directement menacée par la Chine et les USA. Pas vraiment de quoi voir le pays reculer dans son leadership, quand on sait que le deuxième poste dans la balance commerciale française est toujours tenu par les exportations agricoles et agroalimentaires. Un secteur excédentaire de près de dix milliards d’euros, pour la seule année 2015. « Ce qui représente, depuis quelques années, l’équivalent de 76 avions Rafale ! » compare fièrement le candidat Fillon qui insiste : « L’agriculture est un secteur stratégique. C’est la France puissante, celle qui a conquis son indépendance alimentaire et qui exporte. »
Suppression du principe de précaution…
Oui, mais voilà. Aujourd’hui, « les modèles ont changé », reconnaît Yves d’Amecourt. Et le « monsieur agriculture » du candidat LR de détailler ces nombreuses entreprises agricoles qui produisent de l’énergie, sont propriétaires de biens immobiliers locatifs ou encore qui investissent dans le tourisme. Or, « la complexité juridique et fiscale à laquelle ils font face est inutile, a-t-il expliqué le 23 février dernier à Sciences Po Paris. Elle rend plus difficile encore l’accès au crédit et les affaiblit d’autant financièrement. Entrepreneurs à part entière, les agriculteurs doivent pouvoir choisir librement une forme juridique unique. » Cela, « pour leur permettre de porter à la fois les actifs de leur exploitation ainsi que l’ensemble de leurs activités ».
Face à ces « distorsions sociales et fiscales », le candidat Fillon n’en oublie pas l’activité principale de ces entrepreneurs : la production agricole. Pour que cette dernière reste « forte et conquérante », il en appelle à s’affranchir d’un « principe de précaution qui a atteint ses limites lorsqu’il empêche tout progrès, toute innovation […] ; lorsqu’il conduit à prendre des décisions fondées sur la peur et l’intimidation ». Sur le banc des accusés, « cette France, bon élève de l’Union européenne, qui a interdit, au-delà des exigences communautaires et sans aucune distinction, la culture des OGM comme l’utilisation du glyphosate. » Contre ce qu’il appelle « l’obscurantisme idéologique », celui qui vient d’être mis en examen par le pôle financier parisien ne propose rien de moins que de « supprimer de notre Constitution un principe de précaution dévoyé et arbitraire ». Préférant le remplacer par « un principe de responsabilité ».
… Création d’un compte épargne aléas climatiques et économiques
« L’agriculture existait avant les normes. Faisons en sorte qu’elle existe après ! » reprend en écho Yves d’Amecourt. En plus « d’abroger par ordonnance toutes les normes ajoutées aux textes européens », le volet agricole du candidat LR veut rendre « obligatoire l’évaluation, par une étude d’impact, des conséquences de toute décision publique en matière de politique sanitaire et environnementale ». « Et comme on n’arrivera pas à changer le climat sur un quinquennat, lance goguenard le « monsieur agriculture » de François Fillon, nous proposons de couvrir les risques de marché ainsi que les risques sanitaires et climatiques par la création d’un compte épargne aléas climatiques et économiques. »
A l’inverse du Fonds national de garantie des calamités agricoles (alimenté par les taxes sur les assurances payées par les agriculteurs et jugé « obsolète et inégalitaire » par le candidat LR, Ndlr), le compte épargne aléas climatiques et économiques serait « alimenté librement pendant les années de bonne récolte et utilisable en cas de perte d’exploitation ». Une « solidarité professionnelle » à géométrie variable, tant cette politique concernera les plus grosses exploitations. Celles qui auront accepté de concentrer les outils de production, les capitaux et le foncier. Faisant de « la France rurale » évoquée par François Fillon, un territoire de moins en moins homogène, excluant de plus en plus de petits paysans.
L’écologie et la démocratie alimentaire aux abonnés absents
« Je veux que toutes les entreprises agricoles – la petite et la grande, l’indépendante et la sociétaire, celle qui vend localement et celle qui exporte – trouvent les moyens, publics et privés, de leur développement », tente de séduire un François Fillon qui sait bien que la profession a décidé de regarder ailleurs que du seul côté de la droite républicaine. Oscillant entre envie d’abstention massive (51%) et tentation du vote Front national (35%). Une volonté d’élargissement réduite à vingt petites lignes. La question cruciale des circuits directs y est à peine effleurée. Et toujours par l’unique prisme économique. « Les ventes par ces circuits représentent 8% des achats alimentaires des Français et 12% des ventes », est-il rappelé. Alors même, qu’aujourd’hui en France, près d’un quart des exploitations agricoles sont impliquées dans la production et la vente en circuits courts… Quant aux notions d’« écologie » ou de « démocratie alimentaire », on a beau les chercher…
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